En 2013, Antoine-
Bélhazar Jaouen meurt à dix-huit ans lors d'une interpellation judiciaire. Passée sous silence, l'affaire tombe dans l'oubli jusqu'à ce que
Jérôme Chantreau, l'un de ses anciens professeurs, décide de mener l'enquête.
Enquête ? Conte ? Réalité ? Invention ?
Je ne cherche pas. J'accepte. Mais mon acceptation ne sera pleine et entière qu'en toute fin de roman, quand le conte l'emportera sur la réalité. Quand enfin se dévoilera la vie rêvée des anges.
Des anges ? Oui,
Bélhazar en est un. D'abord parce qu'il est mort jeune, à dix-huit ans, d'une mort violente et soudaine. Ensuite, parce qu'il est un inventeur de mondes magiques, un créateur d'ambiances extraordinaires, un trouveur d'objets hétéroclites. Enfin parce que sa singulière personnalité, le personnage qu'il a créé et endossé le font entrer d'office dans le cercle des poètes disparus.
Bélhazar est un enfant hors du commun. Et tous ceux qui l'ont côtoyé diront la même chose. Déjà le fait de se faire nommer ainsi est hors du commun, comme l'est sa naissance. C'est un enfant riche. Riche d'imagination, de sens du détail, d'invention et d'inventivité. C'est un artiste, un créateur. le digne compagnon d'Alice au pays des merveilles.
Ah, se perdre dans son monde enchanté et enchanteur ! Découvrir sa prose et ses dessins. Être abasourdi devant ses trouvailles et inventions. Quelle passion, ou plutôt quelles passions l'animaient ! Une curiosité insatiable !
« Un adolescent qui, à dix-huit ans a trouvé le temps de devenir peintre, de vendre des toiles représentant des paysages non répertoriés dans le monde réel, qui a tant collectionné d'objets sur la Grande Guerre qu'il voulait créer un musée, un enfant qui retapait un taxi de la Marne au fer à souder, se passionnait pour les armes d'époque et vivait selon un code d'honneur chevaleresque, un gosse qui envoyait des lettres sans timbres et parcourait l'Europe en faisant griller de la joue de porc sur le bord de la route. Un gamin qui n'a jamais mis un tee-shirt, vivait au bord de la mer sans jamais y tremper le bout d'un pied, mangeait des fleurs et donnait à ses amis la force d'être eux-mêmes. Un môme que ses amis appelaient Regardeur de soleils, et que pas une personne sur cette terre n'a compris. Un adolescent qui n'a pas connu l'amour, mais en donnait à tout le monde. Un enfant dont la tombe ne porte pas le nom et qui est né d'un miracle. »
J'ai adoré le regard du père devant cet enfant unique. J'ai adoré leur complicité : compagnons de vie, compagnons de jeux. Deux pions sur un échiquier géant comme l'est le monde qu'ils ont exploré à leur façon, au volant de leur mercedes-tapis volant, à la recherche d'un nouveau graal.
Je ne sais ce qui appartient à la réalité ou à la légende. Je m'en moque. Mais je peux affirmer ici que
Bélhazar a eu une vie pleine et entière. Oui entière, même si cela peut paraître paradoxal vu son âge.
« J'ai toujours eu l'impression qu'il ne m'appartenait pas, qu'il était là pour quelque chose qui nous dépassait, que la seule chose que j'avais à faire avec lui, la plus urgente, c'était de profiter de la chance que j'avais de vivre à ses côtés. Un bonhomme comme lui, c'est pas tous les jours qu'on en rencontre. Les gens s'ennuient souvent quand ils passent du temps avec leurs enfants. Moi, j'étais fasciné. Et j'en ai profité, crois-moi. C'est pourquoi je peux dire qu'aujourd'hui, je n'ai aucun regret. »
Cependant, j'ai bien failli arrêter la lecture de ce livre. Plus d'une fois.
Bélhazar est mort. le responsable ? Ce n'est pas ce qui m'intéresse, alors toute la partie (longue) sur cette recherche de responsabilité m'a irritée. Autant que les atermoiements de l'auteur quant à sa prise de conscience face à la mort de son ancien élève. Il s'est trompé, il n'a pas vu le potentiel de
Bélhazar et l'a classé d'office parmi les échecs scolaires. C'est seulement à sa mort que son regard a changé. Alors cette quête initiale est-elle pour se dédouaner ? C'est vrai que cette enquête l'a beaucoup aidé dans son introspection. Une catharsis en somme. Mais là aussi ce n'est pas ce qui m'a attirée.
Ce n'est pas comment il est mort qui définit cet étrange enfant, mais comment il vit. Il vivait. Et plus on pénètre l'univers de ce « regardeur de soleils », plus on est troublé par sa force et son abandon. Un rêveur à la recherche d'une planète idéale, un mélange d'Albator et d'Alice. Et c'est là que réside toute la saveur de ce roman, dans ce labyrinthe végétal épineux parsemé de lapins blancs, de peluches, d'armes et d'objets datant de la Première Guerre mondiale, de petits papiers ou de petites pancartes semés comme des petits cailloux... On se perd, on s'approche, on devine, on s'émeut devant tant de poésie.
Bélhazar. Une belle rencontre.
Merci à Babelio et aux éditions Phébus pour cette plongée, non pas au coeur des ténèbres comme pourrait le suggérer la quatrième de couverture, mais au coeur même de la vie.