Célestopol, seule ville sise sur la Lune, vitrine de la puissance de l'empire russe, se dévoile tout entière à nous dans ce recueil de nouvelles très réussi.
Emmanuel Chastellière nous promène dans ses rues et sur ses canaux, dans ses bas-fonds sordides et dans les fastes du palais ducal. Il nous présente ses habitants, courageux ou lâches, résigné ou pleins d'allant. Il nous fait rêver et nous effraie, nous terrifie ou nous émerveille. Mais il ne laisse pas indifférent. Bienvenue à
Célestopol !
Du steampunk sur la Lune
Célestopol, c'est la ville rêvée des lecteurs de steampunk. Une Venise sélénite, aux canaux emplis de selenium, un gaz brillant aux vapeurs toxiques. Des palais aux structures métalliques et vastes panneaux de verre reflétant le dôme protecteur. Des automates si perfectionnés que certains semblent presque humains, malgré leurs rouages mécaniques et leur carburant lunaire. Des moyens de transport typiques : dirigeables, bateaux à vapeur, obus-traversiers (pour passer de la terre à la Lune, merci Monsieur Verne). Bref, tout un monde classique pour l'amateur et en même temps si bien pensé, si intelligemment conçu, qu'on la croirait presque réelle, cette merveilleuse cité.
Le fantastique en embuscade
Plusieurs de ces nouvelles ont une tonalité franchement fantastique. Dans « Une note d'espoir », par exemple,
Emmanuel Chastellière fait intervenir la célèbre guest star des contes russes, Baba Yaga. Cette sorcière iconique est parfaitement intégrée dans les bas-fonds de
Célestopol et apporte à la ville cette tonalité inquiétante qu'on retrouve avec le personnage du duc Nikolaï, présent dans beaucoup de textes, dans des registres variés. Fantastique évidemment dans cette nouvelle, mais aussi dans l'une des dernières, « Tempus fugit », où un portrait le représentant évoque le classique portrait de Dorian Gray.
Mais un fond historique
Bien sûr, pas historique au sens strict. C'est à sire que l'auteur s'appuie sur quelques éléments de notre Histoire et il les revisite et les inclut dans sa propre chronologie. Mais les évènements évoqués semblent très réalistes et auraient pu exister si
Célestopol avait vécu. Révolte des ouvriers et des plus pauvres, des délaissés, cantonnés dans les sous-sols de la ville tandis que les plus riches s'encanaillent Chez Hécate, le bordel de luxe aux péripatéticiennes automates (« Tempus fugit »). Intervention d'un héros anonyme et masqué qui mène une lutte contre la patrie russe, afin de permettre peut-être à
Célestopol de s'affranchir de cette tutelle trop contraignante (« Oderint dum metuant »). Émancipation des automates qui, peu à peu, parviennent à la conscience et ont des envies de liberté, de sortir de leur rôle d'esclaves (« Fly me to the Moon », « Les lumières de la ville »). Et tout cela, sous la direction d'un personnage aussi fascinant qu'effrayant, le duc Nikolaï. Il est le maitre de cette ville et le fait savoir. Il a son destin entre ses mains et agit tantôt comme un souverain capricieux, tantôt comme un démiurge sûr de son pouvoir. Il donne son âme à cette cité, entame l'histoire et la clôt.
Et d'autres histoires
Emmanuel Chastellière nous raconte également des morceaux de la vie de simples figurants, sans grand enjeu sinon leur bonheur ou juste leur survie. Et il le fait de façon souvent touchante. Car si
Célestopol semble vivante, c'est en grande partie grâce à ses habitants à qui l'auteur donne de la consistance, de la chair, du sang. le héros malheureux des « Jardins de la Lune » est bien là, devant nous, avec sa détresse, son impuissance. L'automate narrateur du « Boudoir des âmes » est touchant dans son témoignage qui donne envie de crier et d'aller l'aider dans sa prison. L'auteur sait créer en quelques pages des personnages, tout simplement humains (même les automates), aux sentiments si réalistes qu'on peut les ressentir de notre côté.
Célestopol a été pour moi une belle découverte. Même si j'ai été surpris de m'apercevoir que j'avais affaire à un recueil de nouvelles et non à un roman (ce qui n'était pas clairement indiqué dans mon édition), les talents littéraires d'
Emmanuel Chastellière m'ont permis de voyager et me croire, moi aussi, dans la Lune, sous ce dôme si fragile et si beau, avec cette foule bigarrée, aux rêves si forts. Et cette lecture me donne envie de me plonger dans l'autre ouvrage consacré à cette même cité, 1922
Célestopol, paru en mars aux éditions de l'Homme sans nom.
Lien :
https://lenocherdeslivres.wo..