apprendre à voir de trop près; à prévoir. Il fait si clair sous les yeux de Clarice. Depuis son regard, en nous mettant à ses fenêtres, nous ne pouvons pas ne pas apercevoir les choses passer vivement (...)
Même s'il nous semble qu'il n'y a plus lieu de chercher à voir dans le camp de ce monde, et nous avons d'horribles raisons quotidiennes de nous répéter qu'il n'est plus temps de regarder, c'est là un travail vain, depuis des années les fenêtres n'ayant donné que sur des murs gris quand elles n'ouvraient pas directement sur des champs de cadavres, de nous dire au cas où nous aurions appris en suivant le cours des regards de Clarice, le savoir-voir, en théorie, qu'il n'y a plus d'espace sur cette terre où envoyer la pensée d'un regard, il n'y a plus d'orange à éspérer, de guerre en guerre, la nuit ne cesse de monter, il fait trop froid ici, trop étranglé, trop sanglant, pour que prier ai un sens.
Tout ce qu'il ne faut pas oublier, pas refuser de savoir, de garder blessé en mémoire : la mort, la boucherie, l'indifférence, pour pouvoir arriver devant une orange pleine de vie, il faut penser six millions de cadavres, trois mille têtes nucléaires, ne pas oublier, un milliard d'enchaînés, un milliard d'emmurées, pour mesurer la force mondiale d'un sourire. Pour ne pas oublier les prénoms de présence. Travail : Clarice. Le travail de désoublier, de dé-taire, de déterrer, de se désaveugler et se désassourdir : Clarice nous en donne l'exemple; nous en rappelle l'urgence, la récompense.
Mais trop souvent nous oublions. Nous ne savons plus appeler. Nous parlons silence. Nos langues sont irrespirables. Les noms s'éteignent. Dans le noir les choses ne passent plus. Nous nous oublions. Et tous les jardins deviennent fantômes.Trop souvent nous oublions le nom appelant de l'orange, le vrai nom d'orange, acide, savoureux, les oranges souffrent, toute l'espèce dépérit, s'éteint, et nous aussi dans l'obscurité sans fruits, sans traces des oubliées, nous nous desséchons, nos langues sont déshydratées.
Car il faut savoir ce que nous appelons "Ville", qu'est-ce qu'une ville nous donne à vivre, à fuir, à éviter, à subir, à restaurer, il faut avoir découvert la vérité d'une ville, sa valeur en vie, en mort. Sa valeur en servilité, en humanité. Un voir pour avoir vu les villes jusqu'aux coeurs et jusqu'aux tombes. Il faut savoir le prix humain des choses apparemment bonnes et des choses vraiment bonnes, du nécessaire et de l'inutile. (...) Il faut avoir appris comment habiter humainement le temps : savoir agir lentement; aussi profondément respirer qu'il est nécessaire à une vie pour pousser et se penser humainement. Il faut pouvoir vire selon les lentes saisons d'une pensée. Pour toucher une seule fois d'une vraie caresse, une main vivante.
A l'école de Clarice, nous pouvons, même s'il nous semble qu'il est trop tard, sur cette terre, et trop sombre pour que regarder ai un sens, prendre des leçons de voir vivant;
« On écrit toujours avec une main coupée »
Selon Hélène Cixous, l'écriture ne renvoie pas à un statut ni à une profession, mais à un acte : aussi écrit-elle en collaboration avec les voix qui l'habitent et la traversent. Dans cette perspective on peut à bon droit reprendre la formule par laquelle elle titre une séance de son séminaire : « On écrit toujours avec une main coupée». Ces ouvrages nous confrontent en effet au mouvement même de la vie et de la mort, à la joute entre Eros et Thanatos, au commerce des vivants et des morts. Ils équivalent à bien des égards à « sentir, penser, écrire avec les fantômes ». D'autant qu'à travers eux se déploie un continuel et profond questionnement : qui parle, qui écrit quand « j »'écrit ? On comprend dès lors que, dans ces conditions, Hélène Cixous soutienne : « Transformer sa pensée en poème, parce que c'est cela écrire ».
Première table ronde :
- M. Marc Goldschmit, Directeur de programme au Collège international de philosophie : « Derrida, l'écriture, la littérature » ;
- Mme Marie-Claude Bergouignan, PR émérite, ancienne VP de l'université de Bordeaux IV: "Hélène Cixous et la cause des femmes" ;
- Mme Céline Largier-Vié, MCF Paris 3 : « 'Une présence incalculable' : l'Allemagne d'Hélène Cixous ».
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Note de musique : © mollat
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