Citations sur Disparu à jamais (61)
Les travestis sont souvent très beaux. Mais pas Raquel. Il était noir, environ un mètre quatre-vingt-quinze et confortablement au-delà des cent cinquante kilos. Ses biceps s'apparentaient à des jambonneaux géants, et son ombre me faisait penser à Homer Simpson. Sa voix était si haut perchée qu'à côté de lui les tonalités de Michael Jackson avaient l'air de celles d'un camionneur — on aurait dit Betty Boop gonflée à l'hélium.
— Tu as déjà entendu l'expression : il n'y a point d'athées dans les tranchées?
— Oui.
— Eh bien, c'est faux. C'est même tout le contraire. Quand tu es dans une tranchée, quand tu es face à la mort, c'est là que tu comprends que Dieu n'existe pas. C'est ce qui te pousse à lutter pour survivre, pour respirer encore un coup. C'est ce qui te pousse à faire appel à toutes les entités possibles et imaginables — parce que tu ne veux pas mourir.
Parce qu'au fond de toi tu sais que c'est la fin de la partie. Il n'y a pas d'après. Pas de paradis. Pas de Dieu. Il n'y a que le néant .
Je crois que je ne l'ai jamais vu ni complètement rasé ni vraiment barbu, même pas un petit bouc genre « Deux flics à Miami ». La peau qu'on distinguait par endroits était grêlée. Il portait des chaussures de travail usées jusqu'à la corde. Son jean, qui paraissait avoir été piétiné dans une prairie par un bison, bâillait à la taille, offrant sur son arrière-train la vue plongeante qui fait le charme des dépanneurs. Un paquet de Camel était coincé dans sa manche relevée. Ses dents étaient jaunies par le tabac.
— T'as une sale gueule, a-t-il constaté.
— De ta part, c'est pas des paroles en l'air.
Ça ne vous arrive jamais ? Vous écoutez, vous acquiescez, tout vous parait clair et logique, quand soudain vous relevez un petit détail, insignifiant à première vue, presque sans intérêt - et vous prenez conscience avec angoisse qu'on vous a mené en bateau.
Je me suis secoué. Pas le temps pour ça. Concentre toi sur la tâche à accomplir. Avance. L'action tenait la douleur en respect. Qu'elle te motive donc, plutôt que de te freiner.
L'esprit est capable de ces choses là. Il cherche des issues. Il négocie avec Dieu. Il fait des promesses. Il essaye de se convaincre, que tout est encore possible, que c'est peut-être seulement un rêve, un affreux cauchemar, et qu'il y a moyen de revenir en arrière.
Les gamins ne font pas de vieux os ici. Les dangers physiques, la plupart y survivent. C’est plutôt l’âme, la conscience de soi qui s’érode. Et à un certain niveau d’érosion, eh bien, c’est la fin de la partie.
Tandis qu’on se dirigeait vers la porte de Rose Baker, je n’ai pas pu m’empêcher d’envier les étudiants chargés de sacs à dos qui allaient et venaient autour de nous. J’avais adoré l’université et tout ce qui s’y rapportait. J’aimais flemmarder avec les copains. J’aimais vivre seul, laver mon linge tous les trente-six du mois, manger de la pizza à minuit. J’aimais bavarder avec des profs accessibles, à la dégaine de hippies. J’aimais débattre de sujets élevés et de dures réalités qui ne franchissaient jamais les murs de verdure de notre campus.
On n'en arrive pas là, on n'atteint pas le sommet si on n'est pas un salopard rusé et sans scrupules. Faites montre de faiblesse, et vous êtes mort. Trébuchez, et vous êtes mort. C'est aussi simple que ça.
Et, par dessus tout, ne revenez jamais sur vos positions.
L'amitié est une rue à double sens.