L'ambiance y était aussi érotique qu'une visite chez le proctologue.
Au début, Robby avait été fou d'elle. Il l'encensait en public et en privé. Il était fier d'elle, mais, à force, cette fierté s'était muée en quelque chose qui frôlait l'obsession. Claire se faisait du souci, mais Maya fut la première à remarquer les bleus. Eileen s'était mise à porter des manches longues. Aucune des deux soeurs n'avait réagi car, tout bêtement, elles n'arrivaient pas à le concevoir. Maya croyait que les victimes de violences conjugales étaient plus.... victimaires? Des femmes faibles, pauvre, sans instruction, des femmes sans caractère: celles-là pouvaient s'attirer les coups et les humiliaitons.
Mais les fortes personnalités comme Eileen? C'était inconcevable.
[...]
Le SMS qu'elle avait envoyé à Maya à minuit était concis et précis:
IL VA ME TUER. S'IL TE PLAIT, AIDE-MOI.
Maya avait débarqué chez elle avec la même arme dans son sac à main. Ivre et furibond, Robby avait traité Eileen de sale pute et pire. Il l'espionnait et l'avait vue sourire à quelqu'un dans la salle de fitness. Quand Maya arriva, il était en train de balancer tout ce qui lui tombait sous la main, pendant que sa femme se terrait au sous-sol.
- Tu lui as fait peur.
Maya avait peut-être poussé le bouchon un peu trop loin ce soir-là, néanmoins, parfois, c'est la seule solution.
- Mais quand il a su que tu étais repartie en mission, il est revenu.
- Pourquoi tu n'as pas appelé la police?
Eileen haussa les épaules.
- Ils ne me croient pas. Ils ont un discours formaté. Et puis tu connais Robby. Il peut être si charmant.
Et tu n'as jamais,porté plainte, pensa Maya. Le cercle vicieux de la violence alimenté par un mélange de faux optimisme et de peur.
Les bruits s'étaient tus à jamais.
Il y eut l’obscurité, le silence et, finalement, la paix.
La seule règle fondamentale quant au déroulement d'un combat est qu'on ne peut jamais prévoir le déroulement d'un combat. Il faut être prêt à tout, y compris à ce qui paraît impossible
New Jersey, aujourd'hui. Pour surveiller sa baby-sitter, Maya a installé une caméra dans son salon. Un jour, un homme apparaît à l'écran, jouant avec sa petite Lily. Un homme que Maya connaît bien : Joe, son mari... qu'elle vient d'enterrer. Un choc.
On part à l'autre bout du monde combattre un ennemi enragé. On croit que le danger vient de là, d'un combattant armé, que si votre vie doit voler en éclats ce sera dû à un lance-roquettes, à un engin explosif ou aux balles du fusil d'assaut d'un fanatique. Mais non, l'ennemi avait frappé, comme c'est souvent le cas, là où on s'attendait le moins, sur ce bon vieux sol américain.
Les bruits n'étaient pas seulement autour d'elle, ricochant et se réverbérant. Ils lui transperçaient le crâne, lui trouaient le cerveau, pulvérisaient ses pensées, ses rêves et ses désirs comme des éclats d'obus.
Ce qu'elle avait appris dans l'armée était valable en toutes circonstances : vos camarades devaient pouvoir compter sur vous pour couvrir leurs arrières. C'était le postulat de base, la règle numéro un. Si l'ennemi vous attaque, il m'attaque également.
Il n'y avait pas d'échappatoire, pas de pensée rationnelle. Il n'y avait ni ici ni maintenant, ni hier ni demain. Tout cela viendrait plus tard. En attendant, il n'y aurait que ces bruits qui lui fendaient le cerveau à la manière d'une faux.
"Mais ce sentiment quand on regarde son propre enfant, que le reste du monde passe à l’arrière-plan, simple toile de fond pour cette petite frimousse... ça, elle pouvait le comprendre."