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EAN : 9782330038939
265 pages
Actes Sud (07/01/2015)
3.71/5   55 notes
Résumé :
À bord d’un simple voilier de plaisance, deux jeunes en rupture de ban qui viennent de traverser la France et une adolescente rencontrée sur la côte bretonne tentent de rallier l’Angleterre au départ de Saint-Malo. Un huis clos inquiet, moite et impétueux sublimé par une poésie vénéneuse.
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Sylvain Coher est indéniablement un exceptionnel auteur contemporain de récits maritimes. « Nord-Nord-Ouest », qui a reçu le prix du Festival Étonnants voyageurs en 2015, est certes moins original que son dernier livre, l'incroyable « Étraves », mais il n'en reste pas moins puissant et magnétique, et est serti de descriptions maritimes qui font de Sylvain Coher le digne héritier d'un Pierre Loti, d'un Hemingway ou encore d'un Jack London.

Le titre interpelle immédiatement car il correspond au titre original en anglais du film d'Alfred Hitchcock « La mort aux trousses » qui est en effet « North by Northwest » signifiant en français littéral « Nord-Nord-Ouest ». Mais la direction « Nord-Nord-Ouest » n'existe tout simplement pas, c'est une destination vers nulle part, un voyage sans but. Il existe bien une direction « northwest by north » qui correspond au français à « nord-ouest-quart-nord ».
Une direction qui n'existe pas s'inspirant d'un film d'Hitchcock, un des protagonistes s'appelant Lucky…nous devinons assez vite là où Sylvain Coher veut nous amener. Mais comme tous voyages, ce n'est pas la destination qui compte mais le voyage pour y arriver et, en la matière, la référence à Hitchcock est évidente tant le livre est haletant, frisant par moment avec l'horreur, l'onirisme ou encore le fantastique.

« L'horizon défait se perdait dans la découpe des vagues, comme la ligne de crête d'un massif montagneux. Slangevar grimpait sur des lames plus hautes que lui et retombait chaque fois plus bas qu'ils ne pouvaient le prévoir. Repartait à l'assaut pour parvenir tant bien que mal dans le tremblant. L'étrave recevait toujours la même claque. Puissante, infatigable. le son lugubre se répercutait en vibrant dans les estomacs, tandis qu'un bouquet dentelé fusait dans une gerbe verglacée. L'équilibre au sommet ne durait qu'un court instant, mais il permettait de voir l'étendue du désastre. Un véritable champ de bataille ».

L'auteur est parti d'un fait divers, vieux de plusieurs années, qui l'avait interpelé naviguant lui-même en mer avec un petit voilier du côté de Saint Malo. Une histoire de voilier volé retrouvé en Irlande ou en Écosse, voilier bien trop petit pour naviguer jusque là-bas, sous-équipé pour affronter un territoire maritime réputé très difficile. Des voleurs sans doute inexpérimentés, ayant réussi à traverser la manche et une partie de l'océan Atlantique au périple de leur vie, chanceux sans aucun doute. C'est ce voyage incroyable que Sylvain Coher, désireux de porter son nom parmi les multiples et foisonnants récits maritimes, a tenté de retracer. Et c'est une réussite !

Deux jeunes garçons, Lucky et « le Petit », des garçons en errance, déscolarisés, sont en fuite depuis l'Italie où ils ont été mêlés à une tragique histoire et traversent la France en diagonale, De Marseille à Saint Malo. Leur but est de rejoindre l'Angleterre pour s'éloigner le plus possible du Sud où ils pensent être sans aucun doute recherchés. Ils vivent de vols, vols à l'étalage, vols dans les voitures forcées à coup de barres de fer. A Saint Malo, Lucky s'éprend d'une adolescente à l'allure gothique avec ses cheveux noirs et son rouge à lèvre de la même couleur, dont nous ne connaitrons que le surnom de « La Fille ». Elle rejoint ainsi le groupe, semblant fuir elle aussi ses démons, déclenchant le trouble chez le Petit, à la fois jaloux puisqu'il doit tenir la chandelle entre les deux tourtereaux et partagé avec elle son meilleur ami, et perturbé par cette promiscuité féminine. le roman démarre sur l'errance du trio dans la ville grise dont l'océan est bien différent de la mer Méditerranée auprès de laquelle les deux garçons ont grandi.

« La Manche, c'était autre chose. Une eau de lessive, un fond d'évier. Avec ça, une perpétuelle odeur de marée basse et des moisissures venues des fonds croupis où la vase fermente et macère. le Petit la regardait venir et repartir, avec cet air méfiant qu'il pouvait prendre en d'autres circonstances. Au nord, la mer est aussi grise que les gens, songea-t-il ».

Ils cherchent un moyen de rallier la côte anglaise, semblant découvrir la problématique de la traversée de la Manche seulement en voyant la mer, obstacle pour pouvoir fuir la France, dernier rempart avant d'atteindre l'Angleterre. Alors que Lucky et le Petit sont totalement inexpérimentés, ne connaissant rien aux voiliers, aux techniques de navigation, aux cartes marines, aux instruments de navigation, Lucky, qui commande le trio étant le plus âgé, décide de voler un vieux voilier, un petit et vieux rafiot, une coquille de noix aux doux nom de Slangevar. Seule La fille a eu quelques cours rudimentaires de navigation enfant et connait ainsi les principes de base de la navigation en voilier, ainsi que le fonctionnement de quelques instruments. Elle se révélera durant la traversée et sera un membre primordial de l'équipage, faisant le lien entre les deux jeunes garçons communiquant souvent à coup d'insultes ou de menaces.

Le voyage devait durer deux jours…et il va s'éterniser. le bateau est une prison sans mur, dessus ils vont affronter des tempêtes, un océan déchainé, des vagues gigantesques devenant de hauts murs où l'eau est aussi dure que la pierre, des cargos menaçants, la promiscuité, la peau rongée par le sel, l'incessant mal de mer, les furoncles, les nuits interminables et angoissantes peuplées de chants de sirène et d'hallucinations, les graves blessures, la faim et la soif, sans oublier le froid et l'humidité omniprésente. le trio pensait fuir un enfer, il va vivre un autre enfer.

« Faut avoir navigué pour savoir prier ».

Durant ma lecture, j'avais l'impression d'être ballotée par les flots, d'être sur ce petit bateau et de ressentir les sentiments ambivalents par lesquels passe tour à tour chacun des adolescents. L'espoir, puis la prise de conscience progressive de l'absurdité de leur aventure, la frayeur, le désespoir mais aussi un sentiment de liberté absolue et d'invincibilité, de découverte de soi dans cet environnement austère et dangereux, vaste territoire sans autre limite que sa propre résistance, nous semblons vivre tout cela au plus près d'eux, avec eux. La mer, aussi belle que dangereuse, confronte chacun aux deux autres et à ses propres démons, elle crée une atmosphère de tensions et d'entraide mêlées. Cette atmosphère est par ailleurs propice pour connaitre et s'attacher aux personnages, pourtant sans prénom dont les surnoms seuls nous donnaient en début de lecture un sentiment de vide.

« La mer était noire, sa surface feuilletée semblait dure comme l'ardoise. Slangevar y mordait nerveusement, à croire qu'il était pris par les mêmes tourments ».

Comme dans Étrave, il y a un moment où le roman bascule, une touche fantastique très légère mais bien présente, durant lequel l'auteur prend une certaine liberté et nous laisse pantois avec nos questions…Alors que dans Étraves, cette pointe de fantastique était portée, me semble-t-il, par le personnage féminin dénommée Furieuse, ici c'est La Fille qui finalement se révèle être plus mystérieuse qu'elle n'en a l'air tout au long du roman. Nous la prenons pour une fille paumée qui s'est laissée embarquée par deux voyous, elle va se révéler étonnamment mature et nous nous demandons même à la fin du livre si elle a vraiment existé, s'il ne s'agit pas d'un personnage fictif, une sirène notamment, un personnage fantasmé permettant aux deux garçons de tenir…J'aime beaucoup cette pointe mystérieuse, cette touche d'étrangeté que se permet d'instiller l'auteur.


Ce livre est ainsi un huit clos maritime, un « oceanmovie » oppressant, à la poésie vénéneuse, dans lequel Sylvain Coher entremêle avec brio la technicité précise de la navigation maritime, le suspense d'un drame annoncé, quelques touches de fantastique laissant subtilement le lecteur avec ses questions, sans oublier la beauté des images et la fluidité de la plume. le résultat est sublime et permet à ce voyage d'atteindre une véritable dimension philosophique.


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Dérive entre des rives, de rive à rive arrive poussive une lecture non addictive.
Avec Nord nord ouest de Sylvain Coher, je peux malheureusement dire que je n'ai pas perdu le nord et que j'ai trop souvent été à l'ouest.

J'attendais certainement beaucoup trop de ce livre, j'ai donc été déçu, comme souvent dans ces cas là. La mer n'est qu'un support, un prétexte presque un alibi à ce livre alors que je l'imaginais personnage principal… alors que je l'aurais voulu personnage principal.
L'éditeur promet "des métaphores saisissantes, une poésie vénéneuse "… à doses homéopathiques alors…
J'attendais trop de ce livre alors forcément je l'ai trouvé fade, trop statique (un comble pour l'histoire et la situation vécue), parfois presque de l'ennui tant l'évocation de détails inutiles (faits pour noircir les pages ?)casse le rythme quand il commence à monter en régime.
Déçu aussi car même si l'auteur s'est inspiré d'un fait divers, j'ai rarement pu entrer dans l'histoire, je n'ai pas réussi à y croire plus longtemps que quelques lignes.
Bon, la mer est là quand même et ce n'est pas qu'un effet de Manche.
J'avoue m'être laissé prendre un peu (vraiment très peu) au coeur de la tempête mais en pleine conscience, presque en me forçant comme pour trouver un tronc auquel me raccrocher dans le naufrage de ma lecture.

Ce livre est certainement bon et s'il a été un rendez vous manqué pour moi, ce n'est que par ma faute. Je voulais lire quelque chose, l'auteur en a écrit une autre.

*Penser à ne plus faire l'histoire avant d'avoir commencé un livre*

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Sylvain Coher, Nord, Nord-Ouest, Actes Sud.

Un tour de force qui maintient l'attention à un bon niveau.

Deux petits voyous, accompagnés d'une fille ramassée en chemin, fuient l'Italie pour s'embarquer à Saint Malo ou Roscoff, sur un voilier, le « Slangevar », à destination de l'Angleterre. Fuite, appel du large, ivresse de liberté, chacun décidera.

le récit s'annonce comme dramatique et mouvementé, avec des indices rétroactifs sur un épisode italien antérieur dont on saura bien plus tard la teneur. Mais aussi de mauvais présages pour l'avenir : la « croisière » ne sera pas de tout repos !

L'inexpérience des navigateurs saute aux yeux, l'habileté de l'auteur consiste à bien expliciter techniquement la complexité de la navigation, hors de portée des petits « culs-terreux » intrépides et amateurs maladroits.

« . le voilier fit une embardée lorsqu'elle lâcha la barre. Les voiles se dégonflèrent brusquement et tous trois se retrouvèrent pêle-mêle sur le caillebotis. le bateau effectua une sorte de Z sur son erre, puis un tour gratuit sur lui-même. L'annexe vint cogner contre le franc-bord et la bôme manqua d'arracher les haubans, en sifflant deux fois comme un sabre au-dessus de leurs têtes. »

Sylvain Coher maîtrise bien toutes les situations, les effets délétères du sel, l'inquiétante survenue de la nuit, les appréhensions tacites des acteurs qui ruminent en silence leurs inquiétudes.

Un soupçon d'humour, une touche de fantastique, le récit est dans une mesure que devraient suivre les auteurs maritimes trop portés sur les péripéties. Ici, dans cet « océan-movie » original, tout sonne juste, sans excès, dans un huis clos agité, où les phrases courtes, parfois incomplètes, se succèdent au rythme de vagues imprévisibles, jouets de la houle et des roulis.

Un tour de force - car donner la sensation d'un présent instable, sans se répéter ou lasser le lecteur, c'est l'habileté d'un écrivain aguerri, Lui sait conduire sa barque, bien mieux que les barreurs improvisés…

Finalement le voilier «  Slangevar » gardera le mutisme sur ses errances, sauf à les partager avec le lecteur très secoué par cette aventure maritime insensée.
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Lucky tout juste majeur et le Petit encore adolescent sont arrivés à Saint-Malo. Ils se débrouillent grâce aux vols dans les supermarchés et aux distributeurs automatiques. Une fille s'est entichée de Lucky, le Petit n'aime pas ça car il est jaloux. Lucky et lui sont comme des frères après avoir fuir Marseille et un détour par l'Italie. Depuis, Lucky veille sur lui. Saint-Malo veut dire rejoindre l'Angleterre où ils imaginent la vie facile. Pas question d'aller à Calais pour monter à bord d'un Ferry en tant que clandestins. Trop dangereux, trop de contrôles. Lucky a une idée : traverser la mer à bord d'un bateau qu'ils voleront. La Fille veut les accompagner, le Petit espère que Lucky dira non mais ce dernier accepte. le Petit pense que Lucky frime et qu'il ne mettra pas son plan à exécution. Mais Lucky a repéré un voilier et ils les charge de courses pour la traversée qui ne sera pas longue. Un matin alors qu'il fait encore nuit, les voilà à bord d'un vieux voilier le Slangevar avec de la nourriture, de l'eau, des allumettes, de l'essence pour le moteur. Problème, le moteur ne démarre pas. Ce n'est pas grave, ils navigueront à la voile comme de vrais marins.

La Fille a des souvenirs d'Optimist qui leurs sont bien utiles. Sauf qu'ils n'avaient rien imaginé de la navigation de nuit avec le passage des cargos et l'utilité du matériel nécessaire. Ils n'ont pas de cartes marines mais juste l'Almanach du Marin Breton. le mauvais temps vient s'ajouter et les deux jours de traversées prévus initialement sont déjà loin. Ils sont au milieu de l'océan sans savoir exactement où, ils n'ont pratiquement plus rien à manger et plus d'eau potable. Lucky ne veut pas montrer qu'il est dépassé par les événements tandis que le Petit et la Fille doutent sérieusement. Tout nous laisse à croire qu'une catastrophe sera imminente et la mort également. Je me tais sur la suite..

L'intégralité de la chronique sur : http://claraetlesmots.blogspot.fr/2015/02/sylvain-coher-nord-nord-ouest.html
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J'ai mis beaucoup de temps avant de verser ce billet car perplexe sur mon ressenti.

Un sea movie pourrait-on dire si la mer avait le rôle principal. Ce qui m'a manqué. En fait je suis restée très attachée aux deux garçons, très dépendants l'un de l'autre, bien que l'aîné rudoie sans cesse le plus jeune.

La mer est là mais je la trouve sous employée et finalement je m'attendais à une traversée bien plus périlleuse car vu le manque total d'expérience de navigation, le manque de provisions indispensables pour pallier l'aléa d'une traversée bien plus longue que prévue, je me suis longuement interrogée sur leur chance d'arriver à bon port !

Un amateurisme total qu'on peut attribuer à leur jeune âge, celui où l'on ne doute de rien, sans qu'eux mêmes surestiment leur aptitude à tenter un tel périple.
Notons néanmoins que ce roman est partiellement inspiré d'un fait réel.

Et comment traverser par une mer prétendument agitée avec une baume qui bringueballe parce que désolidarisée du mât ?

Je ne dévoilerai rien de plus. Un petit roman qui se laisse lire car bien écrit mais pas époustouflant.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Ils avançaient, roulaient ou glissaient tandis que l'aube blafarde les repoussait vers la nuit du large. Regarder l'eau filer leur offrait toujours le même sentiment trompeur de vitesse, qu'ils ne retrouvaient pas en observant la côte. Pourtant, la longue trace du sillage était bien nette à la surface. La lumière du jour naissant blanchissait la mousse et l'éparpillait derrière l'annexe, à la traine comme un chien en laisse.
Devant eux, les petites vagues se dénouaient en frisottant contre l'étrave et couraient le long de la coque avec l'insouciance d'un rire enfantin. Venu de nulle part et illuminé comme une barre d'immeuble, un ferry gigantesque leur coupa la route pour rejoindre le port. Sa vitesse dépassait largement la leur. Ses vagues rapprochées firent gigoter Shangevar comme un jouet en polystyrène.
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Plusieurs fois dans la nuit, ils avaient entendu le hurlement lugubre d'une sirène. Sans pouvoir la situer précisément. Parfois, elle semblait venir vers eux. Ils évoluaient à l'aveuglette au beau milieu des méthaniers et des porte-conteneurs perceurs de vagues, filant vingt-cinq nœuds avec sur le dos l'empilement standardisé d'un gigantesque jeu de construction. Avec ça, l'eau calme était d'un vert algueux qui la rendait étrangement lumineuse. La houle couvait sous le joug pesant d'une mer d'huile et le soleil de donnait guère plus qu'un bricolage filamenteux.
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La Manche, c'était autre chose. Une eau de lessive, un fond d'évier. Avec ça, une perpétuelle odeur de marée basse et des moisissures venues des fonds croupis où la vase fermente et macère. Le Petit la regardait venir et repartir, avec cet air méfiant qu'il pouvait prendre en d'autres circonstances. Au nord, la mer est aussi grise que les gens, songea-t-il.
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Dogwatch, c'est ce quart de nuit où le corps flanche et réclame le sommeil. Il gagne à l'usure, libère un flot d'endorphines suffisant pour assommer un cheval. Le froid paralyse les muscles, les pensées décousues deviennent des rêves et débordent la réalité pour paître un peu plus loin. Le seul bruit audible est celui de la mer, il recouvre tous les autres. La cinquième ou la sixième vague vous réveille presque aussi vite que les précédentes vous avaient endormi. Dogwatch, La veille du chien est entrecoupée par les soubresauts nerveux du chanfrein, les oreilles restent en alerte pour décoder en permanence le morse complexe venu de l'univers en mouvement. Des ondes et rien de plus. L'eau profonde, le compas titubant dans sa bulle et les voiles assombries par le renflement des cernes.
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Au début, on allait à Calais. C’était Calais et juste après, l’Angleterre des Anglais. Sur la carte, on aurait pu y aller à pied, dit le Petit. Juste avant de lancer la pierre qu’il tenait dans sa main. Demande-lui, toi, pourquoi qu’on est là ! Saint-Malo, c’était pas prévu au départ. Ma parole, Saint-Malo, on savait même pas où c’était !
Je vais pas où tout le monde va, dit Lucky.
Et tu vas où ?
Où je vais, c’est jamais trop loin.
À Calais, les mecs sont cachés dans la forêt.
Ferme ta bouche.
Pour passer, faut de la maille.
Ferme-la, j’te dis.
Y a les ferries, dit la Fille. En montrant l’eau devant eux, comme si un monstre blanc allait surgir et leur tendre une passerelle. De Saint-Malo à Portsmouth, faut compter une dizaine d’heures. Je l’ai fait avec mes parents. En partant le soir, on arrive le matin.
Non mais quelle conne !
La pierre frôla l’aile du goéland. Celui-ci fit mine de vouloir décoller et finalement se ravisa, en leur tournant le dos. Les deux pattes profondément enfoncées dans le ventre.
Lâche l’affaire, c’est mort. Les ferries. Le comité d’accueil au départ et à l’arrivée. Procédure Dublin, tu vois. Le flashage des empreintes digitales, tout ça.
Je sais pas si y a du monde qui cherche à embarquer, commenta la Fille. Les joues roses et les yeux brillants. Ici c’est tranquille, ajouta-t-elle. C’est que des vieux et des touristes.
Alors c’est pire.
On tient parce qu’on est invisibles.
On a bébar la cape à Harry Potter, ajouta le Petit.
Il leur tendit le paquet de cookies entamé. Lucky se leva et vint se rasseoir contre la Fille. Passa ses bras sur ses épaules, prit une voix rauque en regardant la mer. La Fille semblait lointaine. Perdue dans le retranchement d’une grotte ou d’un bunker, à travers les parois duquel les bruits du monde lui parvenaient assourdis. Lucky la chatouilla, souffla doucement dans son oreille. Respira ses cheveux. Murmura qu’avec l’anglais tout serait plus simple. L’anglais, c’était un uniforme. Comme à l’école.
On apprendra.
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0:00:15 Introduction 0:01:02 Clément Camar-Mercier 0:11:47 Yasmine Chami 0:22:56 Sylvain Coher 0:33:49 Lyonel Trouillot 0:44:09 Clara Arnaud 0:55:03 Loïc Merle 1:06:13 Mathias Enard
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