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EAN : 9782266332866
208 pages
Pocket (07/09/2023)
3.58/5   76 notes
Résumé :
Que désires-tu ?
Écrire est la réponse que je donne à une question qu’on ne me pose pas.

Un jour une amie meurt, et en mourant au monde elle me fait naître à moi-même. Ce qui nous unit : un livre. Son dernier roman, mon premier roman, enlacés dans un seul volume. Une si belle histoire.
Cinq ans plus tard, le sol se dérobe sous mes pieds à la lecture d’un autre livre, qui brise le silence d’une famille incestueuse. Mon cœur se fige ; je ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
3,58

sur 76 notes

°°° Rentrée littéraire 2022 #2 °°°

Le 7 janvier 2021 la parution de la Familia grande ( Camille Kouchner ) révèle l'inceste commis par l'éminent politiste Olivier Duhamel, et le silence de la mère de la victime, Evelyne Pisier, qui savait et s'est tue . Pour Caroline Laurent, née en littérature avec Et soudain la liberté, écrit à quatre mains avec Evelyne Pisier qui lui confié sa mémoire, son passé et sa jeunesse pendant six mois d'amitié intense, l'amie d'Olivier Duhamel après la mort brutale d'Evelyne, c'est « la catastrophe ». Ce que nous désirons le plus raconte l'année vécue par Caroline Laurent après la déflagration, ou comment se reconstruire après le choc et renaître.

D'emblée, on est frappé par la sincérité et la liberté de la mise à nu de cette écrivaine qui croit devenir folle en découvrant la vérité, harcelée par les médias qui cherchent des témoins appartenant au camp des bourreaux. Comme si elle endossait le rôle de la complice. A-t-elle été manipulée ? pourquoi n'a-t-elle rien deviné ? l'amitié avec le couple incestueux était-elle sincère de leur part ? Caroline Laurent trouve les mots idoines pour décrire la violence tangible de ce qu'elle a ressenti :

« le sol s'est ouvert en deux. Autour de moi avait commencé à grouiller une terre noire et gluante. C'était une terre pleine de doigts. Les fantômes m'appelaient. »
« On a coupé mes mains et pourtant elles me brulent. »
« Quand je n'écris pas ma tête hurle. du bruit dedans, du bruit dehors, du bruit à en devenir dingue. J'écris pour retrouver le silence. »

Une douleur, diffuse, irrationnelle l'empêche d'écrire comme avant, avortant ainsi son roman qui était en cours et lui semble désormais à la fois dérisoire et faux. le surgissement d'un réel inimaginable lui rend impossible toute tentative d'écriture.

« L'impossibilité d'écrire n'est pas le silence. Ce serait même l'inverse. Quand je n'écris pas, ma tête hurle. du bruit dedans, du bruit dehors, du bruit partout, du bruit à en devenir dingue. J'écris pour retrouver le silence. J'écris aussi pour danser. le silence est espace, et l'espace est mouvement. Ne pas y arriver fait de moi une paralysée, assignation intolérable, comme est intolérable la danse qui bout dans les veines, se cherche un corps et ne rencontre pour s'exprimer que des membres amputés. »

Les deux premiers chapitres sont absolument passionnants dans la réflexion impulsée par ce drame qui empoisonne sa chair. On a l'impression d'être dans la tête de l'auteure qui questionne avec classe et intelligence son chagrin et sa sidération afin de comprendre pourquoi elle s'est effondrée. A partir du chapitre 3, elle décide d'enquêter sur sa douleur, cherchant les manques et les lignes de fuites dans son histoire familiale, interrogeant ses origines et son couple, dans le même élan qui la pousse à fuir à l'étranger, à marcher dans la nature, seule. Ce récit de reconstruction passant par le voyage, la marche et la nature est plus classique, moins puissant que les chapitres précédents mais toujours porté par la même qualité d'écriture.

Dans cette aventure intérieure, son objectif est de reconnecter à son désir (comme l'exprime très bien le titre, tiré d'une citation du Coût de la vie, de Deborah Levy) et donc à l'écriture. Cela passe par des amitiés littéraires qui l'accompagnent durant toute cette année à guérir. Deborah Levy donc, Joan Didion et surtout Annie Ernaux qui lui dit que l'écriture est «comme un couteau» dont il faut accepter le danger ou encore « D'avoir vécu une chose, quelle qu'elle soit, donne le droit imprescriptible de l'écrire. »

Ainsi accompagnée, tout ce qu'elle dit sur le pouvoir de l'écriture, qui permet de mettre à distance le chagrin et ainsi pousse vers une projection qui déparalyse, est vraiment très juste et permet de faire connaissance avec cette écrivaine qui parvient à mettre l'urgence de ses tripes en mots sans aucune impudeur ni afféterie . Sa sensibilité a rencontré la mienne, me donnant encore plus envie de lire ses prochains romans.
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Il était nécessaire, ce livre. Cette confession d'un mal-être qui bouscule tout, les suites d'une trahison d'autant plus douloureuse qu'elle fut une surprise totale. L'amitié si forte, si unique, si inattendue que les révélations de la presse font voler en éclats, brisant d'un seul coup le miroir aux alouettes. le décès de l'amie perdue rend illusoire toute confrontation rédemptrice. Il ne reste que les mots pour dire le malaise, pour transcrite l'amertume et le désespoir.

C'est avec beaucoup d'émotion, de colère, et de tristesse que Caroline revient sur son premier récit, qui parlait de cette rencontre si chaleureuse, si forte et ce partage avec Evelyne Pisier, qui a seulement omis de lui parler de ce qui ne pouvait se dire. Sa mort interdit l'accès à une tentative de justification. Oubli volontaire ou mémoire occultée par les conséquences du drame.

Les séquelles sont si lourdes que d'autres ruptures s'en suivront et la nécessité de solitude, de trait tiré sur un passé douloureux, d'une fuite pour se retrouver.

Manipuler les mots est un art délicat et une arme à double tranchant. C'est aussi une thérapie qui s'offre, un exutoire et un partage et un plaisir pour le lecteur empathique.

Ce récit conforte dans l'idée que Caroline Laurent sait user du langage pour convaincre, et fidéliser des lecteurs acquis à sa cause.


208 pages Les Escales 18 Août 2022
#Cequenousdésironsleplus #NetGalleyFrance

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Caroline Laurent a vécu une belle expérience en écrivant avec Evelyne Pisier « Et soudain la liberté » qui m'attend toujours dans ma PAL et dans lequel la comédienne racontait ses souvenirs, son enfance. Quelques années plus tard, son amie meure et elle apprend avec stupeur qu'elle était au courant de l'inceste commis par son époux Olivier Duhamel sur Camille Kouchner et qu'elle n'a jamais rien dit.

Comment réagit-on quand on apprend ce secret tragique, cela ne risque -t-il pas de remettre en cause l'amitié ? Et en parallèle, comment accepter que cet homme qu'elle aimait ait pu commettre un tel acte. L'auteure nous propose une très belle réflexion, sur l'amitié, les secrets, la confiance, le chagrin de ne pas avoir été dans la confidence et sous-entendu n'avoir rien vu donc rien pu faire.

J'avais une amie, et je l'ai perdu deux fois. Ce que le cancer n'avait pas fait, le secret s'en chargerait.

L'auteur revient sur la fragilité d'Evelyne Pisier son besoin d'être aimée, de recevoir l'amour d'un père perdu trop tôt et qui laisse un vide immense, et un manque de confiance un soi.

On ressent une énorme culpabilité chez Caroline Laurent qui se reproche de n'avoir rien vu rien deviné et en même temps d'avoir aimé (apprécié serait plus adapté) cet homme qui n'a pas hésité à l'appeler quand l'affaire a éclaté.

Sans le savoir, j'avais été l'amie d'un homme incestueux, et l'amie d'une femme qui n'avait pas dénoncé cet inceste. Pire, j'avais été la plume de cette femme-là. de toutes ces fautes, laquelle était la plus grave ?

Elle aborde le chagrin de la perte, du décès de son amie, et en parallèle le chagrin de ne pas avoir deviné, ce qui rend le deuil tellement compliqué, avec ce sentiment d'avoir été manipulée, voire complice.

Cette culpabilité va avoir des conséquences sur sa vie, son couple, la conduisant à l'éloigner quelques temps direction les îles Féroé, lieu idéal pour faire le point, car comment ne pas sombre dans la folie quand des pensées aussi sombres hantent l'esprit constamment. L'éloignement, dans un milieu totalement étranger dans le climat, la culture, les paysages, incline à la méditation.

L'auteure se demande comment écrire, comment trouver les mots quand on a été plongé dans un tel état de sidération, mais aussi comment survivre, voire se reconstruire. Dans sa réflexion, elle invite des écrivains qui ont écrit sur la souffrance, le chagrin, la folie, avec des citations en harmonie avec son raisonnement intérieur. Ce qui nous donne un récit touchant, plein d'émotions, sans pathos, ni victimisation.

J'ai eu beaucoup de plaisir à retrouver la plume de Caroline Laurent, car j'avais eu un coup de coeur pour son précédent roman « rivage de la colère », alors j'ai fait durer le plaisir car j'ai ressenti beaucoup d'empathie pour ce récit, il fallait digérer les émotions, ne pas se laisser envahir par elles. J'ai toujours envie de lire « Et soudain la liberté », tout en me demandant si ce n'est pas trop tard.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.

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« Que désires-tu ? Écrire est la réponse que je donne à une question qu'on ne me pose pas. »

De Caroline Laurent, j'ai beaucoup aimé Rivages de la colère, roman engagé qui faisait découvrir un pan méconnu de l'histoire de l'indépendance de l'île Maurice.

Et vous, peut-être avez-vous lu Et soudain, la liberté : un livre commencé à partir des confidences d'Evelyne Pisier, terminé après sa mort par l'autrice, qui avait noué une amitié étroite avec cette femme et son deuxième mari, Olivier Duhamel.

Nous y voilà. #EvelynePisier, #OlivierDuhamel, #CamilleKouchner, #LaFamiliaGrande : si vous ne connaissez pas la suite, suivez les hashtags, je suis certaine qu'ils vous renseigneront.

Du moins, ils vous renseigneront sur ce que la presse a raconté. Cela peut être utile : « Ce que nous désirons le plus » tourne autour de l'affaire qui a éclaté en janvier 2021 et qui s'est doublée pour Caroline Laurent d'une trahison, sans rien en raconter.

Car elle « ne veut pas de drama », ni de la « parole sociale » qu'on attend d'elle. On comprend que le monde d'avant a volé en éclats, qu'elle est solidaire des victimes, mais qu'elle n'en parlera pas : je n'en parle donc pas non plus.

Pourtant, « de quoi ai-je le chagrin de me souvenir ? », ajoute-t-elle… Comment a-t-elle fait face à cette situation qui l'a mise dans la position intenable où elle sait qu'on la perçoit simultanément trahie et complice ?

Eh bien, ce tsunami a fait effraction dans sa vie, c'est vrai, mais est-ce que sa vie allait bien, avant cela ? A quoi retardait-elle le moment de se confronter ? Quel sens donner aux répétitions de dates et de cycles ? le drame n'a-t-il pas été le moment de regarder en face tout ce qui dans sa vie était impensable, pour s'appuyer dessus et devenir elle-même ?

« Il y a de quoi devenir fou, croyez-moi ». de quoi devenir folle, ou alors, de quoi écrire et faire la paix avec le mot imprononçable, « manipulée ». Parce que cette fois encore, comme dans son adolescence meurtrie, l'autrice a été contrainte de « laisser la place au rêve qui seul peut contrer l'absence », à « parler une langue inconnue qui dormait au fond [d'elle] ». Caroline Laurent est peut-être éditrice, mais cette manière de réagir à l'indicible, c'est avant tout celle d'une autrice.

La citation de Deborah Levy qui donne son titre au livre figure en exergue et est aussi une des conclusions du livre, mais, comme le dit Caroline Laurent, ces mots transportent à la première lecture. « A priori, le chaos représente notre pire crainte, mais j'en suis venue à croire que c'est peut-être ce que nous désirons le plus. »

A l'arrivée, « Ce que nous désirons le plus » est un livre qui devait forcément paraître un 18 août et que chacun de nous peut lire en se demandant à son tour à quoi il retarde le moment de se confronter. Car si Caroline Laurent a fait la paix avec le souvenir d'Evelyne Pisier, alors croyez-moi, nous pouvons y puiser de quoi faire la paix avec beaucoup de drames.

Merci à NetGalley et les éditions Les Escales qui m'ont permis de découvrir ce livre.
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Quand la vie vole en éclats

Avec ce bouleversant témoignage Caroline Laurent raconte le choc subi par les révélations de Camille Kouchner et les mois qui ont suivi. Un livre précieux, manuel de survie pour temps difficiles et engagement fort en faveur de la chose écrite.

Après le somptueux Rivage de la colère, on imaginait Caroline Laurent tracer son sillon de romancière à succès. Un parcours entamé avec Et soudain, la liberté, paru en 2017, un roman écrit «à quatre mains et deux âmes» avec Evelyne Pisier et qui connaîtra un très grand succès. Quand nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois au printemps 2020, elle me parlait avec enthousiasme de ses projets, de son souhait d'indépendance avec la création de sa propre structure, mais aussi du manuscrit de son prochain roman auquel elle avait hâte de s'atteler après sa tournée des librairies et manifestations. Mais tout va basculer en début d'année 2021 quand le nom d'Evelyne Pisier va réapparaître. Cette femme libre avait un autre visage. Dans le livre-choc de Camille Kouchner, La Familia grande, on apprend qu'elle savait tout des violences sexuelles, de l'inceste dont se rendait coupable son mari Olivier Duhamel et qu'elle préférera garder le silence.
C'est précisément le 4 janvier 2021 que Caroline Laurent découvre cette autre vérité en lisant un article dans la presse. Une date qui restera à jamais gravée dans sa mémoire. La romancière aurait pu l'appeler «le jour de la déflagration», ce sera «le jour de la catastrophe». le choc la laissera exsangue et emportera son don le plus précieux. Elle n'a plus les mots. Elle est incapable d'écrire. A-t-elle été trompée? Où se cache la vérité?
Durant toutes les conversations que les deux femmes ont partagées, jamais il n'a été question de ce lourd secret, même pas une allusion. Evelyne protégeait son mari. Cette Familia Grande, dont elle faisait désormais un peu partie, laissait derrière elle un champ de ruines. À la sidération, à la trahison, à l'incompréhension, il allait désormais falloir faire front. Essayer de comprendre, essayer de dire tout en ayant l'impression d'être dissociée de ce qu'elle avait écrit. Comment avait-t-elle pu ne rien voir, ne rien sentir. Ni victime, ni coupable, mais responsable. Mais comment peut-on être complice de ce qu'on ignore?
Elle comprend alors combien Deborah Levy a raison lorsqu'elle écrit dans le coût de la vie que quand «La vie vole en éclats. On essaie de se ressaisir et de recoller les morceaux. Et puis on comprend que ce n'est pas possible.» Avec ces mots, ceux d'Annie Ernaux, de Joan Didion et de quelques autres, elle va forger cette conviction que ce n'est que par l'écriture qu'elle parviendra à trier le bon grain de l'ivraie, l'autrice va chercher sinon la vérité du moins sa vérité. Elle commence par re-explorer la relation qu'elle avait avec la vieille dame de 75 ans et finira par entendre de la bouche de son amie Zelda les mots qui la feront avancer: «Elle t'aimait. Elle t'aimait vraiment.»
Voilà son engagement d'alors qui prend tout son sens. Et si s'était à refaire…
Puis elle apprend la patience et l'éloignement, alors que la meute des journalistes la sollicite. Elle veut prendre de la distance, ce qui n'est guère aisé en période de confinement. Et comprend après un échange avec son ami comédien, combien Ariane Mnouchkine pouvait être de bon conseil. En voyant qu'il ne trouvait pas son personnage, elle lui a conseillé de «changer d'erreur».
Alors Caroline change d'erreur. Elle comprend que son livre ne doit pas chercher où et comment elle est fautive, car de toute manière, elle referait tout de la même manière, mais chercher à transcender le mal, à construire sur sa douleur.
Elle nous offre alors les plus belles phrases sur l'acte d'écrire: «Il y a de l'érotisme dans l'écriture, un érotisme naturel, onaniste. On cherche le mot juste, la caresse souveraine. Désirer est le mouvement subaquatique de l'écriture, c'est son anticipation et sa rétrospective - l'infini ressac du texte.»
En cherchant les lignes de fuite de son histoire familiale, en parcourant les chemins escarpés des îles Féroé – vivre à l'écart du monde est une joie – en trouvant dans la solitude une force insoupçonnée, elle nous propose une manière de panser ses blessures, de repartir de l'avant. Un témoignage bouleversant qui est aussi un chemin vers la lumière.


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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
Je me souviens du message de mon éditeur au réveil le lundi. Quelque chose n’allait pas. Un « problème », des « nuages sombres » concernant « notre ami commun » (se méfier des mots banals, usés jusqu’à la corde, que l’inquiétude recharge brusquement en électricité).
Je me souviens que la veille, dans une boutique de Saint-Émilion, ma mère m’offrait un bracelet pour prolonger Noël et fêter un prix littéraire qui venait de m’être décerné. Il s’agissait d’un cuir sang combiné à une chaînette de pierres rouges, de l’agate, symbole d’équilibre et d’harmonie.
Je me souviens du soleil blanc sur la campagne, des reflets bleus lancés par le cèdre. Sur la branche nue du lilas des Indes, une mésange semblait peinte à l’aquarelle.
Je me souviens du thé en vrac au petit déjeuner, « Soleil vert d’Asie », mélange du Yunnan aux notes d’agrumes, qui avait le goût étrange du savon.
Je me souviens de l’attente, ce moment suspendu entre deux états de conscience, l’avant, l’après, l’antichambre de la douleur, moratoire du cœur et de l’esprit.
Je me souviens d’avoir pensé : Je sais que je vais apprendre quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Et juste après : Tout peut être détruit, tout peut être sauvé.
Je me souviens du regard inquiet de ma mère.
Je me souviens de la citation de Diderot dans la chambre jaune, ma grotte d’adolescente aux murs tatoués d’aphorismes : « Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir. »
Je me souviens d’un coup de téléphone, de mon ventre qui cogne et d’une voix qui me répète : « Protège-toi. »
Je me souviens des rideaux aux fenêtres de ma chambre, la dentelle ajourée, les motifs d’un autre âge, on appelle ça des « rideaux bonne femme », pourquoi cette expression ? J’aurais dû voir le monde, je ne voyais plus que la fenêtre.
Quelques jours plus tôt, je me souviens que je regardais La vie est belle de Frank Capra, touchée par la dédicace finale de l’ange gardien à George, le héros : « Cher George, rappelle-toi qu’un homme qui a des amis n’est pas un raté. »
Je me souviens du téléphone qui vibre vers 17 heures.
L’impensable.
Je me souviens de l’article de journal, de la photo officielle de mon ami, du mot accolé à la photo. Tout éclate.
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(Les premières pages du livre)
C’est un livre que j’écrirai les cheveux détachés.
Comme les pleureuses de l’Antiquité, comme Méduse et les pécheresses. Le geste avant les phrases : défaire le chignon qui blesse ma nuque, jeter l’élastique sur le bureau, et d’un mouvement net, libérer ma chevelure. Libérer est un mot important, je ne vous apprends rien.
Nous devons tous nous libérer de quelque chose ou de quelqu’un. Nous croyons que c’est à tel amour, à tel souvenir, qu’il faut tourner le dos. Et le piège se referme. Car ce n’est pas à cet amour, à ce souvenir, qu’il convient de renoncer, mais au deuil lui-même. Faire le deuil du deuil nous tue avant de nous sauver – sans doute parce qu’abandonner notre chagrin nous coûte davantage que de nous y livrer.
Durant des mois, je me suis accrochée à mon chagrin. À mes lianes de chagrin. Il me semblait avoir tout perdu, repères, socle et horizon. Le feu lui-même m’avait lâchée : je ne savais plus écrire.
À la faveur d’une crise profonde, que je qualifiais volontiers de catastrophe, j’avais perdu les mots et le sens. Je les avais perdus parce que j’avais perdu mon corps, on écrit avec son corps ou on n’écrit pas, moi, j’avais perdu mon corps, et ma tête aussi.
Un jour que j’étais seule dans mon appartement, l’envie m’a prise d’ouvrir un vieux dictionnaire. Les yeux fermés, j’ai inspiré le parfum ancien de poivre et de colle, puis j’ai approché mes lèvres du papier. Je voulais que mon palais connaisse l’encre
du monde.
De la pointe de ma langue, j’ai goûté la folie. Elle m’a paru bonne et piquante.
Cette petite a le goût des mots, disait-on de moi enfant. Aujourd’hui je sais que ce sont les mots qui ont le goût des humains. Ils nous dévorent.
Ils nous rendent fous. Folium en latin – pluriel folia – signifie la feuille. La feuille de l’arbre bien sûr, et par extension celle de papier, le feuillet. Au XVe siècle, folia, ou follia, s’est mis à désigner une danse populaire caractérisée par une énergie débridée. Souvenir de l’Antiquité peut-être, quand sur le Forum ou dans les rues d’Herculanum on entendait des hommes crier, éperdus de désir : « Folia ! » Folia,
nom de femme. Ainsi la définissait le Gaffiot. Je n’imaginais pas de Folia laides. Folia était le nom d’une beauté sauvage, indomptable, et je voyais d’ici, pressant amoureusement les hanches, les longs cheveux noirs roulés en torsade. La folie convoquait donc la danse, l’écriture et la femme.
Le décor était planté.
Pendant un an, moi la danseuse, l’écrivaine et la femme, j’ai lutté pour ne pas devenir folle. Je ne parle pas de psychiatrie, mais de cette ligne très mince, très banale, qui vous transforme lorsque vous la franchissez en étranger du dedans. J’avais libéré de moi une créature informe comme de la lampe se libère le mauvais génie. Cette créature se dressait sur mon chemin où que j’aille, où que je fuie. Je ne la détestais pas pour autant. Je crois surtout que je ne savais pas quoi penser d’elle. La seule manière de l’approcher, c’était de l’écrire.
Mais l’écriture me trahissait, l’écriture ne m’aimait plus.
L’évidence brûlait.
J’avais devant moi de beaux jours de souffrance.
Les fantômes portent la trace de leurs histoires effilochées et c’est pour cela qu’ils reviennent. Ils attendent d’en découdre, c’est-à-dire de voir leur histoire reprisée par ceux qui leur survivent.

I
Résurrection des fantômes
L’histoire aurait commencé ainsi: J’avais une amie, et je l’ai perdue deux fois. Ce que le cancer n’avait pas fait, le secret s’en chargerait.

(J’aimais les secrets, avant. Je les aimais comme les nuits chaudes d’été quand on va, pieds nus dans le sable, marier la mer et l’ivresse. Aujourd’hui je ne sais plus. Le monde a changé de langue, de regard et de peau. Je ne sais plus comment m’y mouvoir. J’ai désappris à nager, moi qui avais choisi de vivre dans l’eau.)

Une trahison. Une amitié folle piétinée de la pire des façons, une tombe creusée dans la tombe. Oui, l’histoire aurait pu être celle-là. Je l’ai longtemps cru moi-même, m’arrimant à cette idée comme aux deux seules certitudes de ma vie : Un jour nous mourons. Et la mer existe.
Après la mort, il n’y a rien.
Après la mer, il y a encore la mer.

J’avais cédé aux sirènes, je m’étais trompée. L’histoire n’était pas celle de mon amie deux fois perdue, mais un champ beaucoup plus vaste et inquiétant, qui ne m’apparaîtrait qu’au terme d’un très long voyage dans le tissu serré de l’écriture.

Le lundi 4 janvier 2021, ma vie a basculé. Le lundi 4 janvier 2021, je suis tombée dans un trou. Graver la date est nécessaire pour donner à cet événement un corps et un tombeau. Tout ce qui suivrait me paraîtrait tellement irréel.

Ce lundi 4 janvier 2021, j’ai planté ma langue tout au fond d’une bouche d’ombre. Après la mort, il n’y a rien ? Illusion. Ceux que nous aimons peuvent mourir encore après leur mort. La fin n’est donc jamais sûre, jamais définitive. J’aurais dû le savoir, moi la lectrice d’Ovide. Eurydice meurt deux fois sous le regard d’Orphée. Les Métamorphoses ne m’avaient rien appris.

Aujourd’hui je veux qu’on me réponde, je veux qu’on me dise. Où va l’amour quand la mort frappe ?

Jusqu’à ce lundi 4 janvier 2021, mon amie disparue n’était pas morte pour moi ; elle avait trouvé une forme d’éternité dans un livre que nous avions écrit, d’abord ensemble, puis moi sans elle. La nuit infinie ne nous avait pas séparées. J’étais devenue un tout petit morceau d’elle, comme elle avait emporté un tout petit morceau de moi, loin sous les limbes. La fiction avait aboli la mort.

Avec les révélations, le sol s’était ouvert en deux. Autour de moi avait commencé à grouiller une terre noire et gluante. C’était une terre pleine de doigts.

Les fantômes m’appelaient.


Le roman qui nous unissait, mon amie et moi, ce roman commencé à quatre mains et achevé à deux âmes (la formule me venait d’une délicate libraire du Mans et m’avait immédiatement saisie par sa justesse), débutait ainsi :

« On me prendra pour une folle, une exaltée, une sale ambitieuse, une fille fragile. On me dira : ‘‘Tu ne peux pas faire ça’’, ‘‘Ça ne s’est jamais vu’’, ou seulement, d’une voix teintée d’inquiétude : ‘‘Tu es sûre de toi ?’’ Bien sûr que non, je ne le suis pas. Comment pourrais-je l’être ? Tout est allé si vite. Je n’ai rien maîtrisé ; plus exactement, je n’ai rien voulu maîtriser. »

Je ne voulais rien maîtriser ? J’allais être servie.

« 16 septembre 2016. Ce devait être un rendez-vous professionnel, un simple rendez-vous, comme j’en ai si souvent. Rencontrer un auteur que je veux publier, partager l’urgence brûlante, formidable, que son texte a suscitée en moi. Puis donner des indications précises : creuser ici, resserrer là, incarner, restructurer, approfondir, épurer. Certains éditeurs sont des contemplatifs. Jardin zen et râteau miniature. J’appartenais à l’autre famille, celle des éditeurs garagistes, heureux de plonger leurs mains dans le ventre des moteurs, de les sortir tachées d’huile et de cambouis, d’y retourner voir avec la caisse à outils. Mais là, ce n’était pas n’importe quel texte, et encore moins n’importe quel auteur. »
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Comment négocier avec le souvenir ? Comment concilier le regard de l'être aimé, si doux, si sincère, et le visage déformé de celui qu'on n'a pas vu, pas deviné ? Comment penser aujourd'hui à ces personnes que j'aimais, et que veut dire aimer des personnes dont je découvre les plus noirs secrets? ( P.71)
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Le chagrin est un pays de silence. On le croit à tort bruyant et démonstratif, mais c'est la joie qui s'époumone partout où elle passe. Le chagrin, le vrai, commence après les larmes. Le chagrin commence quand on ne sait plus pleurer.
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Je commençais à le comprendre, nos stratégies de contournement. si élaborées soient-elles, nourrissent toujours nos futures défaites. dans le fond, c’est peut-être ce que nous recherchons : que quelque chose en nous se défasse. l’écriture est une voie tortueuse pour accéder à ce délitement, conscient ou pas. C’est comme si elle nous précédait, comme si elle savait de nous des choses que nous-mêmes ignorons. Qu’on la dise romanesque, autobiographique, intime ou engagée, la littérature nous attend déjà du mauvais côté. Celui où nous tomberons. Elle nous échappe en nous faisant advenir à nous-mêmes, nous pousse à écrire ce que jamais on ne dirait, sans doute pour assouvir notre désir de connaître, de nous connaître (cette pompeuse libido sciendi détaillée par Saint Augustin et Pascal, qui forme avec le désir de la chair et le désir du pouvoir l’une des trois concupiscences humaines).
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Caroline Laurent vous présente son ouvrage "Ce que nous désirons le plus". Parution le 18 août 2022 aux éditions Les escales. Rentrée littéraire automne 2022.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2642081/caroline-laurent-ce-que-nous-desirons-le-plus
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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