Ce bref essai de
Jean-Louis Comolli, auteur du très important « Cinéma contre spectacle », est né d'une réflexion sur la non-sélection dans un festival spécialisé de son dernier documentaire. Il en élargit rapidement le spectre d'analyse, de manière brillante et accessible, au cinéma en général, reflets des changements sociaux, de la manière de « consommer » la culture; comme une pensée qui s'élabore à partir d'une conversation débutée il y a quelques temps.
Certains aspects paraissent datés, dans le sens que leur défaite est déjà consommée, en commençant par son insistance sur l'importance de montrer le cinéma dans ce qui était naguère des temples dédiés, aujourd'hui multiplex-parking-fastfood, hors quelques exceptions (le réseau Utopia dans le sud de la France me vient en tête); le regretté
Serge Daney, qu'il évoque dans son livre, en parlait déjà dans les années 90 dans son « Devant la recrudescence des vols de sacs à main ». On comprend tout à fait cette injonction, mais elle passe pour une forme de purisme — tel le mélomane qui vous parle de ses exigences — à l'heure de Netflix, du tout-tout-de-suite, ainsi que de l'opposition possible, personnelle, de ces expériences audio-visuelles intensément émotionnelles, juste à l'aide d'un écran de 15 pouces (mais avec un très bon son, détail qu'il n'inclue pas comme décisif dans son texte, c'est Michel Chion qui va faire la gueule…) comme l' exemple de Twin Peaks, dans sa 3ème saison, 25 ans après, objet « télévisuel » total, permettant au fan de faire cesser à tout jamais l'inassouvissement permanent propre à la consommation de séries, et d'enfin se consacrer à ce qui est le plus important : la littérature…(sic)
Galéjade, pour enchainer sur la partie la plus profonde de l'essai, cette réflexion sur le temps, sur la nouveauté permanente, sur la nécessité de conserver, de préserver au lieu de vouloir toujours transformer, consommer, etc. Les va-et viens entre une pensée universalisante, et son application à son domaine d'expertise, le documentaire, sonnent justes, même si j'ai bien tiqué quant à son rejet en bloc de l'oeuvre de Jean
Libon & co. « Strip-tease », qu'il juge à la manière de ce qu'il dénonce : partialement, rapidement, comme un bloc homogène de moqueries, alors que c'est avant tout une émission qui a fait école, en Belgique et ailleurs, d'une forme de documentaire sans artifices. Il s'arrête sans doute à des épisodes appelant, en premier rideau, à la raillerie de pauvres hères, mémoire collective de ces moments-phare, comme le fameux « j'aime ta kette » devenu gimmick pour les Belges, faisant oublier la dimension sociale de ces morceaux de vie-télévision.
Le long-métrage de cinéma « Ni juge ni soumise » prolonge cette voie, avec Yves Hinant à la caméra, et un joli succès critique et commercial, toujours pas du goût de notre auteur, ce qui pour cabotiner pourrait être qualifié de jalousie, plus sérieusement d'incompréhension, ce film étant selon moi horriblement horripilant, d'une ambivalence permanente, de rire et d'effroi, à la discrétion du spectateur.
En filigranes, on y lira une forme de plaidoyer décroissant et anti-capitaliste, conséquence logique à toute pensée honnête et holistique de ces dernières années.
Texte riche et condensé, adressé à chaque lecteur ou spectateur (ce qui me place en désaccord avec l'une des critiques), confirmant tout le bien-pensé envers les éditions Verdier, chaudement remerciées pour l'envoi de ce livre (ainsi que notre plateforme préférée), et qui donne bien-sûr l'envie d'approfondir en visionnant son dernier film, «
Nicolas Philibert: hasard et nécessité », auquel on revient à la fin de l'essai, nous laissant après quelques nonante pages à des réflexions débordant le cadre et les pages.