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Roman fleuve où j'ai bien failli me noyer au milieu bien que je fus loin d'être emporté par le courant. Vais-je me permettre de critiquer Conrad (Joseph et non Robert), quitte à passer pour une tête brûlée ? Je ne vais pas en faire un mystère (de l'ouest ou d'ailleurs …), je n'irai pas me briser les ailes ou encore tirer à bout portant sur un monument tel que Conrad (Joseph ou Robert).
En fait, j'ai senti mon envie de poursuivre la lecture de Nostromo décroitre dans la deuxième partie alors que j'ai été pris à l'hameçon du plaisir de lire dans les premières et troisièmes parties. Conrad déploie tout son arsenal consommé d'écrivain doublé d'aventurier vieux loup de mer pour rendre cette histoire vivante et prenante. Je me suis régalé notamment dans l'entame des premières et troisièmes parties où l'originalité du style permet d'évoquer des péripéties de manière indirecte, comme à ricochet. Mais j'ai manqué d'air à la moitié car mon rythme de lecture est actuellement au cabotage le long des côtes de quelques pages et non pas au long cours comme les croisières littéraires de pavés conradiens de plus de 500 pages. Il faudra que j'y revienne avec Typhon, Lord Jim ou au Coeur des ténèbres
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Joseph Conrad est un écrivain hors pair, capable de marier roman d'aventure, et littérature plus sérieuse dont l'ambition va au delà du plaisir de divertissement. Nostromo ne fait pas exception. Livre univers, foisonnant de détails ; il embrassent en un peu plus de cinq cent pages, la politique, l'économie, la géographie et l'histoire d'un monde en marche, le Costaguana. Il le fait en multipliant les points de vue qui sont autant de focales permettant de découvrir les facettes de monde. Il déploie une galerie de personnages, leur idiosyncrasie. Il brouille le temps du récit dans une première partie pouvant survoler les années, dans le passé , le futur, et offre des les premières pages une description géographique de la scène des évènement à venir spectaculaire (et visionnaire façon google map..) Et puis il y a Nostromo, qu'on appelle "el capataz de cardadores" personnage singulier, héros populaire, quasi mythique, qui va se perdre, et perdre son idéal. Nostromo c'est avant tout la défaite d'un homme, la défaite des ambitions, aussi bien personnelles que collectives.
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Joseph CONRAD : NOSTROMO. (1904)
Préface et traduction de Paul le Moal. Éditions Gallimard (Folio), 1992.

En embrassant dès le début un champ très large – l'évocation des révolutions d'une république imaginaire d'Amérique latine, le Costaguana –, le roman se resserre peu à peu autour du personnage qui lui donne son titre, Nostromo (”notre homme “, comme l'ont nommé les européens de Sulaco), le magnifique “Capataz de Cargadores”, un ancien marin génois, employé par la compagnie maritime OSM comme contremaître des débardeurs, et qui jouit dans le peuple de Sulaco d'un immense prestige.
La structure du récit, au lieu de rendre compte chronologiquement de l'épisode qui en constitue le centre (la destitution du président Ribiera par le général démagogue Montero et son frère, qui aboutit à la sécession de la province orientale de Sulaco) repose sur des retours en arrière et des projections dans le futur à partir du point de référence temporel de la fuite du président Ribiera. le tout raconté à la fois directement par Conrad lui-même et au second degré par un personnage-témoin, le capitaine Mitchel, directeur de la Compagnie maritime, qui en fait le récit après coup aux visiteurs débarquant à Sulaco. C'est dire combien la lecture de ce roman peut paraître de prime abord déroutante, foisonnant de personnages qui dissimulent le personnage principal (mais l'est-il vraiment ? Conrad laisse entendre que le véritable sujet du livre ne serait pas Nostromo, mais l'argent de la mine de San Tomé), et exigeant du lecteur qu'il reconstitue une chronologie qui lui est livrée morcelée et en désordre.
On distingue pourtant trois grandes époques dans le roman, qui correspondent aux divisions instaurées par Conrad :
- L'argent de la mine. La présentation du Costaguana, surtout de la province occidentale de Sulaco, protégée du reste du pays par la Cordillère, comme une île utopique. le personnage essentiel semble y être Charles Gould, l'administrateur de la mine, qui s'y consacre corps et âme, persuadé que les “intérêts matériels” suscitent l'ordre social. Un idéaliste pragmatique à qui Conrad consacre un long retour en arrière sur sa rencontre en Italie avec sa femme Emilia qui deviendra ”la première dame de Sulaco” et que Charles délaisse pour son unique passion : la mine de San Tomé dont il a hérité.
- Les Isabelles. Ce sont les îlots dans le golfe Placido, en face de Sulaco, sur lesquels Nostromo abandonnera la cargaison d'argent de la mine qu'on l'avait chargé de mettre hors de portée des montéristes. Il y laisse aussi le jeune journaliste Martin Decoud qui se suicidera de solitude.
- le Phare. Après l'échec de la révolution montériste et la sécession de Sulaco, Nostromo fait nommer gardien du phare sur la Grande Isabelle son père adoptif, l'aubergiste Giorgio, un ancien compagnon de Garibaldi, haut en couleurs, dont les deux filles, Linda et Giselle, sont amoureuses de Nostromo. Celui-ci pense pouvoir justifier ainsi ses visites à la Grande Isabelle où il va régulièrement puiser dans le trésor caché. Mais, fiancé à Linda (il avait promis à sa mère de l'épouser), il se déclare à Isabelle et sera abattu par erreur par Giorgio qui croit tuer l'un des prétendants de sa fille.
En fait Conrad cherche à montrer comment l'argent, loin d'apporter le progrès et la justice comme le prétendent les tenants du libéralisme, corrompt même les hommes les plus purs (Charles Gould et Nostromo), ou plutôt modifie leur nature. C'est la thèse qu'il soutient aussi quelques mois après la publication de Nostromo dans l'essai intitulé L'autocratie et la guerre : la recherche des intérêts matériels ne peut devenir source de progrès humain car il lui manque un principe moral.
Outre le foisonnement de personnages qui constituent le monde de Sulaco, dont aucun ne demeure une simple silhouette (Don José Avellanos et sa fille Antonia, la fiancée de Decoud, Emilia Gould, le docteur Monygham etc...), ce livre atypique offre une extraordinaire évocation d'un site géographique, le Campo, la montagne de la mine de San Tomé et de l'odyssée nocturne de Nostromo et Decoud sur leur gabare chargée d'argent dans l'obscurité du golfe Placido.

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Nostromo
Attentat terroristes, accidents maritimes, troubles politiques,violences de masse, guerres: chacun de ces sujets a défrayé la chronique ces derniers mois. Mais ces « nouvelles » sont également en circulation depuis plus d'un siècle, sous forme d'intrigues dans les romans de Joseph Conrad.
Conrad est connu de la plupart des lecteurs comme l'auteur de Au coeur des ténèbres - voyage d'un capitaine britannique sur une rivière africaine sans nom.
Aujourd'hui, plus que jamais, Conrad exige notre attention pour sa perspicacité dans les défis moraux d'un monde globalisé. À une époque de terrorisme islamiste, il est frappant de noter que le même auteur qui a condamné l'impérialisme dans Au coeur des ténèbres a également écrit L'Agent secret Secret Agent en 1907, qui se concentre sur une conspiration de terroristes étrangers à Londres.
À la suite des crises financières, il est curieux de lire Nostromo (1904) décrivant le capitalisme multinational comme un créateur et un briseur d'États.
Alors que la révolution numérique prend de l'ampleur, on trouve Conrad écrivant de manière émouvante, dans Lord Jim (1900) et de nombreuses autres oeuvres se déroulant en mer, sur les conséquences de la rupture technologique.
Alors que les débats sur l'immigration perturbent l'Europe et les États-Unis, on ne peut que s'émerveiller de la façon dont Conrad a écrit l'un de ses livres en anglais - sa troisième langue, qu'il n'a apprise qu'à l'âge adulte.

Conrad est né Józef Teodor Konrad Korzeniowski en 1857 de parents nationalistes polonais dans l'empire russe. Il est devenu majeur à l'ombre de l'oppression impériale; ses parents ont été exilés pour activisme politique. Tous deux en sont morts, laissant Conrad orphelin à 11 ans. Il a toute są vie été marqué par une jeunesse traumatisée par l'autoritarisme punitif, ainsi que ce qu'il considérait comme un idéalisme fatal et inutile.
Bien qu'il fût un fervent patriote britannique - il croyait que, de tous les empires, celui de la Grande-Bretagne était le meilleur - Conrad était parfaitement conscient des limites de la puissance britannique. Nostromo prédit l'ascendant américain avec une clarté effrayante. Dans le roman, un magnat minier de San Francisco déclare: "Nous dirigerons les affaires du monde, que le monde le veuille ou non."
À travers ses écrits, Conrad s'est attaqué aux ramifications éthiques de la vie dans un monde globalisé : les effets de la dislocation, la tension et l'opportunité des sociétés multiethniques, la perturbation provoquée par le changement technologique. Il comprenait avec acuité la façon dont les individus évoluent dans des systèmes plus vastes qu'eux-mêmes, que même la volonté la plus libre peut être contrainte par ce qu'il aurait appelé le destin. L'univers moral de Conrad tournait autour d'une critique de la notion européenne de civilisation, qui pour Conrad épelait généralement l'égoïsme et la cupidité à la place de l'honneur et du sens du plus grand bien.

Il est particulièrement poignant de lire Conrad dans le contexte d'une Grande-Bretagne post-Brexit. L'une des nouvelles les plus émouvantes de Conrad, "Amy Foster", décrit le sort d'un homme d'Europe de l'Est nommé Yanko, qui fait naufrage sur les rives du Kent. Dans la communauté rurale dans laquelle il tombe, il est rejeté comme un étranger extravagant par tout le monde sauf Amy, une simple fermière. Ils tombent amoureux, se marient et ont un petit garçon - mais quand Yanko berce son fils avec une berceuse orientale, sa femme arrache le bébé. Il tombe malade, se glisse dans sa langue maternelle et meurt d'un coeur brisé. "Son étranger avait un cachet particulier et indélébile", a écrit Conrad. "Enfin, les gens se sont habitués à le voir. Mais ils ne se sont jamais habitués à lui.
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Après avoir lu « Au coeur des ténèbres », le livre qui inspira le film de Coppola « Apocalypse Now », j'avais envie de découvrir un autre livre de Joseph Conrad. Conseillé par un client, je plongeais alors dans ce livre riche et dense. Nous sommes au XIXe siècle, dans un pays d'Amérique du sud ou plus exactement dans une enclave séparée par des montagnes du reste du pays. Dans ce port et cette ville, tout est régi en fonction de la mine d'argent qui fait vivre la région mais attire les convoitises d'hommes de pouvoir. Car le pays est en proie à de nombreuses révolutions. Au grand dam du propriétaire de la mine, Charles Gould, un homme obsédé par l'exploitation de sa mine, celle-ci ayant ruiné déjà deux générations de sa famille. Sa femme, anglaise, se préoccupe plutôt de la population et notamment d'un révolutionnaire italien et de ses filles. Nous suivons donc toute une galerie de personnages, du médecin au mondain, du prêtre évangélisateur à la demoiselle de la grande bourgeoisie, et bien d'autres encore, sans oublier le peuple en arrière-plan qui subit plus que tout, les aléas de la politique nationale. Ainsi que le fameux Nostromo que tous respectent et admirent, du propriétaire à une grande partie de la population et qui pourtant reste un personnage particulièrement énigmatique. Si tout le monde loue son honnêteté et son courage, personne ne sait vraiment ce que pense cet homme, qui apparaît et disparaît régulièrement au fil du récit. Un homme qui semble privilégier avant tout la gloire qui sortira de ses actions à toute autre richesse. Un roman qui se met en place tout doucement pour s'accélérer au fil des pages, au gré des révolutions, des drames, sans oublier un trésor qui sera la clé finale du récit. Un livre qui demande une certaine concentration, mais qui au final laisse une trace dans les mémoires. Un grand classique.
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Nostromo... il y a du monstre là-dessous...

Puissant sésame littéraire, le génial Nostromo ouvre de captivantes portes au lecteur qui, dérouté de prime abord, finira envouté par le savoir-faire de l'immense (on ne le dira jamais suffisamment) Joseph Conrad.

Dans la république bananière du fictif Costaguana, les régimes politiques se suivent et se ressemblent fâcheusement au rythme des révolutions : dictatures invariablement violentes avec leur ribambelle d'exactions en tous genres (tortures, meurtres, emprisonnements arbitraires et débauches de pot-de-vins...).

Loin de la capitale, la ville de Sulaco, enchâssée au fond de son Golfo Placido attire toutes les convoitises : sa mine d'argent de San Tomé constitue la seule richesse du pays. Exilés volontaires dans cette Finis Terræ sud-américaine,une poignée d'Européens tente d'y préserver son équilibre malgré les soubresauts qui convulsionnent le pays.

Flamboyant exercice de style, le volumineux roman de Conrad multiplie les chausse-trapes. Torsion de la chronologie, multiplication des points de vue, enchevêtrement de flashbacks et flashforwards et personnages se dévoilant par à-coups concourent à fabriquer ces miscellanées à travers lesquelles flâne le lecteur, pérégrin ébloui, recueillant anecdotes et légendes du pays qu'il visite.

La plume de Conrad esquisse petit à petit cette terra incognita, les descriptions en sont fastueuses : la géographie du Costaguana, palimpseste cartographique, se déplie, se déploie et tout un monde "prend forme et solidité". Sulaco, le sommet de l'Higuerota, la péninsule d'Azuera ou la Grande Isabelle existent définitivement et s'inscrivent dans notre Atlas intérieur.

Nos cicérones dans ce San Theodoros avant l'heure (où Ribiera le modéré et les frères Montero, pitoyables arsouilles qui se disputent le pouvoir sont les précurseurs d'Alcazar et Tapioca) sont magistralement dessinés à la ligne claire par un Conrad en possession de tous ses moyens. de Charles Gould, anglais monomaniaque à l'arrogance colonialiste à sa délicate épouse, Emilia, frêle roseau qui ne cesse de plier, de Martin Decoud, idéaliste désespéré au Docteur Monygham, mi collabo, mi résistant, avec sa dégaine à la Céline, période Sigmaringen, de Giorgio Viola, vieux phare garibaldien, au Capitaine John Mitchell, aveugle parmi les borgnes, chaque personnage se construit à l'image d'un puzzle dont les pièces éparses sont à retrouver dans ce récit éclaté.

Et puis il y a le héros éponyme, Nostromo, Gian' Battista, Capataz des Cargadores, capitaine Fidanza : héros d'opérette quelquefois (un Don José de carnaval), aventurier taiseux souvent (Corto Maltese lui doit un peu) mais surtout personnage dostoïevskien, poursuivi par sa conscience, cherchant dans l'amour une rédemption, "Notre Homme" traverse le roman en se débarrassant petit à petit des oripeaux de sa légende.

Un immense roman donc qui n'en a pas fini de résonner avec notre monde en fin de parcours. Son pessimisme laconique colle à notre époque : l'argent roi du monde, la collusion des puissants, l'individualisme forcené, la versatilité des peuples restent des thèmes inépuisés.

Nostromo : Nuestro libro.
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Quel livre! très difficile d'en parler sans trahir, minimiser ou spoiler. Dans ce livre, Conrad a crée un pays: le Costaguana, et l'a doté d'un peuple avec son histoire, de coutumes, d'institutions, de villes, et particulièrement une ville Sulaco, où l'intrigue (même ce mot est réducteur) se déroule. C'est un pays latino-américain, qui se relève tant bien que mal d'une longue série de révolutions et de coups d'états, et qui connait une période de transition paisible sous la présidence de Ribeira, qui veut transformer sa nation et la moderniser à l'image des états européens. le peuple costaguanien est formé d'indiens, majoritaires, qui vivent un peu "comme des sauvages" selon les dires de l'élite économico-bourgeoise blanche, principalement espagnole, mais qui comporte aussi des anglais et des italiens. Ce parti des Blancos détient la plus grande part des richesses du pays, symbolisées dans la ville de Sulaco par l'office maritime, la société de chemin de fer et surtout par la mine de San Tomé, cadeau empoisonné à un un anglais nommé Gould, qui finira par causer sa mort, mais qui une fois entre les mains de son fils Charles, sera transformé en la première puissance économique du pays, dirigé de loin par des capitaux américains. Ce qui est fascinant dans ce livre c'est sa construction: le récit de la révolte des costaguaniens pour chasser le parti blanc et récupérer le pouvoir, l'entrée en scène des personnage, l'un après l'autre : Charles Gould et sa femme, venus d'Europe pour gérer l'héritage maudit du père, la famille Viola, avec à sa tête le vieux patriarche, ancien garibaldien pétri d'idées républicaines, et condamné à l'exile loin de son Italie natale, du capitaine Mitchell, ancien marin anglais, à la tête de la compagnie maritime, du docteur Monygham, au passé trouble sous l'ancienne dictature, des membres de la famille Avellanos, une des plus anciennes bourgeoisies espagnoles du pays, du général Montéro et de son frère Perdito, responsables de la révolte populaire et du coup d'état qui s'en suit, de Martin Decoud, sorte de dandy parisien, improvisé journaliste à Sulaco et qui aura un rôle décisif dans l'histoire (mais pas moins que d'autres), du père Corbellan, mi fanatique mi réaliste, dont la mission est de christianiser absolument tous les indiens, et tant d'autres, tous ces personnages entrent donc en scène, non pas en file indienne, mais selon la pertinence de leurs ambitions, pensées et rôle dans l'histoire. Celle ci est d'ailleurs présentée par des allées retour très subtils entre le passé et le présent, et ces mêmes allées retours sont découpés de façon à servir le rythme de l'histoire; ainsi, la vie d'un personnage peut être présentée d'un seul jet, ou bien s'étaler sur plusieurs chapitres, et tout ce ci se passe sans accroc, sans peser sur la lecture. l'intrigue va crescendo, dominée par l'ombre des îles alentours: les Isabelles, par la mine de San Tomé , tantôt sauveur, tantôt malédiction, et surtout par les ambitions et états d'âmes des protagonistes, puis tout redevient calme, mélancolique. Et Nostromo dans tout ça? et bien c'est un ancien marin gênois, recruté pour gérer les activités du port , mais qu'on sollicite pour à peu près tout, tant il est fort, courageux, ingénieux, fidèle et honnête. En fait, sur les 600 et quelques pages, Nostromo n'apparaît que peu relativement, et il est très difficile à cerner. Ce qu'il en ressort, c'est qu'il un homme vaniteux, mais d'une vanité naïve, innocente, qui ne demande qu'une chose: c'est que tout le monde soit conscient de sa valeur. Il se démène corps et âmes, sans rien demander d'autre en retour, jusqu'au jour où il se révolte, mentalement, contre ces "riches" qui volent et vivent aux dépends des pauvres paysans, plus encore, qui le font en toute légitimité de coeur, pensant faire ce qui est juste, et qui utilisent ces pauvres, qui l'utilisent lui, pour servir leurs passions , qu'elles soient subites ou projetées sur le long terme, et qui passent à un autre projet sans se soucier des conséquences de leurs décisions sur lui notamment. Je pourrais en dire tellement plus, mais ce ne sera jamais assez, en tout cas sans dévoiler des passages importants de l'histoire. Ce qu'il faut en retenir, c'est l'incroyable modernité de ton du livre, tout semble si familier, si actuel, si précis. La ville et son quotidien font penser à Cent ans de solitude, avec ses couleurs chatoyantes et sa lumière aveuglante, mais sur une tonalité moins "magique". Les personnages sont ficelés à la manière de Dostoïevski, avec leurs passions profondes et complexes, il y a du suspense, de la réflexion, de la poésie, du réalisme. Enfin, pour résumer, un petit extrait :" Les intérêts matériels ne souffrent, dans leur développement, ni paix ni repos. Ils ont leurs lois et leur justice, une justice inhumaine et fondée sur des expédients, une justice qui ne s'embarrasse pas d'aucune loyauté et ne comporte ni la continuité ni la force que donnent seuls les principes moraux."
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Oeuvre imposante et intimidante, tant par l'ambition que par la longueur : plus de cinq cent pages, soit le plus long roman de Conrad. Parfois considéré comme le meilleur, même si Lord Jim et l'Agent Secret sont de sérieux concurrents. le projet est immense, au point qu'un critique anglais l'a comparé à Guerre et Paix : donner bien sûr vie à une pleine galerie de personnages, mais surtout corps à une contrée imaginaire d'Amérique du Sud, le Costaguana et en exposer les enjeux politiques et économiques.
Les événements se déroulent à Sulaco, ville portuaire du Costaguana, dont la mine fait l'objet de toutes les convoitises des sociétés européennes. A la mort de son père, Charles Gould décide de reprendre la mine et de la réouvrir.
Si la chronologie du roman s'avère moins infernale qu'annoncé dans l'introduction, certains événements peuvent sembler brumeux. Conrad joue avec son lecteur et s'autorise certains retours en arrière ou à l'inverse accélère le déroulement. Il est parfois nécessaire de jeter un oeil à la séquence des événements synthétisée en introduction.

Si Nostromo n'est pas un simple roman d'aventure, il n'est pas avare en rebondissements; Conrad est à son affaire et sait trousser quelques scènes fortes, notamment la soirée où Decoud et Nostromo tentent de mettre à l'abri le trésor de la mine, véritable noyau central du roman. On y trouve là quelques belles pages d'une ambiance étouffante qui ne manqueront pas de ravir ceux qui ont aimé Au Coeur des Ténèbres. Toutefois Conrad n'est pas Stevenson et il y a toujours chez lui un surcroît de précision qui c'est malheureux à dire nuit un peu au plaisir de lecture, là où l'écossais sait stimuler l'imagination par un art plus vague et lacunaire.

Mais Nostromo est surtout un grand roman sur l'aliénation par l'argent et le matériel. Conrad le fait ressentir sur les différents personnages qui animent Sulaco : presque dès le début ils apparaissent désossés, fantomatiques, tout à leurs objectifs de concrétisation de profit. Nostromo est lui tout défini par son prestige personnel et ne vit que par et pour ce prestige : on se doute bien que cela finira par devenir un fardeau. Les quelques uns apparaissant un tant soit peu positifs sont ceux ayant connu la torture des troupes montiéristes : Monygham et le père Corbelan. le péché originel tient sans doute à ce que Charles Gould fait passer la justice derrière l'ordre lorsqu'il décide de faire réouvrir la mine, et de s'accommoder d'un pouvoir autocratique. Notons que cet aspect politique de l'oeuvre est hélas toujours d'actualité : il ne s'agit rien moins que de l'alliance entre ultra-libéralisme et autoritarisme.
Nostromo est un roman assez nettement pessimiste, où les personnages contemplent leurs gouffres et peu en réchappent, mais Conrad sait être toujours fin, aussi bien dans l'exposition des motifs politiques (après tout, l'influence de Gould a aussi ses côtés positifs et protège en partie les mineurs) que dans ses saillies psychologiques, voyez plutôt cette belle citation

"La vie, pour être vaste et pleine, devait, à chaque moment du présent, contenir le soucis du passé et de l'avenir. Notre tâche quotidienne doit être accomplie pour la gloire des morts et pour le bien de ceux qui qui viendront après nous."

C'est finalement cet équilibre qui m'a frappé dans ces quelques cinq cent pages. le "monstre" était plutôt fin.
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L'intérêt de ce roman de fiction porte avant tout (pour moi) sur la force de l'imaginaire de Joseph Conrad. Il a su créer un pays, un peuple, une société comptant des interactions avec le reste du monde (principalement l'Europe d'ailleurs, colonisateur des terres d'Amérique latine) et il nous embarque pendant plus de 600 pages dans l'histoire de pays du Costaguana, en décrivant les relations sociales, politiques, économiques qui ponctuent la vie de la province de Sulaco et qui vont conduire à plusieurs révolutions.

On peut finalement assez facilement imaginer que certains éléments de son récit ont pu se produire dans les états d'Amérique latine au 19ème siècle voir au 20ème siècle partout dans le monde, avec des conflits entre les masses populaires autochtones (menées par des militaires en quête de pouvoir), les colons venus faire du commerce, et leurs alliés. C'est aussi ça la force de ce livre, peindre une fresque imaginaire mais avec une dimension intemporelle et universelle.

Clairement c'est une oeuvre remarquable, cohérente et équilibrée malgré sa longueur (je n'ai jamais été tenté de sauter des pages pour faire avancer le récit). La quatrième de couverture précise que « Nostromo est sans doute le plus puissant, le plus dense, le plus sombre roman de Joseph Conrad ». J'en retiens surtout sa densité, pour le reste, on peut difficilement comparer ce roman avec un « Guerre et Paix » (comme on peut le lire parfois), qui est d'une autre densité et puissance ou avec un Dostoïevski comme « Crime et châtiment » qui décrit avec une véritable profondeur la noirceur que peut atteindre l'esprit humain.

A lire sans crainte pour les amoureux des romans d'aventures.
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épique
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