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EAN : 9782707149763
462 pages
La Découverte (29/09/2006)
3/5   2 notes
Résumé :

Depuis le début des années 2000, et en dépit du "retrait " de Gaza, la société palestinienne est exsangue. Mais la société israélienne est, elle aussi, épuisée et désorientée. Le terrorisme largement défait, rien n'est réglé des problèmes de fond de la relation israélo-palestinienne. C'est une plongée dans la société israélienne que propose cet ouvrage... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
S'il n'est pas possible, dans un article de résumer ce livre de plus de 400 pages, ni de parcourir l'ensemble des analyses articulées à une riche documentation historique (autour des travaux des « nouveaux historiens » israéliens tel Tom SEGEV, Benny MORRIS ou Ilan PAPPE ; de palestiniens comme Edward SAID ou Elias SANBAR) et enrichie par de nombreux interviews, j'essayerais d'évoquer les points les plus significatifs ou ceux porteurs des interrogations critiques les plus pertinentes sur les sociétés traitées et leurs évolutions.

La société israélienne n'est ni figée ni homogène. le livre interroge les contradictions, engendrées, entre autres, par la confrontation permanente entre les mythes structurant le passé-présent de cette société et de ses habitant(e)s et les réalités très éloignées des descriptions diffusées par les médias.

Autant le dire ouvertement, ce que Sylvain CYPEL écrit dans ces quinze chapitres dont deux plus particulièrement centrées sur la société palestinienne fait largement accord (dissymétrie des responsabilités, mises à jour des politiques des dirigeants sionistes et analyses des phénomènes ethnicistes et racistes de la société israélienne, critique des incapacités politiques passées et actuelles de l'OLP.

Reste cependant des plages de désaccords ou d'ambiguïtés de l'auteur que nous critiquerons à la fin de cette note.

La conclusion du livre peut être résumée simplement. Aujourd'hui la défaite, au sens politique du terme, d'Israël ne peut être que salvatrice. Cette défaite des dénis, de la pensée ethnique et des constructions mythiques et à l'inverse la victoire du droit l'universalisme et l'éthique de justice, passe par la reconnaissance du caractère constitutif, dans la construction d'Israël, de l'expulsion des palestiniens en 1948. Son avenir en tant qu'entité nationale dépend au premier chef du règlement de ce contentieux fondateur. Et cela nécessite, entre autres, de libérer tous les territoires occupés y compris Jérusalem-Est.

La première partie du livre s'intitule : « Mémoires, images de soi, images de l'autre ».

La mémoire, épurée de 1948 est le soubassement d'une construction rassurante de l'image de soi, comme unique victime, pour les juifs israéliens.

La négation des expulsions, des massacres, des villages rasés et effacés de l'histoire, le déni des palestiniens puis des réfugiés, l'auto-justification systématique ont créé un espace fantasmagorique où l'image de l'autre est dévalorisée, méprisée et annulée.

Cette construction s'appuie sur l'influence ethniciste présent dans le « mouvement national juif » et s'alimente d'une vision orientaliste de l'histoire (approche articulée autour de l'idée que l'espace arabo-musulman est marqué par des « constantes culturelles » qui lui seraient intrinsèques et constitutives).

L'évolution de Benny Morris, est un exemple frappant du fonctionnement mental de cette société. « L'homme qui le premier en Israël, s'est attelé à la mise au jour des faits historiques les plus douloureux pour la mémoire collective, et les plus systématiquement occultés, va d'un même mouvement les désigner pour ce qu'ils furent : -un nettoyage ethnique – ce qu'il s'était jusque là toujours refusé à faire. Mais il va aussi, sous l'influence de cette rétraction ethnique et son orientalisme profond, s'atteler à les justifier, et même à… prôner leur répétition. »

L'auteur traite aussi des difficultés palestiniennes à appréhender les israéliens. « La négation du caractère national de la société juive israélienne fonctionne comme un miroir inversé de la vision orientaliste israélienne quant à l'inexistence d'un peuple palestinien et l'illégitimité de son nationalisme ».

La seconde partie du livre intitulée « Israéliens, Palestiniens : la tentation du pire » traite de l'après guerre des six jours.

Les modifications substantielles des partis israéliens et de leurs orientations majoritaires dans un contexte d'occupation des territoires, de colonisation puis de développement de la première Intifada sont analysées en détail. L'auteur parle d'une « algérisation » des israéliens c'est à dire d'un renforcement « en son sein, par un mouvement mécanique, les propensions les plus coloniales qui y préexistaient ».

Les négociations d'Oslo ( la responsabilité primordiale dans l'échec revenant aux dirigeants travaillistes israéliens ), de Camp David, de Taba puis de Genève sont disséquées et les fondements des mensonges israéliens, particulièrement bien mis en perspective avec les réalités politiques et symboliques de l'occupation.

Coincée entre une politique de « lutte armée » et de diplomatie secrète, l'autorité palestinienne ne parviendra pas à élaborer des perspectives mobilisatrices. Elle sera largement prise au dépourvu par la première Intifada. L'absence de démocratie, la corruption de l'OLP ( nomination comme ministre de Jamal Tarifi devenu milliardaire en fournissant à Israël la main d'oeuvre qui construisit les habitations et les routes réservées aux colons, prélevant sa dîme sur chaque salarié palestinien), le clientèlisme avec le retour des grandes familles sont analysées.

L'auteur mène une critique exemplaire des actions terroristes et suicidaires. « Les auteurs palestiniens d'attentats suicides font l'objet d'un double déni : déni de l'inhumanité de leurs actes au profit de leur glorification, du coté de leurs partisans ; déni de leur humanité au profit d'une diabolisation de l'ensemble des palestiniens, du coté de l'immense majorité des israéliens »

Les évolutions de la société israélienne, sa « brutalisation » (traitement des ouvriers immigrés) ou lors de la grève de la faim de palestiniens détenus en août 2004 (un ministre peut dire publiquement « qu'ils crèvent »), la radicalisation du nationalisme, la baisse de l'esprit démocratique, le rôle des médias (« alignement sur les vérités officielles sensiblement identique à ce que connut la presse américaine après le 11 septembre 2001 »), la place grandissante des militaires, l'évolution de la mouvance nationale religieuse et du « parti des colons », les développement du racisme (les citations de certains rabbins feront passer le borgne français par un antiraciste) sont tour à tour étudiés.

L'exposition de l'émergence du « camp moral » dans ces différentes composantes, les départs d'Israël, des liaisons historiquement mouvantes entre les israéliens, le nazisme et la destruction des juifs d'Europe par les nazis, sont complétés d'une analyse pertinente des antisémitismes réels et imaginés.

Reste maintenant à évoquer des désaccords.

Mineur mais significative du poids des mots, l'utilisation de « Tsahal » pour nommer « amicalement » l'armée israélienne, même lorsque l'on condamne ses agir et ses conduites, me semble très inopportun.

Plus important, la mise au même plan, ou le manque de mise en question, de la « Loi sur le retour » (permettant à tout-e juif et juive d'obtenir la nationalité israélienne) et du « Droit au retour » pour les palestinien-ne-s. Il s'agit là, d'une symétrie inacceptable.

Dans un cas il s'agit d'une Loi fondée sur l'ethnicisme, condamné par ailleurs par Syvain Cypel tout au long de son livre, d'une inscription a-historique profondément investie de la pensée religieuse et non assimilable à une règle de droit ; de l'autre, d'un droit démocratique élémentaire, au sens communément établi et accepté dans le monde.

Derrière cette dérive de mots, se cache une problématique sur la caractérisation « juive » de l'état d'Israël, laissant place à une conception ethnique maintenue pour le futur des évolutions souhaitables.

Qu'à la lumière des événements du dernier demi-siècle, il soit opportun de rediscuter de la liaison avec la diaspora juive, y compris de possibles migrations vers cet état, et de rompre avec des visions et des réponses ne prenant pas en compte des attachements récurrents et fondateurs d'une certaine culture nationale, me semble aujourd'hui nécessaire, mais cela ne peut être acceptable qu'en terme de droit applicable à toutes et tous, au delà même des auto-définitions ethniques des un-e-s et des autres.

Enfin, il faudrait revenir aussi sur la question de la « libération nationale du peuple juif » (l'utilisation de cette terminologie habituelle ne vaut pas acceptation de ma part) ou sur ce que l'auteur nomme « les composantes contradictoires du sionisme et d'Israël –les juifs comme religion et comme peuple, l'aspiration à l'émancipation nationale et la propension ethniciste ; l'édification en Etat-nation et le colonialisme, mais différent des colonialismes usuels de l'époque dans ses aspirations ; la laïcité et les fondements mythologiques bibliques, etc. » telle qu'elle a été posée et réalisée par le sionisme.

Mais, faut-il encore une fois le préciser, ces divergences soulignées, le livre de Sylvain Cypel est réussite dans la conjonction d'une description historique et d'une analyse du présent, sans gommer les évolutions contradictoires, les blocages profonds, les réalités destructives, tout en exposant les conditions plausibles d'un futur dégagé de la domination israélienne sur la société palestinienne.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
L’homme qui le premier en Israël, s’est attelé à la mise au jour des faits historiques les plus douloureux pour la mémoire collective, et les plus systématiquement occultés, va d’un même mouvement les désigner pour ce qu’ils furent : -un nettoyage ethnique – ce qu’il s’était jusque là toujours refusé à faire. Mais il va aussi, sous l’influence de cette rétraction ethnique et son orientalisme profond, s’atteler à les justifier, et même à… prôner leur répétition.
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Les auteurs palestiniens d’attentats suicides font l’objet d’un double déni : déni de l’inhumanité de leurs actes au profit de leur glorification, du coté de leurs partisans ; déni de leur humanité au profit d’une diabolisation de l’ensemble des palestiniens, du coté de l’immense majorité des israéliens
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La négation du caractère national de la société juive israélienne fonctionne comme un miroir inversé de la vision orientaliste israélienne quant à l’inexistence d’un peuple palestinien et l’illégitimité de son nationalisme
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Vidéo de Sylvain Cypel
Retour en images sur la rencontre avec Alexandra de Hoop Scheffer, Jeff Hawkins, Sylvain Cypel et Jérémy Ghez animée par Guillaume Gonin lors des rencontres du progrès à Latche 2019.
Retrouvez leurs ouvrages : https://www.mollat.com/Recherche?requete=Sylvain%20Cypel https://www.mollat.com/livres/627248/alexandra-de-hoop-scheffer-hamlet-en-irak https://www.mollat.com/livres/2300090/jeremy-ghez-etats-unis-declin-improbable-rebond-impossible
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