Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=292cI-BZB-M
Bonjour à tous ! Aujourd'hui on va parler d'
Une nuit particulière de
Grégoire Delacourt.
De quoi ça parle ? C'est une nuit d'amour entre Aurore et Siméone. Rien de moins, rien de plus.
La couverture joue sur la même corde que celle d'un Connemara, ou d'un Rien ne s'oppose à la nuit, on va parler de femme, ici, de femme qui regarde l'horizon les yeux vagues et mélancoliques, femme forte et fragile, femme qui fume comme
Deneuve. Ou
Romy Schneider. Les deux citées dans le bouquin.
Le bouquin fait 26 000 mots alors pour délayer, on fait comme dans le dernier Ernaux, on saute de la ligne au kilotonne, on aère, on aère, il parait que c'est pour le confort de lecture, tu parles.
Une écriture qui se veut poétique mais qui réalise l'exploit d'être à la fois éculée, et abstraite, ancrée dans aucun réel — aucune tangibilité si ce n'est la rêverie de l'amant, figure totémique de la littérature Galligrasseuil actuelle. « le soir écrase Paris. Je ne sais pas encore quelle nuit choisir. Vers quelle lumière aller. »
Aucun marqueur comme le boulot, où le quotidien de la plupart des gens, les transports, la ville lumière telle que peinte mille fois dans les films et les séries, rien à faire du réel — du concret. C'est l'amour, l'amour qui vide la ville de ses habitants, de ses contraintes. Ou plutôt, c'est l'amour entre bourgeois qui permet d'avoir une ville clichesque de terrasse de café, vidée de toute contrainte. « La salle se remplit rapidement. C'est l'heure des rires, des spritz et des bières, des éclats de voix et de la musique, des regards qui se posent, s'installent, des doigts qui se frôlent. L'heure des possibles, avant la nuit » Paris est une fête. Référence aux attentats pour pouvoir cocher la case du bon petit roman parisien et aussi le fantasme d'un ailleurs, quitter la fameuse grisaille, même si les bourgeois adorent la ville, Paris la nuit, sa culture, comme j'en avais parlé dans ma chronique sur Petites dents, grands crocs, il faut un fantasme d'un départ, de la campagne, de l'étranger. Et l'ailleurs ici, c'est le Touquet, ce qui est assez croquignolesque. le vouvoiement entre les amants, sinon c'est pas drôle qui va dans l'aspect désuet du roman, désincarné.
Et les dialogues putain, les dialogues :
« Je lui demande s'il croit qu'on peut mourir d'amour et il me répond.
— Je crois qu'on peut en vivre. »
C'est magnifique.
Mais y a plus drôle, quand ils parlent des ruptures marquantes de leurs vies.
— Qu'est-ce qui vous a le plus manqué ?
— L'impondérable. Tout ce que je ne pouvais pas peser d'elle. Son sourire. Son regard. Son odeur de marsala et de châtaigne. Son désir. Sa jouissance.
— J'aimais aussi mon mari pour toutes ces sortes de choses. »
Et surtout l'odeur de marsala. Non mais plus sérieusement, rien ne va dans les dialogues dans le fait qu'ils sont surécrits, personne ne parle comme ça, même lors d'une rencontre amoureuse. ‘Ou alors des poseurs de première. On passe à côté de cette rencontre et on ricane car elle est tirée de mauvais livres ou de mauvais films.
— Vous aimez Dvorak ?
— Je préfère Mendelssohn.
— Rohmer ?
— Sautet.
— Piccoli ?
— Trintignant.
—
Deneuve ?
— Dorléac »
Là ce qui est intéressant, c'est qu'ils parlent de l'art en surface, uniquement pour vérifier si l'autre a la même culture bourgeoise, le même décorum. Ce n'est pas une discussion, plus un interrogatoire. Pareil dans tout le roman, on a affaire à un name dropping artificiel, Bellini, Puccini, Barthes, Hopper, Glissant,
Desnos, c'est même pas de l'ekphrasis, avec la description d'un tableau, d'une oeuvre d'art, non, c'est juste les personnages qui balancent des noms comme ça ; pour le paraître. Pour s'assurer que l'autre fait bien partie de la même classe, a bien reçu la même éducation. Sans que ce soit dit comme ça.
J'arrive même pas à arrêter de les recopier, les dialogues, tellement c'est. Arg, je vous laisse juger :
« Plus tard dans l'obscurité je lui apprends que je me prénomme Aurore.
— C'est un prénom qui annonce le jour, dit-il.
— Mais le jour ne succède pas toujours à la nuit. »
Bon et le dernier pour la route, juste parce que j'ai bien rigolé en le lisant :
« — Ce que votre langue goûte maintenant, c'est la cyprine. Mais on l'appelle aussi écume du plaisir, c'est plus joli, vous ne pensez pas, vous qui aimez la mer ? »
Une fois le rire passé, je trouve que ça ressemble à un dialogue tricoté autour d'une recherche wikipédia. C'est ce que j'ai pensé aussi un moment où elle parlait du couple, et ça m'a rappelé ma vidéo sur
Houellebecq, ou je dis exactement pareil, Copula, en latin, le lien, liaison. Ça gâche ce qu'il reste à gâcher.
Et puis toutes ces phrases sur la nuit, sur la ville, les personnifications pour remplir de la page « La nuit s'est apprêtée comme une fille », « La nuit, les coupables ne se voient pas » « La nuit s'est emparée de Paris, étire les ombres comme des draps. » « Cette nuit, je veux être une proie pour la dernière fois. »
C'est censé parler de la rupture amoureuse, la rupture, quand c'est bien fait, ça peut-être un sujet vraiment émouvant, troublant ou poignant, ben là ; il en fait rien, juste des jolies phrases un peu creuses — je crois que ça peut être le sous-titre du roman, jolies phrases un peu creuses. « Je suis de celles qu'on blesse et qui chérissent leurs blessures. de celles qui meurent parce que l'autre meurt. »
Et ce que je me demande, c'est comment cet auteur peut avoir un succès populaire comme ça, alors que c'est vide, et que surtout, le décor de ses romans, c'est ce qui est inaccessible à des millions de français. La plupart des gens ne connaissent pas les chambres d'hôtels en toiles de Jouy à 500 balles, le fait de déambuler dans les rues de Paris sans se soucier des horaires, du travail, des enfants, des factures. Pourquoi et comment un texte aussi peu réaliste parle aux gens ? Et c'est aussi le cas d'autres auteurs populaires, comme Ledig,
De Vigan ou Lugan Martin, leurs personnages existent dans un espace-temps sans contrainte si ce n'est le bonheur ou le confort relationnel de ces mêmes personnages. Rien sur les habitants dans ce Paris vide, sur les métros, sur les voitures, sur les gens qui bossent dans les cafés ou les hôtels ou notre Aurore donne rendez-vous à Alonso. Ou si les travailleurs sont présents, c'est pour se plier à leurs désirs, qui en bons clients chiants, restent jusqu'à la fermeture du restaurant, font conduire le taximan une partie de la nuit, roulez, roulez, prenez nos billets et roulez tout au long de la nuit — en substance. Bref, le décor est un décor de privilégiés sans être assumé comme tel. Les culottes sont de soie alors que la culotte des Françaises, c'est plutôt un slip dim à l'élastique distendu, et encore dim, les jours fastes.
Même les parfums sont trop subtils « ton parfum boisé à l'éclat de shiso », les plats choisis, « une assiette de burrata, jambons, caponata, buvons un vin de Ventoux au parfum de confiture de fraises et de figues sèches ». « saint-pierre en papillotes, un fumet de citron confit » (Ce roman est sponsorisé par le Michelin) Ou peut-être que le concept, c'est comme ces box qui faisaient fureur y a dix ans de ça, Wonderbox et cie, testez la vie de bourgeois le temps d'un bouquin.
Et je m'interroge du succès auprès d'un lectorat féminin avec un portrait de femme aussi bouffée par les hommes, très dépendante, qui ne vit que pour l'amour, que pour le couple. le couple disséqué, le couple parisien, qui aime s'écrire, se raconter « J'ai rencontré Olivier il y a trente ans. Un dîner chez de vieux amis communs à Montmartre, soirée bab, bougies parfumées, taboulé, fèves à la sarriette, vinyles de
Cat Stevens et de
Bob Dylan. »
Ce qui permet l'élaboration d'aphorismes à deux euros « C'est l'attente qui crée le malheur. Ne rien attendre crée la joie. » « Un couple qui se sépare, c'est l'éboulement du monde. » « Les hommes nous quittent peut-être parce qu'ils ne s'aiment plus avec nous. »
Et toutes ces phrases Lancôme « Nous ne connaissons que l'urgence. La pureté des aubes sans promesses. » On dirait un de ces titres qui sonnent comme un slogan de parfum. « Rien ne s'oppose à la nuit » (Vigan), Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part (Gavalda) « Juste avant le bonheur » (Ledig), Désolée, je suis attendue (Martin-Lugan). C'est marrant parce que Delacourt, il a commencé comme publicitaire.
Et c'est vraiment ça, je sens le sens de la formule, souvent je me dis, purée, ça sonne bien, mais ça sonne pas juste, ça sonne comme un slogan qui fait bien mais qui se révèle creux.
Je vais répéter ce que j'ai dit pour le roman
Après la fête, qui s'applique totalement à celui-ci:
Il n'y a rien d'universel, (ou même de singulier), c'est exsangue, blanc, voire transparent, un vase vide, joli, oui, « une écriture poétique » dit la jaquette.
« Je marche derrière toi, perdue dans cette nuit grasse et blanche et je sais que bientôt, mon amour, je devrais te quitter » (on dirait une pub pour Mauboussin)
Au moins, je me dis qu'à chaque fois que je tomberais sur ce genre de livre, je pourrais recycler mes chroniques, puisqu'eux recyclent leurs images.
La preuve, voici une citation du Delacourt qui ressemble à s'y méprendre à l'extrait de
Lola Nicolle que je viens de lire « à l'instant même où notre couple risquait de ronronner, tu le secouais, mon amour, comme une nappe à la fenêtre. »
Lien :
https://www.youtube.com/watc..