J'ai eu la chance de lire « Chroniques de la réa » d'
Emmanuel Delporte en avant-première.
Je vous avertis : on est très, très loin du brûlot opportuniste écrit à la va-vite à l'occasion de la crise du covid (qui se sent morveux se mouche).
Bien au contraire, il s'agit d'une compilation de textes remarquables que l'auteur a écrits tout au long de ses quinze années de carrière en tant qu'infirmier, principalement en réanimation, dont certains furent publiés sur son blog ; et si un dernier chapitre (dont vous pouvez graver la conclusion en lettres d'or sur le mur de votre chambre pour que ce soit le premier truc que vous lisiez tous les matins en vous levant) a été ajouté à la dernière minute pour évoquer cette pandémie, tout le reste était déjà bouclé avant que ce gentil virus ne nous tombe sur le coin de la figure, et cela se voit.
Au fil des excellents chapitres de ce livre, tous très intenses et sans temps mort ni parent pauvre, l'auteur décortique les grands sujets de société autour desquels nous biaisons et louvoyons depuis trop longtemps. Vous savez, ces pots de pus dont il faudra pourtant bien s'occuper un jour : la vieillesse et la dépendance, la maltraitance institutionnalisée, le management hors-sol et inconscient des réalités du terrain, l'éthique et la déontologie médicales, la question brûlante de la mort dans la dignité et du suicide médicalement assisté, la fuite vers l'avant des technologies de réanimation (jusqu'où faut-il réanimer ?), la misère sociale, la relégation économique et leur cortège de conséquences terribles sur la santé…
En partant de la réalité froide et sans fard, Delporte élève le débat et se fait tour à tour psychologue, sociologue et même anthropologue, mais jamais il n'oublie de rester un « simple » infirmier en réa, pleinement conscient de ses responsabilités et devoirs, mais aussi de ses limites. On admirera plus d'une fois la droiture du bonhomme et sa volonté inflexible de ne juger personne, ni ses chefs, ni ses collègues, ni les politiques, ni les patients, tout en sachant – et en reconnaissant – que c'est objectivement impossible, et que c'est aussi une donnée à prendre en compte pour tenter de rendre l'hôpital plus humain.
Un livre lumineux et d'une incroyable humilité, écrit par un professionnel chevronné, doublé d'un type bien et triplé d'un excellent écrivain. Un livre à mettre entre toutes les mains, et qui devrait même être reconnu d'utilité publique.
En le refermant, il m'est venu cette pensée : le jour où j'aurai (moi, ou l'un de mes proches) une embolie pulmonaire, un AVC ou un arrêt cardio respiratoire, je veux que ce soit ce mec-là qui s'occupe de moi. Je lui confierais ma vie ou celle des miens sans aucune hésitation, parce que je sais qu'il ferait tout ce qui est humainement et technologiquement possible pour nous sauver. Et que s'il abandonne, ce sera parce qu'il n'y avait plus rien à faire, et/ou parce qu'il sait que ça vaut mieux pour tout le monde.
Je veux que ce soit lui, ou plus raisonnablement, quelqu'un d'autre comme lui, et je sais qu'ils sont très nombreux, même si tous n'écrivent pas aussi bien.