Le Rendez-vous de Patmos /
Michel Déon (1919-2016)
Académie Française.
Il existait encore, au moment où
Michel Déon écrivit ce récit c'est à dire en 1971, des îles où l'on pouvait goûter paix et répit. Patmos dans l'archipel du Dodécanèse en faisait partie, tout comme Rhodes où commence le livre.
J'ai eu la chance de connaître personnellement ces deux îles en 1967 et j'avais été émerveillé. À Patmos, nous étions trois étrangers seulement, un suédois et une anglaise, deux de mes amis. Durant une semaine nous avons vécu auprès de la population des petites fêtes vespérales au son du bouzouki entre deux verres d'ouzo, et parcouru les chemins pentus de l'île montant depuis le port de Skala jusqu'au monastère de Saint Christodule. Pas d'hôtel à l'époque, nous vivions chez l'habitant moyennant une petite rétribution. Laissant mes amis à Patmos, j'ai rejoint Rhodes sur un ferry qui datait …Rhodes, une île paradisiaque, avec son histoire mixte gréco-turque et ses minarets, ses murailles fortifications, ses vallées, celle de Pétaloudès où voletaient des myriades de papillons, que j'ai parcourue en Coccinelle VW durant des jours, avec en point d'orgue la petite crique de Lindos dominée par une antique acropole. Seul en plein mois de juillet ! Quelle belle époque ! Aujourd'hui, des milliers de touristes sont déversés chaque jour par des villes flottantes.
Michel Déon nous fait part dans son livre de ses craintes sur ce point précis, lui qui a choisi en son temps de vivre sur l'île de Spetsai.
Après Rhodes,
Michel Déon nous emmène à Corfou en nous rappelant l'Odyssée d'
Homère et le naufrage d'Ulysse rejeté sur le rivage de l'île par une tempête. Baignant dans la mythologie grecque, il nous fait visiter l'île où Ulysse connut un amour sans lendemain, celui de Nausicaa, la belle princesse phéacienne fille d'Alcinoos.
« Partout des anses, des ports naturels, des prairies où paissent des moutons, des vignes étagées dans la montagne, des villages aux treilles de pampres, des plages solitaires où les troncs morts caressés par la mer dressent leurs branchent lisses et grises, et une population gaie, au visage ouvert, qui marche à grands pas sur les routes ombrées. Ulysse découvre tout cela que nous découvrions, nous, trois mille ans après lui… Nausicaa, comment ne serait-elle pas amoureuse d'Ulysse auréolé de sa légende, unique rescapé d'une aventure sans pareille ? Il est beau, il n'a pas d'âge…Un jeune coeur dont c'est le premier émoi se doit de succomber à tant de lauriers et de charme. »
Mais sa patrie Ithaque et le foyer conjugal avec sa fidèle Pénélope attendent le héros. L'aventure avec Nausicaa est terminée, elle a tenu en quelques mots et s'est conclue par un regard.
C'est le retour à Spetsai après une traversée de l'Argolide avec de nombreuses anecdotes que Déon sait nous distiller avec jubilation. Comme celles d'aventurières échouées dans un village et celles pittoresques de Grecs avec qui l'auteur sympathise.
L'arrivée à Lesbos où Déon veut séjourner suscite un certain désenchantement ; ce n'est déjà plus vraiment la Grèce, l'Asie est proche. La rencontre de quelques femmes excentriques à Mytilène venues avec l'intention d'honorer la mémoire de
Sappho fait bien sourire l'auteur.
Sappho, cette poétesse grecque du VIIe siècle avant J.C. dont les écrits manifestaient son attirance pour les jeunes filles.
Visite à Skyros où Thésée a trouvé la mort, tué par Lycomède. Visite de Paros et Antiparos puis Naxos aux hôtels douteux. Heureusement en Grèce, les légendes ne cessent de distraire de la réalité quand elle n'est pas celle qu'on voudrait. À Corfou, on va sur les pas d'Ulysse et de Nausicaa, à Skyros on visite le port naturel d'où embarqua Achille en partance pour la guerre de Troie, à Kos on se répète le serment d'
Hippocrate, à Naxos on songe à Ariane abandonnée par son amant Thésée. Et puis pour
Michel Déon, il y a les rencontres avec la population toujours enrichissante d'anecdotes souvent incroyables.
le retour à Spetsai puis le départ pour Chypre, l'île coupée en deux où règne un climat malsain entre Grecs et Turcs. Visite à Hydra et Kalimnos la bleue, Leros la jaune et arrivée à Patmos une des plus belles île du Dodécanèse. Dès l'arrivée le regard est attiré sur les hauteurs par le monastère de Saint Christodule dominant le petit port de Skala.
Michel Déon nous livre des réflexions personnelles tout au long du livre, par exemple sur la littérature française : « Elle a d'exquis raffinements dont on ne se lasse pas, un sens de l'économie des mots qui n'appartient qu'à elle, mais il lui est venu un fâcheux goût pour la politique et elle est d'usage à peu près strictement interne, ce qui n'est pas un vice mais une limitation. »
du monastère la vue est somptueuse avec les toits plats, les ruelles dallées, les escaliers plongeant dans la blancheur, le quai de Skala avec les caïques se balançant au grès de la houle qui entre dans la rade attisée par le meltem, ce vent dur venu du nord. La grotte de
Saint Jean se trouve non loin de là. Pour l'auteur, cette venue à Patmos est comme un aboutissement : « Patmos que je désirais connaître depuis des années, Patmos devenait un de ces rendez-vous fatals comme je les aime, une de ces rencontres qui exaltent. »
Puis c'est retour à Rhodes. La boucle égéenne est accomplie. Que de souvenirs évoqués par l'auteur au cours de ces 330 pages magnifiques, avec en filigrane le parfum des îles et la simplicité de ses habitants. Mais
Michel Déon a peur déjà à l'époque des hordes de touristes qui passent à toute vitesse sans rien connaître, sans rien découvrir, sans contact véritable avec la population. Quant à l'inépuisable roman des dieux et des héros, ils n'en n'imaginent même pas l'existence.
Michel Déon plus tard partira pour d'autres cieux, l'Irlande. C'est à Galway en 2016 qu'il est mort à l'âge de 97 ans.
Un très beau récit à lire et relire.