Les Poneys sauvages /
Michel Déon (1919-2016) /Prix Interallié/ Académie française.
Ce récit publié en 1970 est une biographie romancée des personnes que l'auteur a connues, un fil souvent ténu reliant ces vies les unes aux autres. Pour une part ce sont les confidences des amis qui ont alimenté cette histoire. Dans un bref avant propos,
Michel Déon nous confie que le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale n'est pas encore effacé alors qu'il termine ces lignes à la fin des années 60. Il avoue avoir vécu dans un brasier et que ce que lui et ses amis avaient de plus cher a été brûlé ou desséché.
Tout commence dans l'année 1937 : l'auteur narrateur a donc 18 ans. Il part faire des études en Angleterre où le hasard fait se rencontrer cinq étudiants, trois britanniques et deux français dont le narrateur, et d'emblée celui-ci nous confie que pour lui les Anglais sont le peuple le plus mystérieux de la terre et que les ethnologues feraient mieux d'étudier ce peuple bizarre pour en savoir plus sur l'Homme plutôt que les Indiens d'Amazonie. D'ailleurs il observe que dans ces années 37/38, la jeunesse anglaise ne se satisfaisant pas de la médiocrité nationale, louche étrangement vers l'Allemagne dont la résurrection économique et la flamme neuve après la défaite de 14/18, sidèrent l'Europe. Tout au long du livre, le narrateur se fait le confident et l'historiographe de la vie chaotique de ses quatre amis.
Michel Déon fait donc équipe avec Georges Saval un ami de longue date et trois anglais, Barry Roots, Cyril Courtney et Horace Mc Kay. Les cinq co - disciples passent du bon temps à Cambridge en dehors de leurs études dirigées par un certain Dermot Dewagh qui est et restera le ciment de leur amitié. On fait alors connaissance de Diana l'amie du narrateur et de Sarah, une femme élégante, libre et sulfureuse, qui deviendra plus tard la femme de Georges.
Un an passe et c'est le retour en France : l'Angleterre après avoir libéré les deux français, Michel et Georges, de leur morne psychologie de jeunes Français, les jettte maintenant dans la vie. L'Angleterre leur était entré dans la peau et la France les surprend, comme si elle avait changé, « mélange de prosaïsme et de grâce, de lourdes richesses et de vétusté, de réclames apéritives. »
Juin 1945 : Paris est en fête. le monde zazou triomphe et les filles ont l'air de boniches avec leur brioche sur le sommet du crâne et leurs jupes au dessus du genou. À 26 ans, la jeunesse a passé pour les amis de toujours. Cyril est mort en 40 à Dunkerque. Sarah réapparait au bras de Georges et trouble l'auteur. Elle respire l'érotisme. Elle est l'amie intime de l'auteur mais ne sera jamais sa maitresse. Une curieuse relation à trois s'établit. Les amants de Sarah par ailleurs sont légion dont la ruine morale et physique fait plaisir à Georges. Après les orages, un sentiment indicible naît à chaque fois entre Sarah et Georges. Il plait à Georges que l'initiative de leurs retrouvailles épisodiques soit abandonnée à Sarah. Il est son père, sa mère, sa soeur, son mari, et, de temps en temps, son amant.
Puis l'auteur rencontre Marie, un gentil visage, une créature échappée de la bibliothèque rose, égarée parmi les mâles et qui dispense un bonheur si difficile à trouver. Un bref éclair dans sa vie…
Chacun alors des quatre amis vit sa vie, Horace dans le corps diplomatique à l'ambassade de Grande Bretagne en U.R.S.S. Accusé d'espionnage il est expulsé. Georges se lance dans le journalisme et vit au plus près la Guerre d'Algérie. Barry joue au boy scout du marxisme avant d'atterrir dans l'ile d'Egine non loin d'Athènes, où il vit un violent amour avec Chrysoula, une ancienne prostituée. le narrateur s'installe à Spetsaï pour écrire.
le fils de Sarah et de Georges, Daniel est aussi un curieux personnage. Il a bourlingué et plus tard partage avec son père la jolie Claire. « Nous couchions avec la même fille, explique Daniel à l'auteur, cela créait des liens avec mon père. »
Plus tard, entre en scène Delia, la soeur de Cyril Courtney, une ravissante blonde sur un superbe ketch, qui vient semer le trouble à Spetsaï, là où résident l'auteur et quelques amis dont Daniel Saval qui se jure de la conquérir.
On retrouve ensuite Horace et Georges à Aden au Yémen, embarqués dans une affaire de trafic d'armes. Une réflexion de Georges sur la politique a retenu mon attention : « le souci d'aimer ou de dire la vérité vous place tantôt à droite, tantôt à gauche. On reconnaît les hommes malhonnêtes à ce qu'ils sont constamment à gauche ou constamment à droite. Inscrit à un parti, fidèle à ce parti et à ses chefs, vous acceptez implicitement de truquer ou de mentir par omission. La gauche et la droite ne sont plus des notions abstraites, ce sont des cages, des prisons et il se pourrait bien que la plus sectaire des deux soit la gauche, celle-là même qui s'est élevée autrefois avec le plus de courage contre le sectarisme de la droite appuyée par le clergé et l'armée. »
La passion de Daniel pour Delia va crescendo rétrécissant les durées et dévorant son esprit et son coeur, brouillant les heures et les jours, emplissant ses rêves et ses veilles, effaçant la réalité paisible et le sain mûrissement des êtres et des choses. Pour Daniel, la passion est la seule dynamique de la vie.
Dans la fin des années 50 un virus traverse le monde occasionnant une forme grippe assez grave. Et certaines lignes du récit nous interpellent en cette période de 2020 marquée par une pandémie mondiale. « Cinquante millions d'Anglais qui n'ont jamais été envahis depuis Guillaume le Conquérant, qui ont tenu le coup quatre ans sous les bombes, les voilà qui plient le genou et se couchent par millions devant un petit virus venu de Hong Kong, tranquillement ; en avion ou en bateau, sans passer la quarantaine, il procède par attaques massives …La première vague est lancée…Ce n'est qu'une répétition générale…Un virus insignifiant, un élément précurseur, bon pour une répétition générale avant la grande vague qui, elle, fourbit son arme absolue, cent fois plus rapide que tous les cancers…Nous ne savons rien des virus, nous n'avons examiné que les plus anodins, et ce que nous voyons confirme leur intelligence, leur sens de l'organisation, leur voracité, leur faculté d'adaptation à tous les milieux…L'homme n'est pas de taille à lutter. La civilisation l'a rendu plus grand, plus fort, moins laid, mais aussi plus vulnérable aux épidémies d'origine inconnue…Il peut se battre comme un lion contre son semblable, mais quand un virus l'attaque, il a la fièvre, les jambes molles, le coeur chancelant et il se couche. Son courage ne lui sert plus à rien. »
Les pérégrinations des uns et des autres nous mènent ensuite à Madère, une île paradisiaque et en Pologne pour une randonnée aventureuse.
Les Poneys Sauvages est un livre aux multiples facettes où le romanesque de ses personnages se heurte au cours impitoyable de l'Histoire. du massacre de Katyn à la Guerre d'Algérie en passant par la Guerre froide entre l'URSS et l'Occident, ce livre est le chef d'oeuvre de
Michel Déon. Une mention spéciale pour la qualité du style pour évoquer les magnifiques paysages
De Grèce, d'Irlande ou de Madère.