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EAN : 9782070360710
513 pages
Gallimard (07/04/1972)
3.83/5   166 notes
Résumé :
Un an avant le début de la Seconde Guerre mondiale, le hasard réunit à Cambridge quatre étudiants, trois Britanniques et un Français. Un cinquième, français aussi, deviendra leur historiographe, le témoin et le confident de leurs vies chaotiques dans les pires épisodes de la guerre froide.

Le roman tient son titre d'une vision poétique, bref répit dans le Londres pilonné par les Allemands. La mort y frappe à l'aveuglette et Georges Saval s'évade pour ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Michel Déon excelle quand il s'agit de faire traverser l'Histoire avec un grand H à son héros, ou à ses héros, comme ici.

Tout commence alors que la seconde guerre mondiale est devenue une évidence ; les années 30 finissantes, Cambridge… Quatre jeunes gens se lient d'amitié : Georges, le français, Cyril, Horace et Barry, les britanniques. Un « groupe » de jeunes plus ou moins hétéroclite − tels « les hussards » auxquels Déon a été assimilé, à son corps défendant − dont le point commun et ciment, semble leur professeur Dermot Dewagh.
Et Sarah ? la femme de Georges : une femme comme il s'en trouve tant dans l'oeuvre de Déon ; élégante, libre, sulfureuse.
Des personnages qui traverseront plusieurs guerres, de la seconde guerre mondiale à la guerre d'Algérie… La guerre froide… et le monde dans tous les sens : Georges a rejoint Horace dans les services secrets.
Le monde… Il faut dire que chez Déon, il y a toujours un personnage en filigrane : le cadre. Que ce soit le New Forest et ses « Poneys sauvages » au sud de l'Angleterre, ou la Grèce, l'Italie, Aden, l'Irlande, le cadre participe grandement à la saveur de la prose de l'auteur…

Un pavé, le premier de l'auteur d' « Un taxi mauve », autre pavé et du « Jeune homme vert », dont la structure narrative joue astucieusement entre le narratif « pur » et l'épistolaire, comme si la forme devait s'accorder avec les personnages, amis comme l'huile et le vinaigre dans la vinaigrette…
Un Déon sans amitié virile ? Connais pas. Une amitié virile traversée par quelques femmes libres, attachantes, attirantes… somptueuses…

Une lecture ancienne, une de mes premières de Déon, dont il me reste des souvenirs d'un style incomparable.
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Juin 1938, deux français traversent le Channel, ils rejoignent Cambridge. Georges Saval, condisciple de Cyril Courtney, Horace Mckay et Barry Roots, forment un quatuor sous la houlette de leur professeur Dermot Dewagh .La vie les attend pleine de surprises, bonnes ou mauvaises, d'épreuves, de non-dits, une vie qui verra leurs chemins se croiser ici ou là de part le monde, à l'Est à l'Ouest ..
Sous la plume de M défilent ces années d'après-guerre, de guerre froide qui mèneront les uns et les autres sur des chemins escarpés, fragiles acteurs d'un monde qui les dépasse.
Michel Déon est un auteur hors pair, sa plume est splendide et sa parole donne des frissons. Ce roman parait en 1970, il est facile d'imaginer le tollé de certains à la lecture de pages sur le massacre de Katyn incriminant l'armée rouge (les faits seront finalement reconnus dans les années 90), sur la fin de la guerre d'Algérie et l'affaire Sy Salah (archives ouvertes en mars 2021). 3O ans d' histoire défilent au fil des pages , impressionnant regard d'écrivain !
Un prix Interallié qui ne peut laisser indifférent.
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Les Poneys sauvages / Michel Déon (1919-2016) /Prix Interallié/ Académie française.
Ce récit publié en 1970 est une biographie romancée des personnes que l'auteur a connues, un fil souvent ténu reliant ces vies les unes aux autres. Pour une part ce sont les confidences des amis qui ont alimenté cette histoire. Dans un bref avant propos, Michel Déon nous confie que le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale n'est pas encore effacé alors qu'il termine ces lignes à la fin des années 60. Il avoue avoir vécu dans un brasier et que ce que lui et ses amis avaient de plus cher a été brûlé ou desséché.
Tout commence dans l'année 1937 : l'auteur narrateur a donc 18 ans. Il part faire des études en Angleterre où le hasard fait se rencontrer cinq étudiants, trois britanniques et deux français dont le narrateur, et d'emblée celui-ci nous confie que pour lui les Anglais sont le peuple le plus mystérieux de la terre et que les ethnologues feraient mieux d'étudier ce peuple bizarre pour en savoir plus sur l'Homme plutôt que les Indiens d'Amazonie. D'ailleurs il observe que dans ces années 37/38, la jeunesse anglaise ne se satisfaisant pas de la médiocrité nationale, louche étrangement vers l'Allemagne dont la résurrection économique et la flamme neuve après la défaite de 14/18, sidèrent l'Europe. Tout au long du livre, le narrateur se fait le confident et l'historiographe de la vie chaotique de ses quatre amis.
Michel Déon fait donc équipe avec Georges Saval un ami de longue date et trois anglais, Barry Roots, Cyril Courtney et Horace Mc Kay. Les cinq co - disciples passent du bon temps à Cambridge en dehors de leurs études dirigées par un certain Dermot Dewagh qui est et restera le ciment de leur amitié. On fait alors connaissance de Diana l'amie du narrateur et de Sarah, une femme élégante, libre et sulfureuse, qui deviendra plus tard la femme de Georges.
Un an passe et c'est le retour en France : l'Angleterre après avoir libéré les deux français, Michel et Georges, de leur morne psychologie de jeunes Français, les jettte maintenant dans la vie. L'Angleterre leur était entré dans la peau et la France les surprend, comme si elle avait changé, « mélange de prosaïsme et de grâce, de lourdes richesses et de vétusté, de réclames apéritives. »
Juin 1945 : Paris est en fête. le monde zazou triomphe et les filles ont l'air de boniches avec leur brioche sur le sommet du crâne et leurs jupes au dessus du genou. À 26 ans, la jeunesse a passé pour les amis de toujours. Cyril est mort en 40 à Dunkerque. Sarah réapparait au bras de Georges et trouble l'auteur. Elle respire l'érotisme. Elle est l'amie intime de l'auteur mais ne sera jamais sa maitresse. Une curieuse relation à trois s'établit. Les amants de Sarah par ailleurs sont légion dont la ruine morale et physique fait plaisir à Georges. Après les orages, un sentiment indicible naît à chaque fois entre Sarah et Georges. Il plait à Georges que l'initiative de leurs retrouvailles épisodiques soit abandonnée à Sarah. Il est son père, sa mère, sa soeur, son mari, et, de temps en temps, son amant.
Puis l'auteur rencontre Marie, un gentil visage, une créature échappée de la bibliothèque rose, égarée parmi les mâles et qui dispense un bonheur si difficile à trouver. Un bref éclair dans sa vie…
Chacun alors des quatre amis vit sa vie, Horace dans le corps diplomatique à l'ambassade de Grande Bretagne en U.R.S.S. Accusé d'espionnage il est expulsé. Georges se lance dans le journalisme et vit au plus près la Guerre d'Algérie. Barry joue au boy scout du marxisme avant d'atterrir dans l'ile d'Egine non loin d'Athènes, où il vit un violent amour avec Chrysoula, une ancienne prostituée. le narrateur s'installe à Spetsaï pour écrire.
le fils de Sarah et de Georges, Daniel est aussi un curieux personnage. Il a bourlingué et plus tard partage avec son père la jolie Claire. « Nous couchions avec la même fille, explique Daniel à l'auteur, cela créait des liens avec mon père. »
Plus tard, entre en scène Delia, la soeur de Cyril Courtney, une ravissante blonde sur un superbe ketch, qui vient semer le trouble à Spetsaï, là où résident l'auteur et quelques amis dont Daniel Saval qui se jure de la conquérir.
On retrouve ensuite Horace et Georges à Aden au Yémen, embarqués dans une affaire de trafic d'armes. Une réflexion de Georges sur la politique a retenu mon attention : « le souci d'aimer ou de dire la vérité vous place tantôt à droite, tantôt à gauche. On reconnaît les hommes malhonnêtes à ce qu'ils sont constamment à gauche ou constamment à droite. Inscrit à un parti, fidèle à ce parti et à ses chefs, vous acceptez implicitement de truquer ou de mentir par omission. La gauche et la droite ne sont plus des notions abstraites, ce sont des cages, des prisons et il se pourrait bien que la plus sectaire des deux soit la gauche, celle-là même qui s'est élevée autrefois avec le plus de courage contre le sectarisme de la droite appuyée par le clergé et l'armée. »
La passion de Daniel pour Delia va crescendo rétrécissant les durées et dévorant son esprit et son coeur, brouillant les heures et les jours, emplissant ses rêves et ses veilles, effaçant la réalité paisible et le sain mûrissement des êtres et des choses. Pour Daniel, la passion est la seule dynamique de la vie.
Dans la fin des années 50 un virus traverse le monde occasionnant une forme grippe assez grave. Et certaines lignes du récit nous interpellent en cette période de 2020 marquée par une pandémie mondiale. « Cinquante millions d'Anglais qui n'ont jamais été envahis depuis Guillaume le Conquérant, qui ont tenu le coup quatre ans sous les bombes, les voilà qui plient le genou et se couchent par millions devant un petit virus venu de Hong Kong, tranquillement ; en avion ou en bateau, sans passer la quarantaine, il procède par attaques massives …La première vague est lancée…Ce n'est qu'une répétition générale…Un virus insignifiant, un élément précurseur, bon pour une répétition générale avant la grande vague qui, elle, fourbit son arme absolue, cent fois plus rapide que tous les cancers…Nous ne savons rien des virus, nous n'avons examiné que les plus anodins, et ce que nous voyons confirme leur intelligence, leur sens de l'organisation, leur voracité, leur faculté d'adaptation à tous les milieux…L'homme n'est pas de taille à lutter. La civilisation l'a rendu plus grand, plus fort, moins laid, mais aussi plus vulnérable aux épidémies d'origine inconnue…Il peut se battre comme un lion contre son semblable, mais quand un virus l'attaque, il a la fièvre, les jambes molles, le coeur chancelant et il se couche. Son courage ne lui sert plus à rien. »
Les pérégrinations des uns et des autres nous mènent ensuite à Madère, une île paradisiaque et en Pologne pour une randonnée aventureuse.
Les Poneys Sauvages est un livre aux multiples facettes où le romanesque de ses personnages se heurte au cours impitoyable de l'Histoire. du massacre de Katyn à la Guerre d'Algérie en passant par la Guerre froide entre l'URSS et l'Occident, ce livre est le chef d'oeuvre de Michel Déon. Une mention spéciale pour la qualité du style pour évoquer les magnifiques paysages De Grèce, d'Irlande ou de Madère.

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C'est pour moi un premier contact avec l'oeuvre de Michel Déon que cette lecture. J'en ressors plutôt admiratif de son style mais vraiment réservé sur ses convictions et sa vision de l'humanité. le narrateur de ce roman me semble être un pur reflet de l'écrivain lui-même, ce qui nous vaut trop souvent de bien détestables remarques, qui m'ont heurté.
Quatre jeunes hommes se lient d'amitié dans le Cambridge de la fin des années 1930, un français, Georges et trois britanniques Cyril, Horace et Barry. Enfin, deviennent amis c'est vite dit car chacun a sa part d'opacité et on ne peut pas dire qu'ils forment un groupe uni. Ce qui est certain c'est que cette année passée à Trinity College, et les liens qu'ils ont noués, les suivront tout au long de l'âge adulte. Deux autres personnages auront beaucoup d'importance dans le récit, le narrateur et un de leur professeur d'université, Dermot.
Roman paru en 1970 (prix Interallié), « Les poneys sauvages » m'a paru très bien construit. Sur le fond en revanche il est le reflet de son époque de parution, encore marqué par les fantômes des années trente, de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide alors encore virulente.
Les personnages féminins n'ont guère le beau rôle ou bien sont traités avec beaucoup de misogynie, à l'exception de celui de Sarah, femme très libre, insaisissable amante. Si elle trouve grâce aux yeux du narrateur c'est parce qu'elle est dotée d'un caractère semblable à ceux des hommes. Elle ne s'embarrasse de rien ni de personne, à commencer de l'enfant qu'elle a eu de Georges et dont elle ne voulait pas.
Je comprends mieux les polémiques qui ont suivi la mort de Michel Déon, au sujet de sa sépulture à Paris. Visiblement ses textes n'ont rien perdu de leur caractère urticant. Ce n'était pas une lecture plaisante et je n'ai pas envie de poursuivre avec un autre de ses romans. Mais je lui reconnais du style.
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Déçu. Et pourtant "Le jeune homme vert" et "La corrida" m'avaient laissé un excellent souvenir ... comme quoi ! 500 pages de commentaires sur la vie et L Histoire : voilà de quoi est fait ce "roman". Derrière le narrateur, se cache l'auteur, c'est tellement évident que c'en est agaçant. de plus, les points de vue changent (tantôt omniscient, tantôt interne) alors que le narrateur reste le même, ce qui déroute complètement. Et ce ne sont pas les épisodes épistolaires qui peuvent expliquer cette alternance. Je n'ai pas saisi le sens de ce déséquilibre.
Non, ce roman est pénible à lire, il ne s'y passe quasiment rien, les personnages sont mus par des motivations obscures et sont assommants tant ils sont entêtés et repoussants (lâches, assassins, infidèles, égoïstes, vaniteux, bagarreurs, choisissez : des poneys sauvages n'auraient pas tous ces défauts) : l'histoire tourne à vide. Cependant, me direz-vous, je l'ai lu jusqu'au bout !
Eh bien oui. Je dénonce l'entêtement alors que ce n'est pas le moindre de mes défauts. Mais bon, je n'ai saoulé personne et j'ai eu la vague impression d'avoir persévéré (pour qui ? Pour quoi ? Je ne sais pas ... peut-être parce que je tiens en horreur la défaite.) Et puis le récit est plein de citations dignes de figurer dans le dictionnaire du même nom, c'est peut-être aussi ce qui m'a tenu, une citation par page égale 500 citations au moins ... que je ne retiens pas de toute façon. Enfin, le récit a un mérite, c'est qu'il montre à quel point la guerre défait les êtres humains durablement sur plusieurs générations : je suis sensible à ce point de vue, au plus profond de ma chair.
Certes, rien n'est jamais ou tout blanc ou tout noir. Toutefois, je ne conseillerai ce roman à personne.
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Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
Si vous écrivez : » trois années austères », j’ai l’impression que vous effacez le sourire de Joan, ses lèvres pâles et la voix enrouée qui me la fit aimer. Nous nous échappions pour les week-ends, prenant les trains du Hampshire. A Calgate, un tilbury nous attendait, conduit par une extraordinaire vieille ancienne écuyère de cirque qui fumait la pipe. Elle prétendait avoir été la maîtresse d’Edouard VII au début du siècle, ce qui n’aurait pas été une performance extraordinaire si elle n’y avait pas ajouté Léopold II de Belgique. Les deux s’étaient succédé dans son lit, à Paris, un même après-midi et miss Rose Huntington, en le racontant, demandait chaque fois dans son français charmant nourri d’un argot démodé : « En connaissez-vous beaucoup d’autres qui aient attelé à deux rois un même jour ? » . Ce passé galant autorisait Rose à nous donner – foin d’hypocrisie – une chambre unique dans son auberge de la New Forest perdue parmi les bois où galopaient des poneys sauvages. Il me suffit de soulever encore en pensée la fenêtre à guillotine pour revoir au petit matin la brume argentée de la clairière, le ciel blanc au dessus des arbres et, broutant l’herbe éclatante de rosée, les poneys aux long poils humides, brillants comme de la soie. Le souffle retenu, je restais immobile, buvant l’air froid jusqu’à ce qu’un des poneys m’aperçût et se mît à hennir. Alors le troupeau redressait la tête dans ma direction, et après un court frémissement de l’échine, trottait vers la lisière de la forêt où il s’arrêtait encore quelques secondes avant de disparaître.
– J’ai froid ! disait Joan.
Je baissais la fenêtre et gagnais, glacé, le lit où reposait mon amie, nue et tiède, la nuque à plat sur le matelas, les yeux grands ouverts.
– Vous allez attraper la mort! répétait-elle chaque fois.
– Joan, ce sont les premiers poneys sauvages que je vois et peut-être les derniers. Nous allons vers un monde où il y aura de moins en moins de poneys sauvages.
– Ce n’est pas une raison pour attraper la mort.
Ce fut elle qui l’attrapa ou plutôt la mort qui la rattrapa et la pulvérisa dans la grosse Rambler vert olive qu’elle conduisait à Londres pour un quelconque état-major.
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Le jour de mon départ, nous nous sommes longuement serré la main. Ce n'est pas un de ces imbéciles qui vous broient les phalanges pour vous faire croire à leur franchise. Non il préfère un chaud contact, paume contre paume, l'enveloppante caresse de l'amitié. On ne lui échappe pas. Sa méfiance naturelle une fois évanouie, son regard dit tout. Figurez-vous que je suis très fier de lui avoir plu, d'avoir été, du moins en certaines circonstances, à sa hauteur. Il m'a fait don d'un peu de son courage et auprès de lui, j'ai retrouvé ma qualité d'homme. Naturellement, il était tard aux yeux des autres, aux yeux de Daniel surtout, mais je ne quête plus d'autre approbation que la mienne.
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Le communisme était encore, en cette année 51, la seule tentation logique et raisonnable depuis la fin de la guerre dont il sortait grand vainqueur, auréolé d’un prestige immense volé en majeure partie aux obscurs héros de la lutte souterraine et aux combattants sans étiquette des maquis. Certes, le communisme forçait la note, mais il y était obligé au niveau des militants pour recouvrir du voile de l’oubli la criminelle collusion avec l’Allemagne. Pour les uns, il relevait le flambeau du nazisme vaincu dont la disparition laissait comme une horrible nostalgie dans le cœur des révolutionnaires. Pour les autres, il refusait le monde aveuli qui avait permis cette dernière guerre. Rien ne pouvait être pire que l’angoisse et la peur dans laquelle nous avions vécu. Rien. Et on ne nous proposait que de vieilles solutions où le matérialisme s’appelait bien-être. Matérialisme pour matérialisme, celui du communisme avait au moins le mérite d’être franc et inspiré par l’enthousiasme et la fraternité. Évidemment, il ne fallait pas trop regarder du côté des dirigeants, de vieux routiers bouffis et despotiques, prompts à se renier, ni du côté des intellectuels prodigues du sang des autres, mais tous les jeunes militants – la jeune vague – débordaient de force, de vie, d’ardeur et de générosité ; et même si cette générosité s’avérait terriblement partiale, si elle ne servait que les victimes communistes et couvrait d’un monceau d’ordures imbéciles les victimes du communisme infiniment plus nombreuses, elle était encore de la générosité. Nous le savions bien que les vieilles structures craquaient et qu’il fallait les remplacer. Mais devait-on se confier aux technocrates qui préparaient, au nom de la morale, un monde d’une amoralité parfaite, ou aux communistes qui préparaient au moyen de l’amoralité un monde moral qu’ils prétendaient parfait ?

Oui, jamais la tentation n’avait été aussi forte qu’en ces années et si à quelques-uns nous butions alors, c’était à cause d’une idée surannée, une vieille lune qui s’éloignait, l’idée de la Liberté. Elle avait opposé Proudhon à Marx. Marx lui-même en avait souffert à l’intérieur de son propre système au point qu’on voyait la liberté apparaître dans les écrits de jeunesse, disparaître dans Le Capital, resurgir dans l’exaltation de La Commune de Paris, puis mourir, étouffée au nom des nécessités de l’action, dans La critique du programme de Gotha. Naturellement, Marx était un fourre-tout, une auberge espagnole, mais il avait eu la prescience du poids terrible que pèserait sur nous la société moderne industrielle. Nous lui rendions cette justice qui en vaut bien d’autres, et sous son nom nous reconnaissions que les militants étaient unis par une enthousiaste et profonde fraternité. « Camarade » restait le plus beau titre dont on pouvait saluer un homme.
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- La justice immanente ? Qui t'a parlé de ça ? [...]
- Vous me désapprouvez ! dit-il avec une telle déception dans la voix que j'en fus bouleversé.
- Non et oui. Il est juste que tu défendes ta maman même si tu ne la connais presque pas, et il faudra toujours que tu la défendes, mais tu ne dois pas faire justice toi-même.
- Pourquoi ?
- La loi le défend.
- La loi n'est pas juste.
- La loi est une transaction entre la Justice et l'Injustice. Nous en avons besoin pour vivre en paix.
- Je ne mange pas de ce pain-là.
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Le soir ils prirent le train pour Newhaven, puis le bateau pour Dieppe. A minuit, après la douane, Sarah demanda un hôtel. Elle voulait coucher là. Ils passèrent trois jours dans une chambre immense au lit de cuivre. La fenêtre donnait sur la plage et la mer où traînaient encore des péniches de débarquement criblées d’obus et des carcasses de chars. Les mouettes viraient devant leur fenêtre avec des cris plaintifs d’enfants blessés qui les éveillèrent le matin. Ce n’était plus les poneys de la New Forest que Georges contemplait après l’aube, mais le vol lent des oiseaux sur un fond de mer verte mêlée au ciel gris.
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Des messages portés par les nuages : lettres à des amis Jean d'Ormesson Jean-Luc Barré, Martin Veber Éditions Bouquins
Recueil de lettres reflétant la grande diversité des correspondants de l'écrivain français : Marguerite Duras, Michel Déon, Raymond Aron, Jacques de Lacretelle, Jean-François Brisson, Roger Callois, Jeanne Hersch, Claude Lévi-Strauss, Simone Veil, Michel Debré, entre autres. Un dévoilement des jugements littéraires de l'auteur, de ses admirations, de son intimité et de son engagement d'écrivain. ©Electre 2021
https://www.laprocure.com/messages-portes-nuages-lettres-amis-jean-ormesson/9782221250051.html
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