Chroniqué le 15 mars 2015- Remanié le 16 mai 2021, après relecture….
Qui sommes-
nous ? de quoi sommes-
nous faits ? Les grandes questions que
Marie Didier traite dans cet ensemble de souvenirs….
« Qu'ils aient tenu un rôle effacé ou déterminant, tous m' ont appris, m'ont donné quelque chose.
Ne suis-je donc alors que « l'addition des autres « ?
Sans eux, qui aurais-je bien pu être ?
Alors, qui suis-je ?
Et que reste-t-il de ce « fourre-tout de hasards » qu'on appelle le « je », auquel
nousnous cramponnons tous avec acharnement ? (p.183)”
J'ai beaucoup apprécié ce récit autobiographique de
Marie Didier, dont j'aime les écrits autant que la sensibilité… Comme si avec ce livre… je poursuivais une conversation avec une amie.l
Marie Didiernous offre des éclats de vie…entre son enfance et son présent, les rencontres, les visages, les sourires, les présences du passé qui ont infléchi d'une manière ou d'une autre le cours de son existence, ses années en Algérie avec son mari dissident, résistant auprès des Algériens, mai 68, son parcours vers l'écriture, sa pratique de médecin, ses relations à ses patients, ses amitiés avec
Claude Roy,
Jean Grenier et
J.B. Pontalis, ses amours, sa famille, ses filles, ses modèles en littérature comme en médecine, etc.
« J'ignore encore à ce moment-là que, tout au long des années qui vont suivre, j'écrirai, sans doute sous différentes formes, toujours le même livre.
Chacun d'eux sera en effet traversé par la même question qui attendra toujours la même réponse. Pourquoi, où et comment trouver la joie, la force de rester debout même quand tout s'effondre ? » (p.169)
S'il existe une lecture [hormis les écrits de Camus, évidemment !] que je voudrais partager, et faire lire à tous, c'est le sensationnel ouvrage de cette auteure-médecin, qui est dans mes souvenirs de lecture les plus marquants !!!
Je souhaitais nommer : «
Dans la nuit de Bicêtre », sombre et lumineux, tour à tour. Texte dont
Marie Didiernous parle abondamment dans ces lignes afin de
nous expliquer la genèse de ce très beau livre qui sort de l'ombre un homme modeste, humble ; qui, par son bon sens et son humanité, révolutionnera le sort des « aliénés »…
Peu importe à un moment donné… la culture, la position sociale, ou toute autre considération de façade !!! Ce qui prévaut c'est l'intensité de l'humanité inhérente à chaque individu par laquelle il va se dépasser, se révolter, agir…Et c'est le cas de Jean-Baptiste Pussin, qui libérera les « fous de leurs chaînes » ; le mérite en sera attribué ensuite à Pinel, dans la postérité, injustement !
Dans ces réminiscences,
Marie Didiernous parle également de ce temps qui passe inexorablement !
Même si ces passages sur l'approche, la venue de la vieillesse sont très forts, je regrette un « petit peu » que l'auteure achève son récit sur les ravages de l'âge… comme si nos écrivains de prédilection, comme nos proches, nos amis, nos amours…
nous refusions de les voir changer, souffrir, vieillir !...
J'ai trouvé très longtemps la « RELECTURE » inutile ou dangereuse [pouvant apporter déception au lieu de l'enthousiasme originel !]… Je me suis exercée ces derniers temps lorsque je faisais une relecture de compléter ma chronique lorsque j'en avais rédigé une, et que je la trouvais insuffisante ou donnant une image trop réduite. Pour ce livre, par exemple, bizarrement j'avais insisté de façon disproportionnée sur la fin, un peu sombre, alors que le récit dans son ensemble est plutôt lumineux et combattif…
Je viens donc de soustraire un passage qui donnait un parti-pris injustement négatif… alors qu'il est tout le contraire. En contrepartie, j'ai choisi d'ajouter un extrait qui m'a fortement émue…qui illustre à merveille le sujet du livre et le titre que l'auteure a choisi :
« Si l'oncle Frédéric n'avait pas insisté auprès de sa famille pour faire suivre des études à mon grand-père, je n'aurais jamais appris à aimer la musique en l'écoutant jouer Mendelsohn ou Brahms sur son violoncelle, je n'aurais jamais aimé lire -Les Trois Mousquetaires-, -Les Misérables- ou -Le Comte de Monte-Cristo et je n'aurais peut-être pas eu à l'âge adulte cet amour de la littérature qui m'est encore aujourd'hui un secours si précieux.
sans lui, je n'aurais enfin jamais pu faire d'études ni pratiquer le métier de médecin. (...)
Et j'aurais pu mourir sans avoir connu le désert , les voyages, l'amour, le cinéma, la musique, la poésie et la littérature. (...)
Aujourd'hui, sur une étagère, juste sous le rayon poésie, il y a toujours la trousse de l'oncle Frédéric, toute en cuir rouge encore vif et gravé à l'or fin.
A l'ouverture des rabats, spatules, pinces et bistouris (...)
Je ne connais rien d'autre de cet homme.
Pourtant je lui dois tout.
jusqu'à ce jour, mon ingratitude envers lui fut totale. (p. 74) »
Et combien chacun de
nous a sa dette d'ingratitude envers des personnes « oubliées » qui ont d'une manière plus ou moins évidente laissé une empreinte essentielle…dans la direction de nos existences !
Une lecture des plus touchantes d'une militante au parcours incroyable : femme-médecin, engagée envers ses malades, et plus particulièrement les gitans, communauté pour laquelle
elle se battra comme médecin-gynécologue et femme…aux nombreux textes de qualité, reliés très souvent à sa pratique médicale, dans une forme et un contenu très critiques, regorgeant de sensibilité, d'empathie (dont l'un de ses 1ers écrits, «
Contre-visite » défendu par J.B Pontalis)…et surtout…EXCUSEZ mon insistance … «
dans la nuit de Bicêtre » qui est une vraie pépite, à tous points de vue…il demeure toujours dans les livres que j'emporterais sur une île déserte !!