Le voyage à Stettin

"Le voyage à Stettin" est un court roman d'apprentissage d'un des plus grands écrivains allemands, Tankred Dorst (dramaturge,metteur en scène, romancier,poète), qui nous emmène "aux confins d'un univers fait de bribes d'enfance et de questionnements d'adolescents, de paisible vie campagnarde et de rumeurs d'avions bombardiers sur Berlin".

Heinrich alias Tankred Dorst né en 1925, vit dans le petit village de Grünitz,en Thuringe, préservé du chaos de la guerre. A quinze ans, envoyé à un stage des Jeunesses hitlériennes de la Marine, à Stettin, pour un mois, il est renvoyé au bout de trois jours sous prétexte qu'il lisait durant sa garde de nuit. N'ayant pas caché le livre, quand le sous-officier vint contrôler,alors qu'il en avait largement le temps, il le considère comme son première acte de bravoure contre le système. Ne voulant pas rentrer chez lui directement, il va s'attarder à Berlin, ville sous les décombres, aux maisons éventrées, aux façades écroulées et visiter son oncle Hermann. Un oncle, frère de sa mère,que cette dernière n'apprécie point, un homme aux moeurs libres, aux pensées libres,.....dans le Berlin en ruine...et Heinrich va voir le vrai visage de la guerre, dont un petit chapitre poignant ,"Ceux qui se taisent". le jeune Heinrich, rentrant pour de bon chez lui, remarque sur le quai de la gare un petit groupe de gens, surveillé par des soldats,le fusil en bandoulière,sous l'averse de neige mouillée, "ces gens ....sont-ils surveillés? Pourtant il y a des femmes parmi eux,même une trés vieille femme avec un chapeau, et plusieurs petits enfants, pourquoi doit-on les surveiller? Ont-ils commis un crime?Ou est-ce qu'on les protège ? de qui ?" Nous sommes en 1940, sur un quai de gare à Berlin....combien de personnes vivant en Allemagne, en dehors des grandes villes, ne savaient pas ce qui se passait réellement ? ...
De retour à Grünitz , il ne sera plus jamais le même.....

C'est une prose simple, net, claire, où dominent les dialogues,rappelant une pièce de théâtre....et effectivement c'est issue d'une pièce de théâtre préexistante. Il faut dire que chez Dorst, "les frontières des genres ont toujours montré une certaine perméabilité ".

Tankred Dorst malheureusement ne bénéficie pas de notoriété mondiale, alors qu'il est l'auteur allemand vivant le plus joué dans le monde germanophone et a été distingué par les plus grands prix littéraires (Georg Büchner 1990, Max Frisch 1998,.......). Il participe avec son style particulier avec beaucoup d'honnêteté,au profond examen de conscience de l'Allemagne d'après-guerre.Son oeuvre basée sur la détresse morale et matérielle qui appartient à la génération qui a connu les années noires de l'Allemagne , oscille entre "grave" et "drôle" , deux conceptions où il n'y a parfois que l'espace de la subjectivité.
J'ai connu Dorst pour la première fois en 1992, sur scène, avec "Die Kurve",( le virage), une de ses premières pièces qui m'a conquise de suite.Par la suite je pus voir nombre de ses pièces, dont je conseillerais la lecture pour qui aime ce mélange du grave et du drôle,frôlant parfois l'absurde, dans l'examen du réel.

Voici ce qu'en dit la gentille carte qui accompagnait ce cadeau "...que tu n'as pas lu et que tu n'aurais pas eu l'occasion de les lire si non envoyés par moi :)) Tankred Dorst est un dramaturge [...] malheureusement peu connu en dehors de son pays, bien que j'ai vu il y a des années une de ses pièces à Paris "Fernando Krupp m'a écrit cette lettre". ..." En effet, découverte. Merci Bookycooky !

Dorst : la soif, dans le nord de mon plat pays. Est-ce la sombre rivière en photo de couverture ? Tankred : réservoir rouge, association spontanée.
J'ai d'abord pensé le garder un peu au frigo
comme une poire pour ...
ou une pomme ... d'arrosage.
Tankred Dorst, rafraîchissant, dans ma mémoire qui se souvient si peu, il a grandes chances de ne pas sombrer.

Un petit livre, 124 pages aérées, découpé en 25 chapitres, ou devrais-je dire tableaux ?
Une écriture légère mais d'une densité stupéfiante.
"Un oncle qui est composé de vêtements." p.81
Quelle force dans le non-dit !
"Quelque part ils ne lui semblent pas sérieux : frivoles, d'une façon indéfinissable. Ou est-ce seulement qu'il ne les comprend pas ? Ils parlent entre eux et quand il écoute leur conversation, il a l'impression que leurs phrases ont aussi une autre signification, un sens caché et secret, qu'il ne parvient pas à percer."

Tout commence de manière très bucolique. "Dans la partie arrière du grand jardin, les pommiers... "Hannah et Heinrich...
Grünitz Allemagne 1942 ? 43 ? Heinrich a 16 ans le champ de tous les possibles s'étend majestueux devant lui, plus que jamais un champ de mines.
Heinrich et Werner. "Parfois aussi ils parlent sans fin de la façon dont ils fonderaient un Etat sur une île inconnue jusqu'alors, ils ébauchent des lois et réfléchissent à des règles idéales." p.21
Les illusions de cet âge se noient dans la désillusion de ces années. Terrible. Les rêves d'Heinrich se fracassent dans la tourmente de la réalité. Le voyage à Stettin, le refoulement à Berlin bombardé, et puis le regard de ceux de Grünitz.

Il me faudrait mentionner l'humour grinçant, Aha l'anecdote du Zeppelin p.31, la dureté des situations, cette sortie de librairie p.58, le croquis de personnage, Tique p.61, l'ironie mordante p.71, le calembour p.91, l'irrévérence outrancière, Aha la scène avec Herzog p.97 et soudain la confrontation avec la brutale réalité ch.19, ...

Cela ne se raconte pas, cela se lit. Tout tient par l'écriture. Une autopsie au scalpel des luttes intestines d'un adolescent balloté par le grand tourbillon de L'Histoire.

Oui, j'ai aimé