C'est par des considérations littéraires ou. historiques que nous nous détachons du présent, le seul qui nous intéresse en dehors de tout parti pris, et que nous préférons les monuments du passé aux œuvres de l'art contemporain. Celles-ci ont été conçues à notre image;- elles portent la marque de nos goûts, de nos préjugés, de nos modes. Ce sont les seules dont nous puissions avoir une intelligence parfaite. Elles nous causent un plaisir immédiat. Nous ne jouissons des autres qu'après raisonnement.
Certes, le nu n'est .pas toute la sculpture. Le vêtement n'est que pour le sculpteur malhabile un obstacle à l'interprétation des lignes, aux rythmes divers du mouvement. Mais concédons que l'artiste doive dépouiller son personnage d'un costume sujet aux variations de la mode, pourquoi préférer le gymnaste grec au moderne adolescent amenuisé. par le luxe et le plaisir, l'exclusif développement cérébral? « Le nu d'une grisette déformée par le métier ou le nu grêle d'un Donatello n'est il pas aussi intéressant que celui de la Diane chasseresse?. Et les bustes des Césars de la décadence, si congénères des nôtres, ne sont-ils pas aussi intéressants que les têtes des Niobides? » Remarquez combien de fois ce mot INTÉRESSANT revient sous la plume de Laforgue. C'est que, pour lui, tout est là être intéressant. Il pose ce postulat non par dilettantisme, mais par philosophie.
L'esprit humain est une résultante de l'évolution organique terrestre. La pensée, qui a pour champ l'univers, est identique à son objet, car le sujet n'est rien sans l'objet proposition aussi nécessaire que celle-ci rien ne peut être en dehors de tout. La connaissance métaphysique, où s'élèvent les inductions des sciences expérimentales de la vie, répond, par conséquent, à une réalité transcendante, Quelle est cette réalité transcendante ? La simple loi de la sélection naturelle universelle c'est l'objection que Laforgue opposait aux déterministes indique une tendance divine, attendu que deux forces ne peuvent coexister qu'en concurrence vitale, et que, si l'une l'emporte, c'est en vertu d'une tendance occulte, partout déterminante; l'univers des forces en concurrence vitale se résout donc en une sélection unique, selon cet idéal.
Vous faites de l'abstrait; vous sortez du réel. Dira-t-on, selon la formule de Taine, que le plus beau ciel sera le plus « stable » ? Ce qui nous plaît, dans les ciels de Constable, c'en est précisément la mobilité. On y sent le vent qui pousse les nuages et en fait courir l'ombre sur les terrains et les eaux. Le soleil, qui est l'objet le plus « stable » de l'univers, n'est pas pour l'éphémère poète, dont la règle est l'Imitation de Notre-Dame la Lune, plus intéressant que « le regard de l'éternelle femme aimée Une rêverie de Shelley et un sonnet de Baudelaire ne lui semblent pas inférieurs à un chant de Virgile ou à une ode de Pindare. C'est qu'en réalité toutes les manifestations de la force unique et inconsciente, qui est le principe du monde, sont aux yeux du philosophe d'égale importance
Chaque homme aspire au beau. La somme de ces aspirations concurrentes se résout par la sélection naturelle en une aspiration unique vers l'idéal.