AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

David James Duncan (Autre)
EAN : 9791090724877
512 pages
Monsieur Toussaint Louverture (08/04/2021)
4.03/5   96 notes
Résumé :
Des côtes de l'Oregon à Portland, en passant par des torrents bouillonnants ou des cascades à-pic, qu'il y croise une sirène, un cadavre ou un chien philosophe, Gus Orviston est un prodige de la pêche. Oscillant entre désespoir et euphorie, une prise après l'autre, il nous entraîne avec drôlerie, sagesse et poésie dans sa quête du cours d'eau parfait, celui qui répondra à toutes ses questions. La Rivière pourquoi est un hymne à une existence réconciliée avec nos pas... >Voir plus
Que lire après La Rivière PourquoiVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
4,03

sur 96 notes
5
15 avis
4
6 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
« La rivière pourquoi », ce livre de l'américain David James Duncan, écrit en 1983, possède, vous en conviendrez, un titre énigmatique…qui n'est que le reflet d'un récit original, libre dans sa forme, drôle dans son ton, voire franchement caustique par moment. Profondément tendre. Un livre sur la pêche pourtant, ce qui pourrait rebuter plus d'un lecteur, mais, publié aux formidables éditions Monsieur Toussaint Louverture, ça change tout…ça signifie immédiatement une singularité, une richesse, une découverte. Ça signifie souvent un beau livre objet, et c'est bien le cas ici avec sa couverture vert canard aux stries aquatiques ondulantes, avec son papier recyclé souple qu'on ouvre en grand sans hésitation pour plonger dedans, ce papier fort et souple « lui permettant de ferrer les mots pour les approcher de nos rivages, leur beauté encore intacte ».
Un vrai plaisir de lecture, tel un moment de sérénité au bord d'une rive, allongé dans l'herbe tendre à regarder les nuages passer, tous différents dans leurs formes et leur consistance, les anecdotes drôles laissant place à des réflexions philosophiques profondes, les statistiques aux listes, les controverses aux extraits de livre, les blagues les plus farfelues aux constats des dégâts écologiques de la surpêche et de la destruction des cours d'eau…les chapitres s'égrènent ainsi, variant les plaisirs, nous faisant tour à tour sourire, rire, réfléchir.

Le ciel cotonneux
tisse une lumière fibreuse
où mes pensées paissent
allongée sur l'herbe tendre
les lèvres à hauteur de trèfles

Petit intermède poétique tant ce livre est poésie…enfin essentiellement poésie halieutique et envolée lyrique riparienne : « Un grand héron bleu tournoya au-dessus de moi, cornant comme une vieille limousine volante à la transmission asthmatique. Pourtant, le ciel et ses habitants n'étaient rien pour moi : mon regard ne s'intéressait qu'à l'eau. A bord d'un canoë, on ne se contente pas de descendre une rivière : on en fait partie, on devient une créature aquatique silencieuse qui réagit à chaque accélération, à chaque modification du courant, et qui glisse comme un doigt sur un corps nu et vert. Et comme on ne fait pas de bruit, on voit le cerf s'abreuver, les castors travailler, les petits rats musqués et les canards bavards, tout ce qu'on ne voit presque jamais en se baladant le long des berges ».

Alors, La rivière, pourquoi ? Pourquoi cet hommage à la pêche en rivière, un livre entier consacré à cette passion qui se veut ici quête de sens, méditation, odyssée spirituelle… ?

La rivière parce qu'elle est berceau : notre narrateur, Gus, est enfant de deux mordus de pêches, il a même été conçu sur les bords d'une rive suite à une violente rixe liée à la façon de pêcher (une scène haute en couleurs). Étonnants personnages que ces parents, qui ne cessent de parler pêche, et surtout de se quereller à propos de la pêche, le papa Henning Orviston surnommé H2O étant spécialiste de la pêche à la mouche et la maman étant une fervente de la pêche avec appâts. Depuis tout petit il baigne dedans au point de sceller son destin à la pêche :

« Des années avant de pouvoir l'exprimer par les mots, je savais que mon destin me conduirait vers des eaux dormantes, des eaux tumultueuses, des eaux bleues, vertes, boueuses, claires ou salées. Dès le début j'avais l'esprit et le coeur si pleins de l'élément liquide que presque tout le reste sur la surface bulbeuse de la terre m'apparaissait comme insignifiant, importun, juste bon à me faire perdre mon temps ».

Et cette présence de la pêche va définitivement le marquer et le façonner :

« A cause de la pêche, mes camarades de classe me voyaient comme un illuminé. A cause de la pêche, je suis devenu aussi silencieux qu'un balbuzard, aussi timide qu'une truite, et j'ai vite appris à me glisser à travers les mailles du système scolaire comme la rivière glisse autour des rochers, des embâcles et des digues qui entravent son voyage vers la mer ».

La rivière parce qu'elle est obsession : La seule obsession de Gus est la pêche, matin, midi et soir sans parler de tout ce que cela implique en termes de temps à consacrer aussi à la fabrication de mouches et de cannes. La pêche est tout et résume le monde. C'est lui qui mord à l'hameçon, ferré à sa passion au point de négliger ses études et l'entretien minimum de son être et de son abri comme en atteste ses listes de programme d'une journée idéale.

La rivière parce qu'elle est quête de sens et destinée : Lorsque Gus décide de quitter le cocon familial du fait de l'ambiance électrique entre ses parents, il s'installe dans une cabane de pêcheur au bord d'une rive idyllique. le jeune homme, totalement isolée, va connaitre et endurer la pire des solitudes, expérience philosophique menée dans une ascèse aquatique rigoureuse, durant laquelle Gus va partir à la pêche de son destin. On le voit osciller entre désespoir et euphorie, questionnements existentiels et tentatives de réponses, une prise après l'autre, il nous entraîne dans sa quête du cours d'eau parfait, celui qui répondra à toutes ses questions. On le voit être débordé et dégouté par sa passion puis y revenir avec plus de sagesse et de poésie. Réconcilié avec ce qu'il est et ce qu'il aime. La rivière et son cheminement, parfois en lacets tortueux, voire en forme de point d'interrogation, avant d'être fleuve puis de s'abandonner dans l'océan telles nos destinées.

« J'ai pêché dans ma tête et dans mon coeur, à la recherche d'un peu de sagesse ou de consolation au sujet de la mort (…) Mon art de la pêche s'était fracassé sur les écueils de l'incompréhension. J'étais largué ».

La rivière parce qu'elle est élément d'intelligence naturelle, cette intelligence qui se développe grâce à une relation silencieuse ou à peine formulée, intime, avec les éléments, les arbres, les insectes, les oiseaux, les fleurs, les cours d'eau, les montagnes, cette intelligence qui émerge à mesure que le naturel se plonge dans son habitat, cette intelligence qui est instinct, comme ce que Thoreau a pu développer au bord de son étang. Cette intelligence que n'ont pas tous ceux qui convoitent la chair, la viande, les minerais, les arbres, les fourrures et les dollars, avec ingratitude et avec suffisance. Cette intelligence aussi qui permet de considérer avec bienveillance et richesse ce petit frère à l'imagination si fertile, si différent du reste de la famille. La rivière nettoie les pensées rigides, purifie le regard.

« le plus haut degré de cette intelligence, on le trouve surtout, je crois, là où la terre, l'air, l'eau et le feu ont été le moins viciés par les hommes et les machines. Dans le désert et les broussailles de l'est de l'Oregon, le long de n'importe quelle rivière ».

La rivière enfin parce que les rivières ont toujours fasciné David James Duncan, né à Portland dans l'Oregon en 1952. Ce roman d'apprentissage, qui apporte dès sa publication une immense renommée à son auteur, est une véritable quête philosophique abordée sous un angle original, frais et tendre. J'ai très souvent ri, les personnages sont haut en couleur et sous la plume de l'auteur ils sont tellement habités par leurs passions, leurs humeurs qu'ils en deviennent touchant d'humanité. J'ai été ferrée par ce livre, ont coulé sur moi en pluie fine, parfois en cascade, les plus limpides des réflexions humanistes…
Commenter  J’apprécie          10242
♫Moi je sors une truite, d'au moins 120 kilos
J'ai pitié, trop petite, je la rejette à l'eau
Il est midi passé, je reviens les mains vides
Trop de vent, pas assez, l'eau était trop humide
Alors je rentre chez moi triste comme un menhir
Mais personne n'est là pour m'entendre mentir♫
-Renaud- 1985 -
----♪---♫----🐟---🙏---🐟----♫---♪----
"Comme bien des ermites à l'esprit troublé, je me suis surpris de plus en plus souvent à raconter un tas d'histoires, pas à moi-même, oh ! non! mais à Rodney, ma canne à pêche."
p137-Livre deuxième-
- chap 2 -De l'eau dans le cerveau-
Digression :
L'inexplicable, deux solutions :
Logique ou Mytho !?
Mémory of Water L'EAU
Mouche dans l'oreille peut te rendre idiot
Rêver un Nourêve impossible
La Conjuration des Imbéciles
Brûler d'une fièvre possible
Une quête , une étoile accessible
Commencer à déliter
Sans intention d'y remédier...
Le drame de la femme de Lot
Les pouvoirs consolateurs de la Philo
Tout ton "que dalle" pour un programme Idéal
Et changer ton Idéal pour une canne à âme...
♪Moi, je plante mon hameçon tout en haut d'une branche
Je tire sur le nylon, me ruine une phalange♪
Mieux vaut apprendre à pêcher que donner du poisson
Je préfère d'être heureux que d'avoir raison...
Commenter  J’apprécie          1007
" Venez à moi pauvres pêcheurs ", Augustin n'a qu'une passion dans la vie: la pêche à la ligne. Ses parents ont une part de responsabilité, le papa Henning Orviston alias H2o spécialiste de la pêche à la mouche et madame c'est plutôt la pêche avec appâts. C'est dire le genre de discussion familiale. Fatigué d'une énième querelle sur l'art de la pêche, Gus quitte la maison pour voler de ses propres ailes. Au programme pêche le matin, l'après-midi, et le soir et bien sûr la fabrication de mouches et de cannes.
Dans sa cabane près de la rivière Tamanawis en Oregon Gus ne s'imaginait pas que la solitude est dure à porter pour un jeune homme de vingt ans.
La vie de Gus Orviston va prendre un tournant à 180 degrés, une série de rencontres comme Abe le noyé, Titus l'apprentie pêcheur philosophe et son chien Descartes, la belle Eddy , nymphe des rivières.....
Face à" la rivière pourquoi" , notre jeune ermite va partir à la découverte de la vie, une quête existentielle et spirituelle peuplées de points d'interrogations.
La recherche de son ombre, son jumeau, ce lien, ce fil de soie, sa ligne de vie. Pas besoin d'être pêcheur pour ouvrir ce magnifique roman de David James Duncan, un récit sous le signe de l'eau, une ode à la nature, rivière, poissons, ça pourrait être un mantra. J'ai adoré ce roman d'apprentissage.
Merci monsieur Duncan pour cette histoire d'eau, ces personnages, ces images. Et merci à la maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture d'avoir ressorti ce bijou littéraire.
Commenter  J’apprécie          9414
Dans un endroit dont je tairai le nom, sous le regard amoureux de la lune, je regarde le silence et au milieu coule une rivière. Elle fait des s, comme un serpent serpente ; elle fait des l, comme si l'eau volait de ses propres ailes ; elle fait même des c, comme les courbes de cette femme qui se baigne nue dans l'eau froide de celle-ci faisant frétiller la queue des carpes et des truites. Et si je prends du recul, que je grimpe sur le rocher là-haut en guise de promontoire, je vois que la rivière dessine un ? dans le paysage ce qui me fait dire qu'elle m'interroge. Sur ma condition, sur l'art de la pêche, sur ma vie. Sur moi, tout simplement. La rivière philosophe pendant que les poissons filent entre les remous et que le pêcheur fait voler ses mouches au-dessus de l'eau. « La rivière pourquoi ».

Dans les eaux douces de l'Oregon, de l'Idaho ou du Colorado, dans celles du Nevada, du Canada ou de l'Alaska, Dieu s'y baigne au milieu des truites argentées ou des truites arc-en-ciel. Un florilège de couleurs et de clins d'oeil qui volent au-dessus de ces cours d'eau, comme des mouches lancées par quelques pêcheurs-chasseurs. La foi aidant, l'homme se retrouve devant les tourbillons de sa vie et face à la rivière, l'éternelle question, le dilemme de plusieurs vies : pêche à la mouche ou pêche à l'appât. le genre de question philosophique qui n'a pas de réponse définitive car tellement évidente que même avec une glacière de bières fraîches je n'ai même pas envie d'y réfléchir.

La Tamanawis River coule – c'est comme ça que j'ai décidé de l'appeler -, à côté de la Tamanawis Mountain, là où quelques nuages embrumés semblent s'accrocher. C'est dans une cabane appontée à la rivière que l'adolescent se fait homme, s'émancipe de son paternel, pêcheur à la mouche et philosophe à ses heures perdues, s'émancipe de sa mère, trempeuse de vers et pragmatique poétesse, découvre l'amour, découvre la philosophie, s'imprègne de silence, plonge nu dans l'eau froide, regarde cette fille nue plonger dans l'eau froide, ah l'amour, ah l'amour, les regards et le silence. Il découvre simplement la vie, comme dans un roman initiatique à la Kerouac sans ce cheminement sur la route, car il est bien au bord de l'eau, tel un ermite solitaire avec quelques bouteilles de bières qu'il échange contre ses plus belles mouches.
Commenter  J’apprécie          498
Monsieur Toussaint l'Ouverture nous offre toujours des récits et écritures de grande qualité. J'ai lu de cet auteur Les frères K qui m'avait impressionné par son humour, sa tendresse et son humanité. Celui-ci est de la même veine, bien qu'écrit avant. Je me suis fait un plaisir de le savourer au bord d'un lac où j'ai pu observer des pêcheurs, j'avoue pas aussi doué que notre jeune héros. Cet homme qui consacre sa vie (au point d'en oublier la sienne) aux rivières et à son environnement et qui, au passage, dénonce la disparition de cours d'eau. Les scènes d'engueulades des parents, eux-aussi pêcheurs, sont truculentes. Quant au petit frère qui a une imagination débordante... Comme beaucoup de passionnés, il va aller au bout de ses rêves en vivant isolé dans une cabane. Cet isolement le fera réfléchir et grandir. Un grand merci à michemuche. ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️
PS : Quel dommage de ne plus pouvoir mettre les étoiles !
Commenter  J’apprécie          392

Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Il construisait quelque chose. On n'arrivait pas à savoir quoi, mais il était clair qu'il avait commencé au début de la matinée. Il y avait à coté de lui une petite tronçonneuse, un marteau et des clous, un niveau à bulle, une perceuse, des boulons et des clés. A l'aide de bouts de bois et de morceaux de ferraille ainsi que de tubes en carton, il fabriquait un labyrinthe composé de rampes, de tunnels, de ponts et d'échangeurs qui ressemblait à une version condensée du réseau d'autoroutes de Los Angeles. [...] Elle lui a demandé ce qu'il faisait, et il a répondu que c'était quelque chose pour les écureuils et pour moi à l'occasion de mon anniversaire. Et comment il appelait ça ? lui a-t-elle demandé.
"Un rabyrinthe.
- Merveilleux ! me suis-je exclamé.
- Sois pas sarcaustique, répliqua Bill Bob.
- Un rabyrinthe ! c'est pile ce qu'on voulait , les écureuils et moi.
- T'inquiète pas. Y auras pas de rats dedans.
- Ah, ouf.
- Comment ça marche ? demanda Eddy.
- Tu mets des cacahuètes dedans et tu t'éloignes pour regarder les écureuils venir et courir tout autour. Ca leur donnera une idée de ce qui les attend quand ils deviendront des gens. "
J'ai ricané.

Livre Cinquième - Au Bout de la Ligne -
Dernier Chapitre - p 461 -
Commenter  J’apprécie          452
PROGRAMME IDÉAL D'UNE JOURNÉE

1. Dormir : 6 heures
2. Se nourrir : 30 min (de préférence entre deux lancers ou en pêchant au coup)
3. École : 0 heure !
4. Bain, trône, etc : 15 min (inévitable).
5. Tâches ménagères et diverses : 30 min (jardiner, inutile ; épousseter, malsain ; propreté minimale, facile à obtenir).
6. Conversations autre que sur la pêche : 0h.
7. Transports : 45 min (vers une rivière poissonneuse).
8. Entretien du matériel/montage de mouches/fabrication de cannes/tenue du journal, etc. : 1h30 min.
9. Pêche : 14h30min par jour !

MANIÈRES DE CONCRÉTISER LE PROGRAMME IDÉAL

1. Finir l'école et pas d'université !
2. Aller seul dans des rivières où on peut pêcher toute l'année (côtières de préférence).
3. Éviter les amitiés, pêcheurs compris (pertes de temps en bavardages).
4. Essayer la caféine et la nicotine pour éliminer l'excès de sommeil.
5. Faire la route, les courses, les recherches et préparer le matériel une fois la nuit tombée pour réserver le jour exclusivement à la pêche.

Résultat (en comptant les impondérables) :
Au moins 4 000 heures de pêche par an !!!
Commenter  J’apprécie          357
-[...] j'aimerais aussi savoir pourquoi tu hurles "excellent" et "très bien" chaque fois que je dis que j'aimerais le savoir ? Tu t'attendais pas à ce que je réponde "c'est Dieu" ou"c'est mon âme" ?
Titus a eu l'air atterré.
- Gus! je suis un philosophe, pas un évangéliste ! C'est le "j'aimerais le savoir" qui est primordial. Se contenter de dire "c'est Dieu" et en rester là, c'est abandonner la quête avant même de l'avoir commencée. Chercher la vérité, la chercher désespérément, c'est rejeter toute forme de théorie, de dogme ou d'opinion préconçue jusqu'au moment où tu vois, où tu touches l'Être, la Chose elle-même, où tu fusionnes avec elle ! Personne n'a jamais découvert la vérité en répondant aux questions par des leçons ânonnées au catéchisme...

Livre Troisième : Personnages au Naturel
Chap-7- Où l'on philosophe - p.296 -
Commenter  J’apprécie          442
Il a plu trois jours de suite, presque sans bruit et presque sans arrêt. C'était la première bonne pluie depuis les averses d'août, et la première que je regardais et écoutais tomber sans pêcher. C'était une pluie qui apaisait et adoucissait tout ce qu'elle touchait, alors que la rivière gonflait et récupérait dans ses flots tout le vert qu'elle avait prêté aux feuilles l'espace d'un été. C'était une pluie qui chantonnait dans les trous profonds de la rivière, qui crépitait sur les flaques, qui emportait vers le sud le chant des oiseaux mais en amenait de nouveaux venus du Nord, celui des piverts amoureux d'elle, celui des grèbes huppés ou à cou noir aux yeux écarlates et sauvages, celui des grives, des canards, des mergules et de toutes sortes d'oiseaux au plumage roux ou rouille, teintes que l'automne impose aux survivants. C'était une pluie qui arrachait les dernières feuilles, qui changeait les ravines en torrents, qui faisait chanter les merles d'eau, qui engendrait dans le ciel enfumé des flèches ondoyantes de vols d'oies, qui poussait les cygnes à trompeter sur les étangs, qui incitait les bouvreuils et les mésanges à se blottir tout en haut des aulnes dénudés. C'était une pluie qui apportait dans la Tamanawis les dernières truites d'été ainsi que les premiers saumons d'automne, et pourtant, alors que la nuit continuait de tomber, je ne pêchais pas. Je regardais et me reposais, bercé et enveloppé d'une fraiche caresse maternelle capable de cicatriser les blessures de l'été. L'insatisfaction qui me tenaillait, née de mes anciens désirs, même ceux que j’éprouvais pour la pêche, pour Eddy, pour l'ami perdu, se transformait en une triste musique silencieuse, et le vide que ces désirs avaient creusé en moi devenait un sanctuaire, un néant auquel je commençais à m'habituer que je n'étais pas pressé de combler. Pendant que je réfléchissais à tous ces changements et que je regardais la pluie tomber sans discontinuer depuis que j'avais bu à la source de la Tamanawis, je me suis rendu compte qu'on m'avait donné un esprit-gardien. On m'avait donné cette pluie.
Commenter  J’apprécie          160
J'ai continué mon chemin, incapable de saisir les choses, mais empli d'espoir. Et lorsque les premiers rayons ont effleuré la cime des grands érables qui se dressaient sur la plus haute crête, que les doigts roses se sont fondus dans le bleu du ciel au-delà de la montagne et que les feuilles rouges se sont embrasées pour dessiner une large cicatrice écarlate au-dessus de l'or mat des aulnes qui ondoyaient comme une vague, un frisson m'a parcouru des pieds à la tête - à cet instant, ce fut comme si un vieil ami depuis longtemps perdu de vue cheminait, invisible, à mes côtés...

Livre Quatrième: La ligne de Lumière
Chap 4 - La Randonnée - p - 382 -
Commenter  J’apprécie          430

autres livres classés : oregonVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (316) Voir plus



Quiz Voir plus

L'écologiste mystère

Quel mot concerne à la fois le métro, le papier, les arbres et les galères ?

voile
branche
rame
bois

11 questions
254 lecteurs ont répondu
Thèmes : écologie , developpement durable , Consommation durable , protection de la nature , protection animale , protection de l'environnement , pédagogie , mers et océansCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..