Althusser assassin : La banalité du mâle

Le 16 novembre 1980, le philosophe Louis Althusser étranglait son épouse la sociologue Hélène Legotien-Rytmann, dans son appartement de fonction de l'ENS, Rue d'Ulm, à Paris. Immédiatement, tout l'establishment intellectuel français fait cordon sanitaire et défend "l'immense philosophe" (BHL, toujours outrancier). Althusser est immédiatement interné sans faire un seul jour de garde à vue. A sa sortie d'hôpital, Louis Althusser écrit ses mémoires, L'avenir dure longtemps, s'y présente en victime de sa femme et tente de justifier son acte en disant qu'elle désirait en finir. Francis Dupuy-Déri démonte le narratif althussérien commun à tous les meurtriers de leur femme : Hélène sa femme était en train de le quitter, ce qui chez eux déclenche le meurtre, la psychologisation du meurtrier (Althusser, dépressif, faisait de fréquents séjours en services psychiatriques), la diffamation de la victime présentée comme acariâtre et vindicative, et démontre qu'il s'agit bien d'un féminicide, en présentant toutes les caractéristiques. Hélène Legotien-Rytmann a été tuée deux fois : après le meurtre, elle a été évacuée de l'histoire, avec ses travaux de sociologie. La psychologisation aboutit à une dépolitisation des violences faites aux femmes dans les relations patriarcales de couple. Les violences maritales ne sont pas des faits divers, mais bien des faits de société. L'un des concepts les plus connus d'Althusser philosophe, c'est l'analyse de "l'appareil idéologique d'état" ; curieusement, il n'a jamais identifié le patriarcat comme appareil idéologique, ni cité dans son oeuvre les féministes matérialistes Monique Wittig, Christine Delphy, Shulamith Firestone. Décidément, l'oppression des femmes est toujours le point aveugle des hommes fussent-ils les plus "éclairés". Ils ne perdent jamais de vue leurs intérêts de classe, supérieurs à toute autre considération.

Je ne connais Althusser que de nom, n'ai jamais lu aucun de ses textes et savais vaguement qu'il avait tué sa femme. J'ignorais tout de ses propres justifications, des soutiens qu'il reçut ou du traitement médiatique de l'affaire. C'est donc un peu par hasard que ce petit livre m'est tombé entre les mains, et parfois, le hasard fait très bien les choses. Quelle claque ! A partir de ce cas tristement banal, Francis Dupuis-Déri décortique le schéma qui se met en place à chaque fois qu'un homme "puissant" (c'est-à-dire appartenant au sérail, du fait de sa fortune, de sa notoriété ou de sa position sociale) frappe/viole/ assassine une femme. Et ce schéma, que Dupuis-Déri qualifie de psychologisation, permet de dépolitiser le féminicide, de le réduire à une affaire unique qui s'explique forcément par les souffrances de l'assassin, de faire de cet assassin une victime et de faire passer au second plan la victime réelle. Ce schéma, l'auteur le retrouve dans d'autres affaires médiatisées (et on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec une autre histoire sordide survenue depuis). Et les ficelles sont tellement grosses que j'ai hésité entre le rire désabusé et la nausée. Cette lecture passionnante, qui m'a rappelé les écrits de Rose Lamy, est à conseiller à tous les journalistes.

Enfin un ouvrage nécessaire, sur la célébrité ahurissante d'Althusser qui perdure encore aujourd'hui ! Ce philosophe marxiste encensé dans les années 70, a en effet étranglé sa femme Hélène Legotien, dans leur appartement à l'École Normale Supérieure en 1980. Ce crime ne sera jamais tu : il a été connu, dessiné, caricaturé. Pourtant Althusser ne sera pas inquiété, il sera d'emblée considéré comme inapte au jugement. il se paiera même le luxe d'écrire longuement sur ce crime dans ses mémoires pour se justifier : "Je me souviens de mon interminable question : mais comment se peut-il que j'aie tué Hélène ? ". le tout petit essai de Francis Dupui-Péri, sous-titré "La banalité du mâle" revient sur ce qu'on qualifierait d'emblée aujourd'hui de féminicide, mais aussi sur les molles tentatives ultérieures d'analyse médiatiques et sociales. Comme si Althusser sortait du radar, en permanence. En 2023, l'article de Libération sur ce petit ouvrage a encore connu des pressions pour ne pas sortir. En 2023, une salle Althusser existait encore à l'ENS. Jusqu'à quand ?

Je viens de lire le petit ouvrage «Althusser assassin» de Francis Dupuis-Déri @editions.remue.menage

Ça fait froid dans le dos... la banalité du mâle.

L'auteur présente de manière concise les différents mécanismes de domination qu'une caste de privilégiés met en place pour protéger un des leurs et réduire au silence les victimes le nombre de fois qu'il le faudra pour s'en tirer avec les honneurs.
De la victimisation de l'agresseur à sa glorification il n'y a qu'un pas franchi allègrement.

Et bien sûr pour la défense des amis (oui au masculin bien sûr), il n'y a plus de bord politique qui tiennent car tous jouent dans la même classe.

Un petit ouvrage bien d'actualité.

Je profite pour conseiller l'ensemble des livres de Francis Dupuis-Déri.

« Clairement, le meurtre d'Hélène Legotien n'est pas un cas exceptionnel, et Louis Althusser est un tueur de femme plutôt banal. » p.75

Le 16 novembre 1980, le philosophe Louis Althusser tue sa femme, Hélène Legotien. Il se positionne comme la victime de son propre meurtre : elle voulait le quitter. Et puis, de toute manière, elle voulait se suicider. Tout ce qu'il a fait, c'est l'aider… N'est-ce pas ? Il n'est pas vraiment le coupable, puisqu'il était en crise de confusion mentale...

Dans cet essai, le chercheur franco-canadien Francis Dupuis-Déri nous expose avec brio la violence faite aux femmes et le peu de considération que la société leur porte : d'Hélène Legotien, nous ne savons presque rien. Même pendant l'affaire de son assassinat, son nom était « la femme d'Althusser ». En plus de l'avoir tué de ses mains, il a tu son nom.