Rien de tel que d'être mis en présence d'une personnalité forte et originale pour prendre le pouls de toute une époque, ici, singulièrement celle du roi surnommé le Bien-Aimé. Avec
le Beau Dumesnil, un serviteur de l'ombre sous le règne de Louis XV,
Fadi El Hage signe un livre splendide et sort d'une obscurité presque totale - sans l'être tout à fait -, un individu, en apparence de second plan qui réussit à se faire une place dans la société de son temps, grâce à la faveur qui lui fut accordée par certains personnages de qualité ou certaines dames plus ou moins bien en cour, et même, mieux que cela, exerçant une certaine influence sur le roi. Charles-Louis-Joachim de Chastellier-Dumesnil fut justement de ceux qui surent un temps, après maints déboires, utiliser ses relations, lâchant, quand cela servait sa cause et ses intérêts, les personnes qui avaient compté et à l'ombre desquelles il avait pu se hisser dans la société de cour et la hiérarchie militaire, sans atteindre les plus hauts grades, ni davantage les plus insignes honneurs, mais en gravissant patiemment les échelons, un à un, pour de nouveaux protecteurs toujours plus en vue et surfant lui-même sur la vague tant qu'il le put, sachant agir et réagir en fonction de la grâce dont bénéficiait celle ou celui qui le poussait en avant, et de la disgrâce de celle ou de celui dont il n'hésitait pas à s'éloigner quand le roi s'en détournait. Non pas qu'il eût manqué de talents personnels, il en avait assurément plus d'un, mais enfin, il est de notoriété qu'il sut se mettre à la remorque de plus puissants que lui pour faire son chemin.
Comme officier général, ce qu'il mit un temps à devenir, et qu'il devint plus parce qu'il se faisait connaître grâce à des personnes qui aidaient à ses promotions que par des actions militaires éclatantes, quoi qu'il n'eût jamais manqué de courage dans l'action, et qu'il eût même été blessé, il s'appliqua fort bien dans son office d'inspecteur général de cavalerie et montra des aptitudes absolument incontestables dans ce domaine, révélant son coup d'oeil et son rôle de conseil scrupuleusement appliqué dans les revues qu'il pratiquait généralement deux fois l'an. "L'objectif, dit l'auteur, était d'éviter les décalages trop importants entre les estimations de troupes et la réalité", ce qui rappelle un problème déjà pointé, au XIVème siècle sous
Charles V le Sage, lors des "montres" convoquées durant ce règne, et qui était donc, apparemment resté récurrent et non résolu depuis.
La belle ascension de Joachim, devenue un temps, assez régulière, fut finalement compromise par une propension à la dépense sans mesure et par une manie du jeu risqué qui entraîna finalement notre "beau Dumesnil", esprit séducteur et grand charmeur, à redescendre plus vite qu'il n'aurait voulu les marches qu'il avait gravies et à se "brûler les ailes dans sa province d'orgine".
C'est une biographie érudite, magnifiquement écrite, qui nous est donnée et que l'on éprouve un grand plaisir à lire, un travail fondé sur des sources croisées, soupesées et commentées, et pour une bonne part totalement inédites et non ou mal, exploitées jusqu'à maintenant. Je vous recommande ce livre, qui sera aussi utile aux amoureux du passé qu'aux historiens pour le profit que l'on en peut tirer sur l'aspect emblématique de ce personnage encensé par les uns, décrié par les autres, même si la personnalité de Dumesnil n'est à nulle autre totalement comparable.
Merci Fadi pour ce travail remarquable.
François Sarindar