Coup de coeur...
Tu as un nom,
Chanel Miller.
Tu l'avais avant , tu l'as depuis la parution de ce livre, mais pendant trois ans , tu ne l'as pas eu. Les gens, les américains, te connaissaient juste par ton nom de victime, un nom sensé protéger ton anonymat. Emily Doe étant le "nom anonyme" de toutes les victimes de viols, ( celles de meurtres , c'est "jane Doe")
Et ce nom, "Emily Doe", tu l'as porté trois ans, trois ans de procédures... Entre le moment de ton viol et celui où tout le barnum juridique a été fini. Et pour quel résultat ?
Ton agresseur a écopé de six mois, il ne fera que 3 mois !
Oui, oui, vous avez bien lu : 3 mois de prison pour avoir violé...
C'est carrément du foutage de gueule , si vous me permettez de m'emporter un peu ...
Pour comprendre , il faut remonter le temps .
Chanel , qui n'était plus étudiante, qui avait emploi et petit-ami, a suivi sa soeur et des amies à elle, à une soirée étudiante, à l'université de Standford, à 10 mn de chez elle. C'est leur maman qui les y a accompagnées. Là, elle va piccoler, se souviendra à peine d'avoir fait la fofolle à la soirée, et puis elle se réveillera dans un chambre d'hôpital.
On lui fait comprendre qu'elle aurait été violée, elle ne se souvient de rien, on l'a retrouvée dénudée, près d'une benne à ordure. Sauvée par deux étudiants suédois qui passaient par là...
L'agresseur a tout de suite été arrêté, il s'agit d'un première année, il est brillant en natation, va peut-être aller aux Jeux Olympiques, cette histoire pourait bousiller sa future carrière, à ce pauvre chéri...
Pendant trois ans, personne ne se demandera ce que ça lui a bousillé à elle !
Il faut savoir qu'aux USA, les viols sur campus sont très fréquents, que souvent c'est au cours de soirée très arrosée, et que la société dans son ensemble regarde tout cela avec beaucoup de détachement et de bienveillance (pour le violeur ...).
Le fait qu'elle soit bourrée jouera en sa défaveur, le fait ne se rappelle de rien, jouera en sa défaveur ( l'agresseur du coup changera de ligne de défense, et affirmera à la deuxième audition qu'elle était consentante, voire qu'elle aurait aimé ça, alors qu'il a quasiment été pris en flagrant délit et ça passera nickel.... ). le fait qu'il soit un brillant sportif, que sa famille ait engagé un excellent avocat, jouera en la défaveur d' Emily Doe...
Il ne prendra que trois mois.
Désormais
Chanel Miller, n'a plus qu'un seul droit, celui de lire un texte pour expliquer son point de vue, lors du procés final , elle écrira une longue lettre de douze pages.
Cette lettre va toucher les gens présents à l'audience, et sera reprise,avec son consentement, en ligne, et elle fera le buzz sur Twitter. Elle atteindra plus de 15 millions de vues, sera publiée dans les plus grands journaux nationaux, lue par le maire de New York, reprise par
Hillary Clinton... Cette Emily Doe, sans le vouloir, deviendra la porte parole de millions de femmes , ayant subi une agression, ou ayant de l'empathie pour toutes les femmes qui en ont subie.
495 pages que j'ai lues en deux jours, que j'ai dévorées, car cette lecture est facile, pas aussi pesante et lourde que le pourrait un tel sujet. On est frappé par la personnalité de
Chanel Miller, qui s'effondre , puis remonte en selle, pour affronter le tribunal, pour prendre les coups à la place de ses parents, de sa petite soeur, qu'elle veut protéger à tout prix. On est frappé devant tant de courage, de force, d'humanité, de sincérité, de lucidité.
On est surpris par son talent d'écrivaine. On est indignés devant l'inhumanité de l'appareil de la justice, qui demande disponibilité à la victime et aux témoins comme si le temps était suspendu, comme si la vie (les examens, le travail) ne devaient pas continuer, déplaçant les jours d'audience, comme s'ils étaient des pions ou de gentils soldats. On est énervés par les questions de l'avocat de la défense pour qui aucune question n'est taboue, et qui oriente pour mieux manipuler le jury. On est indignés sur la peine demandée, la sentence. On est révoltés, outrés , et totalement solidaires de toutes les Emily du monde, et de Chanel, totalement séduits par sa personnalité, sa résilience.
A la fin, la "toute petite Emily Doe" a "secoué le mammouth", a fait tomber le juge, a réveillé l'université, a contribué à changer la loi, mais son agresseur n'a fait que 3 mois ...
Il s'appelle Brock Turner et son nom est celui d'un violeur. Il n'a pas d'excuses.
Elle s'appelle
Chanel Miller et la victime est devenue forte. .
C'est édifiant, c'est puissant, c'est magnifique et très facile à lire.
Désormais cette Emily Doe a un nom, son livre a traversé l'Atlantique pour attérir dans les mains d'une petite française, je souhaite à ce livre un grand voyage, il y a du boulot en France, aussi ...