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sur 4337 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Son père s'éteint en 1967, alors que, venant de réussir le Capes de Lettres, Annie Ernaux réalise le rêve qu'avait pour elle cet homme d'extraction modeste à la vie laborieuse et contrainte. Quinze ans plus tard, par amour autant que par remords, parce qu' « écrire est le dernier recours quand on a trahi » et que son parcours, en la faisant « migrer doucement vers le monde petit-bourgeois », lui a fait peu à peu « oublier les souvenirs d'en bas comme si c'était quelque chose de mauvais goût », en tous les cas d'incompatible avec la « vision distinguée du monde » qu'elle s'est efforcée d'adopter pour complaire à son nouveau milieu, elle se lance dans le portrait, nu et sans artifices, de ce père à qui elle restitue ainsi sa vraie « place ».


Né au début du siècle dernier dans une famille normande de tâcherons agricoles, le père d'Annie Ernaux ne fréquente guère l'école avant de la quitter dès douze ans pour s'employer dans des fermes d'abord, en usine ensuite. A force de sacrifices et de travail, lui et son épouse acquièrent, après la seconde guerre mondiale, un café-épicerie à Yvetot, qui, tout symbole d'indépendance et d'élévation sociale qu'il soit, ne les met pas à l'abri de la précarité et des fins de mois difficiles partagées avec leur clientèle ouvrière. Complexé par son patois paysan, par son manque d'éducation et par sa gêne financière, le père investit toutes ses espérances dans la réussite de sa fille Annie, qui, brillante à l'école, entame bientôt des études universitaires. Peu à peu, une distance se creuse, à mesure que la jeune fille s'écarte du cadre familial, invite des amies issues de bonnes familles dont le savoir et les manières renvoient ses parents à leur sentiment d'infériorité, se marie bourgeoisement et devient professeur de lettres.


Lorsque le récit commence, son père vient de rendre son dernier souffle, et, le temps pour sa mère de descendre l'escalier avec les mots « c'est fini », c'est toute la vie de cet homme et sa relation avec sa fille qui défilent en une centaine de pages avant de revenir s‘achever à cet instant précis. Dans son souci de fidélité à la réalité, l'auteur s'est interdit toute sentimentalité et fioriture littéraire. le texte se déploie au long d'une écriture plate, neutre, sèche et précise, qui dissèque faits et sentiments avec la rigueur d'observation d'un entomologiste. Pourtant, même si sévèrement tenue à distance, l'émotion transparaît à fleur de mots, vibre sous la retenue et emporte le lecteur, en écho à ses propres blessures familiales, à ses tristesses et à ses remords, au fond d'un intense bouleversement.


Prix Renaudot et énorme succès de librairie, un récit vrai et un grand livre d'amour filial sur fond de trahison sociale. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Livre coup de coeur lu à l'adolescence, puis lu et relu tant ce texte me bouleverse toujours.

Depuis, je suis devenue une inconditionnelle d'Annie Ernaux, si singulière dans son exploration du récit vrai, sa manière de partir de soi pour dire les autres, pour nous dire le Monde.

Oui, Annie Ernaux occupe une position essentielle dans la littérature, car dès la fin des années 70, elle a inventé l'auto-sociologie et proposé telle une ethnographe de sa mémoire et ainsi de LA mémoire en général, des oeuvres pour "sauver quelque chose du temps où on se sera plus."

Toujours creuser l'intime pour comprendre les moments de trahison sociale ou sentimentale. La notion de "transfuge de classe" qu'elle souligne est par ailleurs passionnante, notamment dans ce texte entre le père et la fille.

Jamais d'artifice dans son écriture, mais une écriture en auto-fiction comme un couteau planté dans le quotidien.
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Annie Ernaux, en tant que narratrice nous livre un récit autobiographique , une collection de souvenirs sur ses origines modestes : celles de son père qui avait réussi à se faire "une place"...."La place" en reprenant un commerce avec sa femme, la mère d'Annie. Une place toute en discrétion.
Elle nous fait partager cette distance qui existait entre son père et elle après ses études, cette différence inévitable de classe sociale.
Il l'avait voulu pourtant cette ascension sociale pour sa fille mais il ne savait pas la partager, c'était bien trop différent de son essence , de ses origines qui l'avaient fondé.
L'auteure parle de son père en le désignant par "il", avec beaucoup de respect, en éliminant les petits détails et en gardant les moments les plus importants.
On voit les scènes qu'elle raconte défiler devant nous comme des photos, racontées avec un vocabulaire simple mais qui sonne tellement juste, avec des phrases très sincères.
Se sont-ils rencontrés ces deux-là ? En tous les cas, j'ai eu l'impression qu'ils s'étaient compris, tout en silence.
Une très belle lecture dont j'ai savouré chaque mot.
Ce qui n'est pas difficile, le livre compte à peine 114 pages.
Elle l'a écrit en 1982 un peu après la mort de son père.
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Annie Ernaux a toujours revendiqué écrire pour "venger (s)a race", et cela ressort particulièrement de ce court récit consacré à son père.

J'ai énormément aimé la façon dont elle dresse le portrait de celui-ci, en le tenant toujours à distance et en nous épargnant pathos et sentiments. Comme elle l'annonce dès le début : "Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement." Parce que l'histoire ne s'y prête pas, elle est trop violente pour être romancée et ornementée. Ernaux appelle un dominé un dominé, et un péquenot un péquenot. Toutefois, la description n'est jamais cruelle, même lorsque l'auteur pointe les fautes de Français de son père ou ses manières d'une autre époque. C'est la colère qui transparaît dans chaque paragraphe qui raconte le parcours de ce paysan devenu ouvrier puis commerçant, qui a passé sa vie à compter et calculer, à s'accrocher à son statut si chèrement acquis (la fameuse "place", sournoisement assignée par les classes dirigeantes aux classes soumises qui s'en accommodent candidement), et à évoluer dans un univers étroitement limité géographiquement, intellectuellement et émotionnellement. Et Ernaux de balancer : "Quand je lis Proust ou Mauriac, je ne crois pas qu'ils évoquent le temps où mon père était enfant. Son cadre à lui c'est le Moyen Age." Que j'aime cette auteur qui monte sur le ring pour défendre sa race !
Transfuge de classe (elle obtient son Capes en lettres modernes peu de temps avant la mort de son père, mais il y a longtemps qu'elle ne vit plus sur la même planète que lui), l'auteur relate le fossé qui s'est creusé irréversiblement entre eux, et sous la précision chirurgicale, on perçoit la douleur rageuse qui irradie. Cette ambivalence du transfuge m'a beaucoup touchée.

Dans son discours de Stockholm, où le Nobel lui a été remis, Annie Ernaux a rappelé que c'est de sa race qu'elle a reçu "assez de force et de colère pour avoir le désir et l'ambition de lui faire une place dans la littérature". Objectif atteint (n'en déplaise à ce grand penseur autoproclamé qu'est A.F.). Aussi, si la thématique vous démange, n'hésitez pas à lire cet hommage à la race des vaincus.
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L'auteure a su trouver les mots, ces mots que l'on ne dit jamais, ces mots qui vous poursuivent et qui s'éveillent un beau jour sans crier gare.

Ce livre m'a écorché le coeur, déchiré ce voile opaque posé sur mon âme d'enfant !

Il est bouleversant de sincérité, de culpabilité, de tendresse, et d'amour intense.

Cet amour que l'on voue à un parent, cet amour qu'on ne dit jamais ou pas assez, cet amour qui se rappelle à nous de manière brutale et définitive quand c'est la fin.

Les larmes d'un souvenir, d'une impuissance maculent mes joues ; ses larmes de tant de regrets, de ce qui ne sera jamais plus.

Douloureux jusqu'aux limites de l'insoutenable.

Ai été très sensible à cet amour qu'elle a voué à son père et ce mélange de respect et de rejet des habitudes de vie d'une certaine France "d'en bas" !



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Un style épuré, distancié, dans lequel transparaît en filigrane, l'émotion, la douleur et l'amour pour un père. Un père, petit commerçant, duquel Annie Ernaux s'est peu à peu éloignée, de par son ascension sociale …

« Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé. »
Annie Ernaux retranscrit les expressions entendues, notées en italique:des gens pas fiers, on avait tout ce qu'il faut, ce qui se fait, il ne faut pas péter plus haut qu'on l'a.
A défaut d'images précises, elle retrouve, en observant des êtres anonymes, au travers des gestes, des postures, qui révèlent les signes d'infériorité, la figure de son père.
Entre bonheur modeste des gens simples et dénonciation de l'aliénation, de l'humiliation, subies par la classe ouvrière, un bel hommage d'une fille devenue « quelqu'un » à son père.
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♫On allait au bord de la mer
Avec mon père, ma soeur, ma mère
On regardait les autres gens
Comme ils dépensaient leur argent
Nous il fallait faire attention
Quand on avait payé le prix d'une location
Il ne nous restait pas grand-chose
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l'eau
Les palaces, les restaurants
On ne faisait que passer d'vant♫

(Michel Jonasz – Les vacances au bord de mer)

La place, c'est celle du père, place qui sera désormais vide. Et ce vide incitera Annie, sa fille, à écrire la vie de cet homme, pour une certaine façon lui rendre hommage.

J'ai trouvé ce roman d'une violence inouïe. Je ne parle bien sûr pas de violences physiques que le père aurait infligées à sa fille, mais bien de la violence de classe que le père (et la mère aussi) a eu à subir toute sa vie, à travers le mépris de « ceux qui dominent, qui dirigent et qui écrivent dans les journaux ». Et de la violence inconsciente de la fille (je repense à la scène où elle lui offre de l'after-shave, lui qui n'a jamais pris soin de sa peau, de son corps, de lui quoi) qui choisit de renier ses origines modestes, d'abandonner ce monde qui sacralise les choses, ce monde qui compte et compare sans cesse, ce monde où le « bonheur » se définit « par rapport à», afin de se faire accepter dans le milieu bourgeois.

Annie Ernaux choisit de raconter en toute honnêteté ce monde qu'elle a quitté (ou peut-être dois-je écrire abandonner ?), tout en s'interrogeant sur son droit à raconter la vie modeste de son père, et potentiellement à en faire une création artistique. Et comment raconter des faits réels sans les trahir ? Démarche très intéressante, que certains auteurs aujourd'hui ignorent ou écartent trop rapidement, je trouve…

Ernaux ne veut pas tomber dans le piège de la fiction, mais quoi qu'elle fasse, de toute façon ce ne sera jamais « que » de la fiction. D'abord dans le choix des événements qu'elle raconte ou pas. Ensuite en insinuant une suite logique dans ces événements, suite logique qui est toujours inexistante dans nos vraies vies.

Elle prend le parti de s'en tenir aux faits, ce qui rend son écriture épurée, plate, presque scientifique, et qui laisse l'impression d'une enfance, d'une famille dépourvue de tendresse et d'émotions. Et pourtant, on trouve quand même quelques moments de tendresse, comme lorsque le père emmène sa fille à la foire aux manèges ou la conduit à l'école sur son vélo, moments si rares qu'ils n'en sont que plus émouvants, plus poignants.
Une lecture très intéressante sur les sans-voix, ceux qu'on n'entend jamais.

Et aussi, en filigrane, l'hommage tout en pudeur d'une fille à son père, au-delà des silences et des non-dits, au-delà de leurs différences et de l'impossibilité à communiquer.
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Quel hommage! Ici le Père d'Annie Erneaux prend toute sa "place". Ecrit tout simplement pour parler de cet homme très pragmatique, mais dont toute l'ambition était de voir sa fille réussir "mieux que lui"! Chacun de nous y retrouvera un parent, un ami, dont un jour on a eu "un peu honte" mais qui ,au fond , reste celui qui nous a appris tendresse et fraîcheur. Ce livre m'a été offert, et c'est vraiment un cadeau!
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J'avoue avoir eu quelques préjugés au départ, dans la mesure où, dans les manuels scolaires, on nous donne toujours les deux mêmes passages (celui où elle décrit sa rébellion lorsqu'elle était adolescente et celui où elle parle de la peur de ses parents face aux croix de feu). Par ailleurs, je trouve absurde de donner ces deux extraits car ils sont tirés de leur contexte et on leur fait dire n'importe quoi.


J'ai vraiment aimé ce livre à caractère autobiographique. le point de départ est la mort du père. Annie Ernaux va ainsi retracer la vie de ses parents à travers ses souvenirs. Il n'y a rien de larmoyant (ce que j'appréhendais). L'auteur décrit tout ceci avec une pudeur touchante. L'écriture est fluide.

Lorsqu'on commence ce livre (peu épais, certes, mais à quoi bon s'étaler lorsque tout est dit?), on ne s'arrête plus. On le lit d'un trait.

La Place a obtenu le Prix Renaudot en 1984.
Lien : http://promenades-culture.fo..
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j'avoue n'avoir jamais rien lu d'Annie Ernaux. Sa nobélisation, je sais ça peut paraître idiot, m'a incité à le faire...
J'ai trouvé ce texte admirable parce qu'il décrit avec beaucoup de justesse de pudeur et de réalisme des sentiments que j'ai moi même éprouvé vis à vis de mon père, maçon de son état, ainsi que les regrets que je garde longtemps après sa mort.
L'oeuvre d'Annie Ernaux mérite d'être connue et diffusée.
Après avoir terminée la lecture de la Place, une idée complotiste me vient à l'esprit. Une fois n'est pas coutume...
Et si l'Académie Nobel avait sciemment choisi d'honorer une auteure française affirmant que son écriture est « ce qu'[elle pouvait] faire de mieux comme acte politique, eu égard à [sa] situation de transfuge », au moment où le pays est dirigé par un Président représentant au yeux de l'opinion l'exacte opposé de ce qu'il déclare à propos d'Annie Ernaux «Sa voix est celle de la liberté des femmes et des oubliés du siècle.»
Oubliés qui continuent d'être oubliés quels que soient les gouvernements, quelles que soient les voix qui portent leurs paroles, quels que soient leurs revendications et leurs colères.
En cela la littérature de l'auteure mérite le plus grand respect.
Merci Madame !
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