Dans ce texte,
Annie Ernaux évoque sa mère qui vient de mourir. Outre les rapports complexes que toutes mères et toutes filles entretiennent, il me semble que le propos principal est la relation que la fille, transfuge de classe, a développé avec la mère en raison même de ce transfert et du décalage qui s'est peu à peu créé entre elles, en particulier dans leurs références sociales, et qui les a sensiblement éloignées.
Le point de vue de la mère, nous l'ignorons. Reste seulement le témoignage de la fille. Et je n'ai pu m'empêcher en lisant ce texte de penser à la très intéressante critique de Nastasia-B sur le livre
Les Origines de
Gérald Bronner (à lire sur Babelio). Car, sur les sentiments d'une transclasse, dans ce livre, nous sommes au coeur du réacteur personnel d'
Annie Ernaux.
En ce qui me concerne, je le précise, je ne suis pas un transfuge de classe. Je suis né où je suis toujours, dans une position facile et enviable, si ce n'était qu'en raison d'une étrange symétrie de miroir avec Nastasia-B, je me trouve également dans une position proche de son Ni-Ni qu'elle décrit parfaitement et où, très curieusement, étrange paradoxe, je me reconnais. Je fréquente très peu, ayant beaucoup de mal à les supporter, ces CSP++ nés au bon endroit (comme moi) mais qui ont suivi l'étroit sillon familial sans jamais tenter un pas de côté et sans jamais regarder d'autres paysages ou fréquenter d'autres écuries que celles de leurs parents.
Nastasia-B, en rappelant sa critique d'un autre livre d'
Annie Ernaux que je n'ai pas lu (
La Place), parle de trahison de celle-ci par rapport à sa classe d'origine et conteste sa revendication de venger « sa race » en écrivant. Or, dans
Une Femme,
Annie Ernaux dit les choses avec une étonnante lucidité. Page 65 de ma vieille édition Folio de 2002, elle écrit cette phrase hallucinante pour révéler la trajectoire divergente qu'elle prend à l'adolescence par rapport à sa mère : « A certains moments, elle avait dans sa fille en face d'elle une ennemie de classe ». Tout est dit.
Et c'est d'autant plus dramatique que sa mère a tout fait pour la pousser à faire des études, à grimper dans l'échelle sociale (comme on dit), tentant de vivre à travers sa fille, par procuration, une vieille ambition personnelle inaboutie. Elle accompagne sa fille qui lui « apprend » de la culture avant que celle-ci ne l'abandonne sur le bord de la route parce que la mère ne peut plus suivre.
Dans le texte,
Annie Ernaux indique à plusieurs reprises
la honte qu'elle a de sa mère quand celle-ci est en contact avec les mères de ses camarades d'un milieu plus bourgeois ; sa mère est trop grosse, sa mère parle trop fort, manque de discrétion, est trop spontanée, etc. Son mépris suinte tout au long du livre. Et ce mépris ressemble à s'y méprendre à celui de ma propre mère envers les milieux populaires. Les bonnes âmes y verront l'inverse, une réhabilitation de sa mère, de ses qualités, de sa force. Certes, il y aussi de cela, parfois, par moments fugaces, mais le mépris traverse le roman, et pas seulement le mépris de sa mère, mais le mépris du milieu dont elle est originaire.
Quant à son père, Annie Arnaux l'avait abandonné plus précocement encore que sa mère, car celui-ci, dénué d'ambition, n'a jamais rêvé à une autre place sociale, revendiquant même son ancrage dans le milieu qui était le sien.
Annie Ernaux indique assez clairement qu'elle le déconsidérait par rapport à sa mère, laquelle lui paraissait plus à même d'être en relation avec ces êtres supérieurs qu'étaient maîtresses et autres professeurs. Pourtant, à partir des quelques éléments qu'elle donne de lui, je sens que je me serais bien mieux entendu avec son père qu'avec sa mère.
La dernière phrase du livre est également d'une cruelle lucidité. En conclusion de la mort de sa mère, elle écrit : « J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue ». le monde, c'est à dire son milieu social. Là encore, on ne peut être plus clair (et on peut se demander, à la voir tant insister sur ce qui la sépare de ce milieu et de sa mère, si ce n'est pas finalement un soulagement pour elle).
Je ne sais pas comment noter ce type de livre. En plus, le style n'est pas terrible, plutôt faible et plat, avec des phrases parfois mal construites et manquant de fluidité ou de clarté.
Prix Nobel, dites-vous ? Vous êtes sûrs ? OK, alors je m'incline humblement, ravale ma morgue et m'affuble du bonnet d'âne. Au piquet, le Yakou !