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sur 1097 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'achève à l'instant ma lecture et je suis encore très émue.

Ce bref récit - qui m'a donné l'opportunité de découvrir son auteur - est un concentré de réalisme et d'émotion. Pourtant, il traite d'un sujet commun : la disparition de la mère. Comme nous sommes tous nés d'une mère (enfin, avant qu'on légalise le clonage mais patience, c'est pour bientôt, on est bien partis pour... no more comment), nous sommes tous condamnés à la perdre un jour et ce, selon toute logique et en l'absence d'impondérables, avant qu'elle nous perde elle-même.

De ce récit simple, hautement personnel et traité non comme une longue confidence dégoulinante de pathos mais comme une chronique factuelle, surgit le sentiment irréversible de notre impuissance devant la fatalité, de notre embarras devant la vieillesse, de notre désarmement devant le déclin et de notre totale inaptitude à anticiper ce qui est pourtant inévitable.

Ce paradoxe entre la maîtrise de nos existences et notre fragilité émotionnelle devant la mort est ici parfaitement mis en lumière par ce témoignage poignant d'une fille ni excessivement aimante ni excessivement indifférente, une fille comme... moi, et peut-être comme vous, qui sait ? Toutefois, peut-on réellement se dire "ni excessivement aimante ni excessivement indifférente" ? Cette situation unique dans notre existence de perdre celle qui nous a donné la vie, qui a normalement veillé à notre éducation et à notre évolution dans la société ne se représentera pas une seconde fois. Dans cette situation, disais-je, nous sont révélés des mécanismes émotionnels inconnus de nous-mêmes. Pendant qu'autour de nous la vie continue - ce monsieur-ci continue de marcher dans la rue, cette dame-là rit à une plaisanterie - c'est comme un gouffre qui s'ouvre devant nous et nous fait redevenir aussi nul et inefficace qu'un nourrisson. On aime quand on croyait ne plus aimer, on regrette quand on croyait assumer, on voudrait quand on ne peut plus vouloir...

L'auteur a voulu faire partager au lecteur cette dimension et je trouve qu'elle y parvient à la perfection. Nonobstant un style sur lequel j'ai ponctuellement dérapé - simple question de tournures de phrases - ce fut une belle lecture, une narration rythmée à travers laquelle, à maintes reprises et jusqu'à l'égarement, je me suis retrouvée et j'ai aussi retrouvé ma propre maman. J'ai beau ne pas me sentir proche d'elle, quand elle me quittera, je serai désemparée.

Annie Ernaux le dit elle-même à la fin de l'oeuvre, il lui aura fallu dix mois pour décrire une existence qui tient en cent pages, c'est vous dire l'intensité de chaque mot.


Challenge ABC 2014 - 2015
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" Je n'entendrai plus sa voix, C'est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher, qui unissaient la femme que je suis à l'enfant que j'ai été. J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issu"

Avec, ces quelques phrases, Annie Ernaux nous bouleverse, elle a écrit un livre puissant et fort sur les liens entre une mère et sa fille.
Je n'ai ressenti ce sentiment, qu'une fois, il y très longtemps en lisant : Une mort très douce de Simone de Beauvoir qui raconte la maladie et la mort de sa mère. C'est d'ailleurs, étrange, les " hasards" de la vie, Annie Ernaux précise que sa mère est morte huit jours avant Simone de Beauvoir.
Tant de phrases dans le récit d'Annie Ernaux nous interpellent, nous cajolent et nous peinent
Comme celle-ci : " Il y avait entre nous une connivence autour de la lecture, des poésies que je lui récitais.." Et, d'autres si dures et pourtant réelles " À l'adolescence, je me suis détachée d'elle et il n'y a plus eu de que la lutte entre nous deux"
Annie Ernaux, avec une écriture simple qu'elle qualifie elle-même " en dessous-de la littérature" nous fait revivre la vie d'une femme, de sa mère, dans une vie totalement différente d'elle. Une autre époque, celle de la fin de la guerre, la province, la pauvreté, l'usine qui était déjà une étape de réussite en espérant devenir " une demoiselle de magasin"
L'empathie est là, mais ce n'est pas l'essentiel, l'essentiel est de restituer une vie telle que sa mère l'a vécue sans cacher les mauvais côtés.
Pendant longtemps, j'ai pensé sans la lire que les livres d'Annie Ernaux étaient insipides, fades.
Je la découvre pour la deuxième fois, après : Les années et je prends conscience de mes préjugés stupides, inconséquents.
Je conseille à tous ce récit exceptionnel qui vaut bien un détour.
Je dédie cette lecture à ma mère dont mon seul lien avec elle est l'incompréhension, la non communication. J'aurais tant aimé que les choses soient tout autres.
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Lorsque j'appris tout récemment qu'Annie Ernaux venait de se voir décerner le prix Nobel de littérature 2022, je fus tout d'abord étonné. N'ayant encore rien lu d'elle il me fallait faire le choix idéal d'une lecture pour entrer dans son univers. J'annonçai un matin sur le fil du challenge Prix Nobel de Babelio que je venais d'emprunter Une femme auprès de ma médiathèque préférée. Je n'avais pas pris conscience de la portée ambiguë et cocasse d'une telle phrase. C'est mon amie Isacom qui me l'a fait remarquer tout-à-l'heure, évoquant les commentaires bon train que je n'avais pas vus.
Elle fut une femme tout d'abord, elle fut une mère plus tard. Annie Ernaux donne ici naissance à cette femme ordinaire, qui s'est éteinte un lundi sept avril dans une maison de retraite de province.
« Il me semble maintenant que j'écris sur ma mère pour la mettre au monde. »
Comme j'ai aimé cette image inversée convoquant le seul pouvoir des mots et leur magie. Annie Ernaux en effet met au monde sa mère à travers ce texte simple et beau, pour lui redonner vie le temps de quelques pages, refaire le chemin en sens inverse vers elle.
Combien de temps faut-il attendre avant de saisir une feuille blanche, commencer à écrire quelque chose, une esquisse tout d'abord, une première phrase peut-être, par quels mots commencerait-elle ? J'imagine ainsi l'écrivaine devant un bureau, peut-être une fenêtre offre un paysage, une perspective lointaine, un horizon. Peut-être y-a-t-il une photo de sa mère tout près d'elle ? Une photo d'elle jeune, vieille ? Peut-être au contraire cela l'aurait-elle gênée dans son inspiration ? Je me suis posé toutes ces questions.
Annie Ernaux visite ce chemin d'avant comme une chronique d'autrefois et en même temps actuelle, avec parfois moultes détails qui nous donnent à percevoir des bruits, des images qui nous deviennent familiers...
Elle fouille dans sa mémoire, comme cela, pêlemêle, et viennent alors en désordre des scènes où apparaît cette femme active, vive, orgueilleuse, parfois violente.
Elle semble avoir toujours été là, mais comment séparer le réel de l'imaginaire lorsqu'on convoque nos proches dans les souvenirs des jours passés. Et comment les faire vivre aussi, avec cette part de vécu qu'ils ont sans nous ?
Elle nous parle de celle qui fut belle pendant les années de la guerre...
Elle nous parle des étés au bord de la mer...
Elle nous parle de celle qui chantait à pleine voix à l'église.
Elle nous parle de celle qui avait aussi un rapport presque sacré avec les livres.
S'élever, pour sa mère, c'était d'abord apprendre, sortir ainsi de sa condition misérable.
« Elle a poursuivi son désir d'apprendre à travers moi. »
Annie Ernaux a cette envie d'ancrer son histoire dans sa condition sociale et qui, si j'ai bien compris, fait le sel de ses livres.
Elle nous évoque les débordements de tendresse, les reproches, les disputes de sa mère avec son père, la violence des mots...
En écrivant ce récit, Annie Ernaux oscille entre la « bonne » mère et la « mauvaise » mère, dans cette ambivalence qui sans doute parle à certains d'entre nous. Regard sombre, regard affectueux, regard faseyant, parfois empathique, parfois sans concession, livrant les qualités et les défauts d'une personne au caractère fort, entier, exigeante avec les autres autant qu'avec elle-même.
Annie Ernaux nous évoque l'adolescence, où l'on se détache parfois de ses parents, ici celle-ci évoque son éloignement de sa mère, le thème de la liberté féminine, les combats qui vont donner sens à son itinéraire d'écrivaine tandis que pour sa mère, la liberté des femmes n'était que perdition... Comment alors dans ces cas-là, ne pas rompre les amarres ?
D'une écriture sobre, pudique, loin des effets de style, Annie Ernaux rend hommage à celle qui n'avait pas d'histoire, ou peut-être ne semblait pas en avoir, mêlant l'intime à ce paysage social qui lui tient aussi à coeur.
Annie Ernaux a cette envie d'ancrer son histoire dans sa condition sociale et qui, si j'ai bien compris, fait le sel de ses livres.
Elle sent parfois que quelque chose en elle lui résiste dans cette écriture, ce cheminement, l'envie de ne conserver de sa mère que des images purement affectives, joie, tristesse ou colère, sans leur donner un sens... Mais le cheminement d'Annie Ernaux est d'aller toujours plus loin... Sinon, ce serait quoi écrire ?
Elle a le pouvoir de nous faire reconnaître dans ces pages nos mères, celles qui sont uniques, qui nous manquent lorsqu'elles ne sont plus là, qui nous manquent malgré leurs secrets, leurs erreurs, leurs errances,
« Est-ce qu'écrire n'est pas une façon de donner ? »
À la fin de ce long travail d'écriture, Annie Ernaux s'aperçoit que l'image qu'elle a de sa mère est redevenue peu à peu celle qu'elle s'imaginait avoir eue d'elle dans sa petite enfance, « une ombre large et blanche au-dessus de moi. »
Dix mois à écrire ce livre qui pourtant ne compte qu'une centaine de pages. Cela montre l'intensité de chaque mot. Dix mois où son héroïne s'est invitée sans relâche dans les rêves de l'écrivaine. Qu'ont-elles pu se dire dans ces instants-là ?
À l'évocation de nos chères mères disparues, il sera sans doute difficile ce soir d'avoir pour certains d'entre nous l'humeur primesautière, quoique, de cet adjectif au ton presque innocent, j'en ferais bien la première touche du portrait de celle qui me manquera à jamais... Je crois qu'elle aurait voulu que je retienne ce trait de caractère d'elle.
Le dernier paragraphe résonne en moi comme un écho et sa douleur, un dédale pour ne pas dire un labyrinthe où je me perds souvent. Une émotion souterraine qui vient ce soir se glisser dans les mots que je vous écris.
« Je n'entendrai plus sa voix. C'est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher, qui unissaient la femme que je suis à l'enfant que j'ai été. J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue. »
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Annie Ernaux écrit un livre qui fait le portrait de sa mère et de sa relation avec elle.
Elle ressent beaucoup d'empathie et de compréhension pour le personnage qui a fait sa révolution, à sa façon, contre la pauvreté et a voulu amener sa fille à vivre mieux qu'elle.
Elle vit une relation conflictuelle avec elle qui est sans cesse coincée dans les convenances et pourtant, mère et fille s'aiment se protègent l'une l'autre.
C'est une très belle histoire, et Annie Ernaux est très humaine dans sa façon de percevoir sa mère qu'elle fait revivre à travers ce livre.

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Magnifique texte sur une femme simple, la mère de l'auteur. J'ai détesté La Place, mais là je suis séduite. Sa mère a mis au monde Annie, et puis elle l'a créée. Elle avait l'ambition, pour elles deux. Malgré la précarité, la pression sociale, elle a payé le pensionnat, les fournitures, la fac. Elle lui a mis les cartes en main et elle croyait en elle. Écriture plate si tu veux, Annie, mais avec ta mère, ça ne marche pas. "Quelque chose en moi résiste". Dis-le, c'est l'amour, ou quelque chose d'encore plus viscéral, profond, imbriqué dans ta chair.
La fin de vie est marquée par le monstre Alzheimer. Annie Ernaux est déchirée, mais elle ne comprend pas que l'on préfère voir sa mère morte. "Elle avait envie de vivre." Elle s'en occupe autant qu'elle peut, puis c'est l'hôpital. Un passage splendide : " je lui lavais les mains, lui rasais le visage, la parfumais. Un jour, j'ai commencé à lui brosser les cheveux, puis j'ai arrêté. Elle a dit: " j'aime bien quand tu me coiffes. Par la suite, je les lui brossais toujours. Je restais assise en face d'elle, dans sa chambre. Elle déchirait les papiers des gâteaux avec force, les mâchoires serrées. Elle parlait d'argent, de clients, riait en renversant la tête. C'était des gestes qu'elle avait toujours eus, des paroles qui venaient de toute sa vie. Je ne voulais pas qu'elle meure.
J'avais besoin de la nourrir, de la toucher,de l'entendre.
Plusieurs fois, le désir brutal de l'emmener, de ne m'occuper que d'elle, et savoir aussitôt que je n'en étais pas capable."
Disparue, la froideur de la Place. Annie Ernaux a un coeur. Il appartient à sa mère.
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La mère d'Annie Ernaux est morte le 7 avril 1987 à la maison de retraite de l'hôpital de Pontoise où elle avait dû être placée deux ans auparavant. Elle était atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle s'est endormie tout simplement après son petit déjeuner, vers 10 heures du matin. La veille l'autrice lui avait rendu sa visite quotidienne, lui apportant de jolies branches de forsythia pour égayer sa chambre, l'embrassant et lui disant à demain …
Ce livre très personnel s'ouvre sur un premier chapitre poignant ; Annie Ernaux évoque les heures qui ont suivi l'annonce du décès de la vieille dame, la porte de la chambre fermée, les entretiens avec le personnel hospitalier, les formalités administratives, puis les obsèques. le récit est précis, écrit avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, plein de petits détails réalistes et touchants qui interpellent. Chaque mot a son importance. Annie Ernaux exprime sa douleur, son désarroi et son besoin immense d'écrire sur sa mère.
Ce "n'est pas une biographie, ni un roman naturellement, peut-être quelque chose entre la littérature, la sociologie et l'histoire". Mais c'est un bel hommage et un texte magnifique, puissant et très touchant.

Dans un style d'écriture simple, factuel, sans fioritures, l'autrice raconte sa mère, cette femme dynamique issue d'un milieu très modeste. D'abord ouvrière puis commerçante, gérant avec rigueur et courage une épicerie buvette à Yvetot. Son souhait le plus cher presque obsessionnel : s'élever dans la société, tenir son rang en apprenant incessamment, et donner à sa fille la meilleure éducation possible pour qu'elle, au moins, puisse s'en sortir et devienne quelqu'un !

L'autrice retrace le parcours maternel mais insiste aussi sur l'évolution et l'ambivalence des relations mère - fille faites d'incompréhension, d'agacements réciproques et de honte en particulier à l'adolescence, Puis viennent les années adultes, enfin la retraite et le déclin. Comment une femme aussi active et ouverte au monde peut-elle tomber dans la dépendance, perdre la mémoire jusqu'à ne plus savoir mettre le couvert ni reconnaitre les visages ? Une fin de vie douloureuse, une déchéance qu'Annie Ernaux décrit avec pudeur et tendresse.

"Je n'entendrai plus sa voix. C'est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher qui unissaient la femme que je suis à l'enfant que j'ai été. J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue »

Tels sont les mots par lesquels Annie Ernaux conclut son écrit. Un hommage émouvant et puissant dont je conseille vivement la lecture.

#Challenge Riquiqui 2024


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Dans le récit personnel, familial, social, qui traverse toute l'oeuvre d'Annie Ernaux, l'autrice y consacre plus spécialement un livre à chacun de ses parents: La place, sorti en 1985, où est évoqué son père, et celui-ci, Une femme, publié en 1988, qui raconte la vie et la fin de vie de sa mère.
Au sujet de cette mère, qui a joué pour elle un rôle si important dans sa vie, elle fera aussi éditer en 1996, après avoir hésité longtemps, sous le titre « Je ne suis pas sortie de ma nuit » et sans le modifier, le journal qu'elle avait tenu au jour le jour, lorsque sa mère s'effaçait dans la maladie d'Alzheimer.

Le court récit « Une femme » relate de la façon sobre, sans sentimentalité, sans effusions, ce qui le rend encore plus fort et plus émouvant, le parcours de vie de celle qui l'a mise au monde et l'a accompagnée pendant 45 ans.
L'évocation du milieu social ouvrier dont est issue sa mère, sa volonté de s'élever socialement qui l'amènera à acquérir un café- épicerie de village à Yvetot, son énergie, sa rudesse voire sa violence, mais aussi sa tendresse, son attention à sa fille unique (une fille de « remplacement » à une autre morte deux ans avant sa naissance), les espoirs qu'elle met en elle, mais le décalage social difficile qui s'installe entre « la fille qui a fait des études » et ses parents, tout cela est admirablement décrit.

Et puis la deuxième étape, c'est la période plutôt heureuse dans laquelle sa mère devenue veuve viendra vivre chez sa fille et son beau-fils à Annecy, mettra son énergie à s'occuper de ses petits enfants et de la maisonnée, un peu comme si elle se mettait à leur service, ce qui est source d'inévitables conflits.

Et puis, les choses changent, la mère ne s'habitue pas à la région parisienne, où le mari a été muté, et retourne vivre à Yvetot, le couple divorce. Elle est victime d'un très grave accident, dont elle se rétablit miraculeusement, vient revivre chez sa fille.

Et enfin, c'est l'apparition de la maladie d'Alzheimer, l'impossibilité de garder sa mère chez elle, jusqu'à la fin de vie.
Et cette dernière phrase bouleversante: « J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue . »

La façon pleine de pudeur et de tendresse dont Annie Ernaux raconte la vie de sa mère, ce style volontairement plat qu'elle choisit, renforce l'émotion, je trouve, et j'ai eu le coeur serré une bonne partie du récit. Cette façon dépouillée et sincère me touche beaucoup plus, par exemple, que « Le livre de ma mère », d'Albert Cohen, trop excessif, trop démonstratif, à mon goût .Et puis, ce récit a une dimension qui dépasse le cercle de l''experience intime, et que chaque lecteur peut ressentir profondément. Dans tous les cas, je trouve que ce récit parle à toutes celles et ceux qui ont été confrontés à l'ascenseur social, qu'il fonctionne ou pas.

En conclusion, et bien que je n'ai lu que peu de livres de l'autrice, je trouve que sa manière d' « écrire la vie » (le titre qui est donné au Quarto Gallimard qui rassemble une grande partie de son oeuvre) faisant de ses expériences personnelles et de la description de la société la matière de ses récits, restera, à la fois comme le témoignage des changements profonds de cette deuxième moitié du 20ème siècle, en particulier pour la condition féminine, et comme l'évocation par le prisme de l'intime de thèmes universels, entre autres, l'amour et ses tourments, l'identité, la condition sociale et le rapport à ses origines, la maladie, la mort.

Et pas de doute que cela vaut le coup de continuer à explorer une oeuvre aussi originale.

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“Perdre sa mère, c'est ne plus être, jamais, l'enfant de quelqu'un dans le monde. J'ai entrepris d'écrire pour supporter cela…”
Le cadre est ainsi posé, le genre aussi : “Ceci n'est pas une biographie, ni un roman naturellement, peut-être quelque chose entre la littérature, la sociologie et l'histoire.”

Annie Ernaux dissèque la vie de sa mère en nous la présentant sans emphase.
Elle prendra le parti de raconter séparément les histoires de son père et de sa mère dans deux livres différents, elle écrit ainsi dans “Une femme” : “en 1967, mon père est mort d'un infarctus en quatre jours. Je ne peux pas décrire ces moments parce que je l'ai déjà fait dans un autre livre, c'est-à-dire qu'il n'y aura jamais aucun autre récit possible, avec d'autres mots, un autre ordre des phrases.”(“La place”).

Comme dans “Les années”, l'autrice met à distance la sentimentalité, même si on sent poindre les sentiments retenus au coin des phrases.
Voilà, elle ne fera pas que des adeptes avec ce texte découpé en petites phrases posées à plat, anti psychologiques, déliant les événements pour en faire un livre au style reconnaissable, celui d'Annie Ernaux.
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J'ai un jour assisté à la remise d'une décoration à une collègue. Celle-ci, dans son discours de remerciement, a dit d'une voix tremblante : "Mes parents auraient été si fiers de moi." C'était émouvant bien sûr, mais ça m'a étonnée aussi. Pourquoi placer sa fierté dans une pareille breloque ?
Et maintenant je me demande : est-ce qu'elle a pensé, Annie Ernaux, "Mes parents auraient été si fiers de moi", à l'annonce de son prix Nobel ? Je n'ai pas la réponse. (Et dans "Une femme" qui raconte la vie de sa mère, il y a beaucoup trop de pudeur pour qu'elle aborde le thème de ses succès littéraires.)
"Une veille de la Pentecôte, j'ai rencontré ma tante M... en revenant de classe. Comme tous les jours de repos, elle montait en ville avec son sac plein de bouteilles vides. Elle m'a embrassée sans pouvoir rien dire, oscillant sur place. Je crois que je ne pourrai jamais écrire comme si je n'avais pas rencontré ma tante, ce jour-là."
C'est pour ça qu'elle me touche, Ernaux : parce qu'elle sait d'où elle vient.
J'ai été émue par la transmission familiale de l'amour des livres, Ernaux Nobel, écrivaine, auparavant prof de français, étudiante en lettres... précédée de sa mère grande lectrice de Mauriac et Colette ("Les livres étaient les seuls objets qu'elle manipulait avec précaution")... et précédée de sa grand-mère qui vivait "sans autre relâchement que la lecture des feuilletons".
Mais ce roman est loin d'être juste un flot de souvenirs d'enfance et de caractères familiaux.
"J'essaie de ne pas considérer la violence, les débordements de tendresse, les reproches de ma mère comme seulement des traits personnels de caractère, mais de les situer aussi dans son histoire et sa condition sociale." Ernaux part d'une expression, d'une réflexion, d'un aphorisme maintes fois entendus de la bouche de sa mère, et à partir de là elle produit une analyse sociologique, elle déploie tout le panorama de la classe ouvrière des années 20, ainsi que de la condition féminine, notamment celle des jeunes filles. Elle décrit cette hiérarchie sociale où chacun aspire à l'échelon supérieur, ainsi ses tantes dénigrant "le monde qu'elles étaient en train de quitter."
Sa mère vient d'une famille paysanne, jeune fille elle a rêvé d'être "demoiselle de magasin" mais est devenue ouvrière d'usine, puis une fois mariée, commerçante. Elle a bataillé pour amener sa fille aux études supérieures. "J'étais certaine de son amour et de cette injustice : elle servait des pommes de terre et du lait du matin au soir pour que je sois assise dans un amphi à écouter parler de Platon."
Tout est là.
Moi qui n'ai longtemps lu que des pavés, je suis frappée par tout ce qu'Ernaux parvient à dire dans de si petits livres. Et je me rends compte qu'aucun ne devrait être plus long : rien n'y manque, rien n'est effleuré ; tout est dit.
Lorsqu'elle décrit sa mère ronchonnant contre elle dans la cuisine, puis tout sourire pour les clients dès lors qu'elle franchit la porte qui mène à l'épicerie, je revois l'épicière de mon quartier dans les années 60, dont la boutique ouvrait effectivement, quoique discrètement, sur la cuisine familiale.
Et lorsqu'elle décrit sa mère désireuse d'apprendre les noms des fleurs dans les jardins, qui "écoutait avec attention tous les gens qui parlaient de ce qu'elle ignorait", je revois la mienne.
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J'ai bien assez pleuré.
De gros sanglots d'enfant.
Vivre, c'est perdre.
Magnifique roman qui n'en est pas un, livre-hommage à la mère de Annie Ernaux.
Très touchant.
La preuve.
Après La place, livre sur son père, à présent l'auteure rend hommage à sa mère.
Une sacrée "nana" cette maman.
Elle rit fort, elle hurle sur les enfants, elle est violente et orgueilleuse, mais elle aime tant sa fille...
Elle a beaucoup de caractère, c'est sa force face à une vie pas forcément facile.
Elle vient d'un petit milieu, et elle veut s'en sortir.
Le mariage.
L'usine, très vite, puis l'achat d'un petit commerce, café, épicerie.
Ouvriers à demi ruraux. le père est perdu car il continue l'usine, et le soir il devient patron de café.
Beaucoup de travail, beaucoup de courage.
Elle veut gravir les échelons, elle veut donner à sa fille tout ce qu'elle n'a pas eu.
C'est important pour elle l'ascension sociale, la religion aussi.
Une jeune fille doit bien se tenir.
Éducation stricte, sévère. Il faut être une jeune fille "bien".
Importance des règles du savoir-vivre.
Cette mère est la figure dominante de la famille. C'est la Loi. (Alors que la Loi est très généralement représentée par le Père, mais la famille maternelle a hérité d'un matriarcat forcené).
À sa retraite, elle va vivre chez sa fille.
Puis elle habite un petit studio, puis ce sera l'hôpital avec un début très prononcé de la maladie d'Alzheimer.
Et là patatras.
Inconsolable.
Mon père en est décédé en cinq ans de cauchemar, exactement ce que Ernaux raconte avec une pudeur et une délicatesse incroyables.
J'ai écrit, moi aussi, un texte sur cette maladie et la déchéance de mon père.
On les perd peu à peu, tout doucement mais inexorablement.
Très belle écriture, beaucoup d'émotions, Ernaux se livre comme jamais.
Une délicatesse mirifique, un amour pour sa mère que personne ne pourra nier.
Elle nous parle de sa douleur face au décès de sa mère, de sa souffrance qui évite les lieux communs, nous sommes dans la vérité, cette vérité si difficile à écrire.
Annie Ernaux, je salue votre courage.
Vous avez eu une vraie mère, et vous lui avez fait comme cadeau le plus bel hommage du monde, celui de pouvoir mettre des mots sur cette mère atypique, les écrire, donc les acter.
Donc ils existent.
Donc je suis plus vivante que je crois.


Ps : prochaine étape : "Je ne suis pas sortie de ma nuit".
Texte difficile (sur la maladie de sa mère), qui va être, je le pressens, un texte encore bien éprouvant à lire.
Mais nécessaire.
Le courage c'est d'écrire, mais celui de lire certains textes peut se vivre également avec douleur.
À chacun son chagrin.
À chacun son courage.
À chacun sa mère.
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