Peut-on livrer 780 millions (oui, oui, millions) de comprimés d'analgésiques – principalement hydrocodone et oxycodone - en 6 ans en Virginie Occidentale et assister parallèlement à 1 728 morts par overdose dans le même État sans que personne ne réagisse ? Oui et non…
Oui, parce cela s'est réellement passé au début des années 2000. Et qu'en plus des morts, ce sont des milliers d'Américains lambdas qui, loin d'être des drogués, sont devenus accros aux cachets, victimes d'un système démarrant par les prescriptions abusives de médecins plus hypocrites qu'
Hippocrate.
Non, car quelques familles de défunts ont eu le courage de lancer les premières actions en justice, gouttes d'eau décisives dans un océan d'enquêtes et de procédures qui ont fini, il y a quelques mois, par dénoncer, condamner et faire tomber tout un système pyramidal et criminel.
Non, car il reste encore quelques journalistes dans ce monde prêts à « s'indigner sans relâche » et pour qui le mot investigation a encore du sens.
Eric Eyre, journaliste de la Charleston Gazette – ici traduit par
Romain Guillou – est de ceux-là, et dans
Mort à Mud Lick, il nous raconte sept ans d'enquêtes et de combats dans un livre salué d'un Pulitzer du reportage d'investigation.
Sa manière de décortiquer l'effroyable chaîne puissante et addictive mise en place par les sociétés pharmaceutiques, leurs distributeurs, les pharmacies et les « médecins » prescripteurs, fait froid dans le dos. Un véritable système mafieux qui n'a rien à envier aux gangs et cartels du Sud.
Mais c'est surtout sa plongée dans le système judiciaire américain qui fait l'intérêt de ce livre, montrant que les principes de la négociation, du compromis et de l'accord financier sont dans ce cas précis, autant d'artifices juridiques favorisant la latence et l'inertie alors que les faits sont là et que les morts continuent de s'accumuler.
Un récit qui se lit au départ comme un thriller, avant malheureusement de perdre en intérêt pour le lecteur étranger trop éloigné du sujet, un brin écrasé sous le trop plein de détails judiciaires et de procédures qui finissent par s'apparenter à des redites.
Reste un livre au sujet fort qui ne peut manquer d'interpeller sur la financiarisation des métiers du médicament et ses dérives associées, y compris chez nous où la dépendance médicamenteuse atteint régulièrement des records mondiaux…