Ah, que c'est (relativement) facile de parler du livre d'un.e parfait.e inconnu.e ! Plus facile, en tout cas, que de présenter celui d'une personne dont on a fait la connaissance, que l'on considère désormais comme un.e ami.e et que l'on apprécie énormément. Comment font ces humoristes et autres imitateurs quand ils jouent leurs sketchs devant la personne (souvent connue) qu'ils vont malmener, humoristiquement ? Je suis sûr que je me mettrais à baragouiner, voire que je perdrais tous mes moyens. Toute cette introduction pour dire que j'ai rencontré son auteur.e
Dominique Faure voici peu, avant de lire le livre, et fus conquis dès nos premiers échanges. Oui, je sais, du point de vue de la promo, j'ai tout faux, là. Il est de bon ton de taire que l'on est amicalement lié à un.e auteur.e, car le dire fait flotter, dans la tête de beaucoup de gens, le parfum de la connivence, de la flatterie par amitié, de l'apriori positif. Ajoutez à cela que je viens d'avouer que j'aurais le plus grand mal du monde à formuler des propos critiques, voire négatifs… Mais est-ce forcément plus facile de dire du bien de l'ouvrage d'une personne que l'on apprécie autant que moi, j'apprécie Dominique ? Car oui, vu le personnage, son caractère attendrissant et chaleureux ainsi que sa classe folle dans les gestes, les mots, les échanges, j'avais un apriori positif. Je subodorais que le livre en question n'allait pas être en reste. Je savais à peu près que je n'aurais pas à me forcer pour y trouver quelque chose d'attirant. Nulle surprise, à cet égard, donc, si ce n'est qu'à quel point j'ai été subjugué par cette belle histoire et cette magnifique plume. Je plaide coupable pour vraiment adorer ce roman ; et je clame mon innocence à celles et ceux qui me reprocheraient un parti pris amical. Je vous jure, si je n'avais pas aimé, je me serais fait violence et j'aurais listé les points à critiquer…
Alors, l'intrigue ? Celle d'une rencontre fortuite suivie d'une des plus belles histoires d'amour jamais lues. François, un homme de la mi-trentaine, quoique pas mélomane, juste amateur de belle musique, assiste à un concert et se trouve sous le charme du pianiste, Frédéric. Leurs chemins se recroisent par hasard lors d'une émission de radio à laquelle ils assistent tous les deux. François prend son courage à deux mains et invite Frédéric à manger un morceau. Leur premier tête-à-tête se passe paisiblement, sans qu'aucun des deux ne se lance dans le jeu de la séduction. Frédéric est trop éthéré, trop discret, trop insaisissable pour que l'on s'y amuse avec lui. Puis, François ne se considère pas homo ; il ne comprend même pas pourquoi il se sent si attiré par ce musicien au physique fort plaisant, pas tout à fait homme, pas tout à fait femme, en même temps un peu les deux à la fois. Car oui, attirance il y a, indéniablement, et ce des deux côtés. Ainsi, quand Frédéric accepte une invitation au domicile de François, les dés sont jetés, et la première approche, faite. Petit à petit, les deux vont tomber sous le charme de l'autre, intellectuellement, émotionnellement. Mais, chacun à sa manière, ils portent un lourd fardeau, un historique douloureux, et surtout Frédéric est inhibé, comme handicapé, au niveau sexuel, par son vécu. Il va falloir à François beaucoup d'amour, beaucoup de patience pour finir par construire quelque chose de solide et de durable avec cet homme qui, de plus en plus, l'envoûte…
Dominique Faure présente cette histoire hors du commun sous forme d'un récit à la première personne – c'est François, apprenons-nous au bout d'un moment, qui la note dans des carnets. Puisqu'il griffonne le déroulé des événements ainsi que ses pensées, ses envies, ses peurs tels des entrées d'un journal intime, il parle tantôt de Frédéric à la troisième personne (il), et tantôt il semble s'adresser à lui directement, le vouvoyant au début, le tutoyant par la suite. Au début, j'ai été quelque peu déconcerté de retrouver des « tu » et « toi » dans le texte, mais rapidement, cette sensation d'étrangeté a cédé la place à un sentiment d'immersion totale : François ne me parlait plus à moi, lecteur, mais m'a fait me glisser dans sa peau, réussissant ainsi à me laisser ressentir les scènes et me faisant comprendre que ces notes de carnet, il ne les écrivait pas pour lui-même, mais pour et à Frédéric. Très habile, surtout que la prose est vraiment de toute beauté, en phrases courtes où l'on entend la respiration, le souffle de l'auteur, où l'on perçoit sa personnalité bienveillante, ses goûts, ses propres blessures, ses propres forces.
Et ces deux protagonistes, François et Frédéric… Ah mon Dieu, ils m'ont fait vivre des enfers, m'ont fait vibrer, espérer, désespérer, espérer à nouveau. Pourtant, l'histoire se déroule sans énormes retournements, sans électrochocs, d'une façon fluide, linéaire, comme préordonnée, sans être tout à fait prévisible. Avec une infinie douceur, une infinie tendresse, une infinie patience, ces deux êtres font connaissance, de leurs caractères, lentement de leurs corps, de leurs vécus, de leurs envies, de leurs besoins, de leurs freins aussi. Ils tombent en amour, comme disent les Canadiens, traduisant littéralement cette belle expression de l'anglais. Ils s'éveillent, ils se réveillent, ils se révèlent ; ils s'apprivoisent petit à petit, ils s'apprennent, dans les deux sens que l'on peut donner à ce verbe réflexif : chacun apprend à l'autre, chacun aussi apprend l'autre. C'est beau, c'est tellement beau, malgré les noirceurs de leurs récits.
Même si le protagoniste principal – celui qui donne son titre à ce roman – est Frédéric, que j'ai trouvé attachant au point de vouloir le serrer dans mes bras, j'ai surtout eu un faible pour François. Quelle gentillesse, quelle constance, persévérance, constance. Quelle force des sentiments et des convictions, quel courage. Un homme avec un trop-plein d'amour qui n'attendait que la bonne personne pour se déverser, non pas en torrent, d'un seul coup, mais en rivière salvatrice, purifiante, curative même.
Allez, il faut que je me freine, sinon, je vais encore écrire des pages et des pages. Notons enfin que tout le livre vibre et grésille d'érotisme (un des sujets principaux est, après tout, comment aimer son corps, comment faire aimer son corps à quelqu'un d'autre). Il s'agit de scènes d'apprentissage, d'apprivoisement, et loin de toute pornographie vulgaire et tape-à-l'oeil, on a là la preuve que l'érotique peut être raconté avec discrétion, subtilité, sublimation même. En résumé, vous l'aurez compris, c'est un magnifique roman, un de ceux que l'on n'oublie pas de si vite. Une histoire qui aurait pu être sombre, pesante, plombante, mais qui s'avère être tout le contraire : lumineuse dans son espoir, stellaire dans son amour, réconfortante dans sa force tranquille (désolé de reprendre ce slogan politique) et patiente. Un roman que je recommande vivement.
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