Eric Faye dont j'apprécie beaucoup les chroniques de voyage écrites à quatre mains avec
Christian Garcin aborde ici le Japon cette « planète habitée la plus proche de la Terre », par le biais de sa littérature et de son cinéma. Une approche qui m'a beaucoup servie par le passé pour arriver à comprendre et apprécier un pays et une société opaque, d'accès difficile.
Le passé éclairant le présent, Faye ouvre ses premières fenêtres sur les fléaux du début du siècle dernier, guerre , tremblements de terre et bombes atomiques de Hiroshima et
Nagasaki qui dominent la littérature nippone, à travers les conséquences desquels se révèle l'âme profonde du pays et le rapport de sa population à l'altérité et aux minorités. Il en ressort que le Japon s'y reflète plutôt par les souffrances qu'il a subies que celles qu'il a infligées, les notions mêmes de péché, de culpabilité et de pardon n'étant pas les mêmes dans une Europe chrétienne et dans un Extrême-Orient shintoïste, bouddhiste. Ce qui n'empêche pas les prises de conscience morales dont témoigne par exemple l'oeuvre monumentale du cinéaste Masaki Kobayashi.« La condition de l'homme ».
Y cheminent aussi les réflexions sur la place de la femme dans la société et à l'intérieur du couple, sur la famille japonaise longtemps soumise à l'autorité d'un chef sur l'ensemble de ses membres , qui évolueront très lentement dans le temps. La Constitution de novembre 1946 fortement inspirée des Américains consacrant la liberté individuelle sera le premier virage de cette évolution. Pourtant le Japon reste le pays où la règle est de se conformer aux valeurs et attitudes du groupe.” le premier lieu où la liberté n'existe pas au Japon-et où la liberté n'a guère de sens-est le noyau familial. le prénom est mentionné après le patronyme. On est d'abord d'une famille, puis soi-même “.
Dans son ensemble Faye nous relate les faces sombres d'une société, dont le tableau qui en ressort va à l'encontre de ses apparences : discrimination et massacre des Coréens, que
Aki Shimazaki relate dans Tsubame et
Akira Yoshimura dans le grand tremblement de terre de Kanto, auxquelles s'ajoute celle des burakumins , des parias discriminés pour cause d'avoir exécuté des basses besognes ( bouchers, tanneurs..) . Outre, c'est un pays où existe plus d'un million de hikikomoris et où quatre-vingt-dix mille de ses habitants fuient leur vie chaque année et sont engloutis dans les limbes. Alors que nous la considérons souvent comme policée,réglementée à l'extrême et très respectueuse de l'autre, c'est une société dominée par la violence et la solitude.
Même en pensant assez bien le connaître , ce livre m'a ouverte des nouvelles fenêtres sur des aspects surprises du Japon. Une lecture très instructive et passionnante, où l'auteur m'a impressionnée par sa vaste culture dans les deux domaines, agrémentée d'une analyse simple, impartiale et sans fioriture des divers thèmes abordés à travers livres et films. Un livre pour les passionnés du Japon , mais avant tout pour curieuses et curieux 😊!