Inutile de vous dire que ma première réaction à ces incidents fut un accès d'indignation autoritaire. Sur le moment, je me sentis blessé par la prétention du patient, ou de l'élève, de savoir les choses mieux que moi-même, mais heureusement me vint aussitôt la pensée qu'il devait, en fin de compte, effectivement savoir les choses sur lui-même mieux que moi je ne pouvais les deviner. J'ai donc reconnu que je pouvais faire erreur, et la conséquence n'en a pas été la perte de mon autorité, mais l'accroissement de la confiance en moi du patient.
C'est un avantage pour l'analyse quand l'analyste réussit, grâce à une patience, une compréhension, une bienveillance et une amabilité presque illimitées, à aller autant que possible à la rencontre du patient. On se crée ainsi un fonds grâce auquel on peut lutter jusqu'au bout dans l'élaboration des conflits, inévitables à plus ou moins longue échéance, et ce, dans la perspective d'une réconciliation. Le patient ressentira notre comportement, alors, en contraste avec les événements vécus dans sa vraie famille, et comme il se sait maintenant protégé de la répétition, il osera plonger dans la reproduction du passé déplaisant. Ce qui se passe alors nous rappelle vivement ce que nous rapportent les analystes d'enfants. Il arrive par exemple que le patient, en avouant une faute, nous saisisse brusquement la main et nous supplie de ne pas le battre. Très souvent, les malades cherchent à provoquer notre malignité supposée, et cachée, par leur méchanceté, leurs sarcasmes, leur cynisme, diverses impolitesses, et même des grimaces. Il n'y a aucun avantage à jouer dans ces conditions l'homme toujours bon et indulgent, il est plus avisé d'avouer honnêtement que le comportement du patient nous touche désagréablement, mais que nous devons nous dominer, sachant que, s'il se donne le mal d'être méchant, ce n'est pas sans raison. On apprend aussi bien des choses sur l'insincérité et l'hypocrisie que le patient a souvent dû observer dans son entourage, sous la forme d'étalage ou de prétention d'amour, tandis qu'il dissimulait ses critiques à tous, et plus tard aussi à lui-même.
L'homme est le seul être vivant qui mente. Voilà ce qui rend si difficile à l'enfant l'adaptation à cette partie de l'environnement [= les autres humains]. Même les parents si vénérés ne disent pas toujours la vérité, ils mentent délibérément, et d'après eux uniquement dans l'intérêt de l'enfant. Mais, une fois que l'enfant a fait cette expérience, il devient méfiant. Voilà l'une des difficultés. L'autre réside dans la dépendance de l'enfant à l'égard de son entourage. Les idées et les idéaux environnants obligent l'enfant lui aussi à mentir. Les parents lui tendent là une sorte de piège. Les premières opinions de l'enfant sont bien sûr les siennes : les sucreries sont bonnes, les brimades sont mauvaises. L'enfant se heurte alors à toute une série d'opinions différentes, ancrées profondément dans l'esprit de ses parents : les sucreries sont mauvaises, être éduqué est bon. Ainsi, son vécu personnel effectif, agréable ou désagréable, s'oppose aux dires des personnes chargées de son éducation, personnes qu'il aime profondément en dépit de leurs opinions manifestement erronées, et dont il dépend aussi sur le plan physique. Par amour pour eux, il doit s'adapter à ce code nouveau et difficile.
Ce n'est pas un réquisitoire ; ils appartiennent à l'élite de notre société actuelle ; c'est tout simplement un exemple pour montrer que l'éducation morale édifiée sur le refoulement produit dans tout homme bien portant un certain degré de névrose et donne naissance aux conditions sociales actuellement en vigueur où le mot d'ordre de patriotisme recouvre de toute évidence des intérêts égoïstes, où sous la bannière du bonheur social de l'humanité l'on propage l'écrasement tyrannique de la volonté individuelle, où l'on vénère dans la religion soit un remède contre la peur de la mort – orientation égoïste – soit un mode licite de l'intolérance mutuelle ; quant au plan sexuel : ce qu'un chacun fait, personne ne veut en entendre parler. La névrose et l'égoïsme hypocrite sont donc le résultat d'une éducation fondée sur des dogmes qui néglige la véritable psychologie de l'homme ; et en ce qui concerne cette dernière caractéristique, ce n'est point l'égoïsme qui est à condamner, sans lequel on ne peut concevoir sur terre nul être vivant, mais l'hypocrisie, certes, un des symptômes les plus caractéristiques de l'hystérie de l'homme civilisé de nos jours.
L'adaptation de la famille à l'enfant ne peut s'amorcer que si les parents commencent à mieux se comprendre eux-mêmes et parviennent ainsi à acquérir une certaine représentation de la vie psychique des adultes. Jusqu'à présent, on semblait considérer comme établi que les parents savaient par nature comment élever leurs propres enfants ; il y a un proverbe allemand qui dit pourtant le contraire : « Devenir père est plus facile que de l'être. » [« Vater werden ist leichter, denn Vater sein. »] Ainsi, la première erreur des parents, c'est l'oubli de leur propre enfance. Nous trouvons, même chez l'homme le plus normal, un manque étonnant de souvenir des cinq premières années, et dans des cas pathologiques cette amnésie va encore beaucoup plus loin. Il s'agit pourtant des années pendant lesquelles l'enfant a effectivement déjà acquis la plupart des facultés mentales de l'adulte. Et pourtant elles tombent dans l'oubli. Ce manque d'appréhension de leur propre enfance est l'obstacle majeur qui empêche les parents de comprendre les questions essentielles de l'éducation.