Un tel crime pratiquement chez moi, juste de l'autre côté de la frontière, je ne puis laisser passer sans plus, même si j'arrive royalement tard sur les lieux.
Dunkerque, avec son nom presque flamand (l'église dans les dunes), évoque pour moi ce triste épisode de la dernière guerre, quand ces pauvres soldats se faisaient canarder par la Luftwaffe sur sa belle plage. Et comme bibliophile "
Expiation" d'
Ian McEwan, un 'must' pour tout amateur de bons livres et qui attend patiemment d'être embarqué pour cette fameuse île déserte de Babelio, où je risque de me faire une réputation douteuse par ma fascination pour les femmes fatales et dangereuses. Comme Anna Bachmeier il y a quelque temps, La Tarnowska récemment et Pauline Dubuisson maintenant. Pour ma défense je peux, heureusement, avancer que je m'intéresse aussi aux victimes, telles Camille Claudel, Riverbend,
Rania Al-Baz et
Asli Erdogan.
Place donc à "La Ravageuse" : cette femme-medecin et descendante du fondateur de Malo-les-Bains, tout près de Dunkerque, où elle est née en 1927, pour mourir suicidée 35 ans plus tard à Essaouira (avant Mogador) au Maroc !
Mais pourquoi est-ce que le destin de Pauline Dubuisson a-t-il inspiré 5 écrivains, un dessinateur de BD et un grand cinéaste comme
Henri- Georges Clouzot ?
La réponse tient en un mot : meurtre ! Mais pour fasciner au moins 7 artistes et créateurs de la sorte, il faut, bien entendu, un peu plus !
Pour y voir plus clair, commençons par l'énoncé des simples faits. Quoi que la juxtaposition de simple et fait, lorsqu'il est question de tuer quelqu'un, relève déjà d'un paradoxe. Cependant, les 3 coups de balles tirées par Pauline et qui tuent son ex-amant, Félix Bailly, le 17 mars 1951 à Paris, est le point de départ d'une affaire exceptionnellement médiatisée pour l'époque. À partir de là, l'on patauge dans les affirmations contradictoires et surtout les spéculations. Crime passionnel ? D'autant plus qu'ils venaient de coucher ensemble selon une version, niée par une autre ? Vengeance, parce que Félix avait mis fin à leurs relations et avait une maîtresse ? Mais c'est Pauline, qui selon une autre version avait rompu leur relation en refusant l'offre de mariage de Félix ? Puis, il y avait l'explication de Pauline que Félix avait essayé de s'emparer de l'arme et que ce (foutu) revolver acheté à Dunkerque s'était enrayé quand elle a essayé de se suicider ? Qu'elle a ouvert le gaz, mais a ete 'sauvée' à temps. Bref, un délice pour les professionnels de la justice. Pas étonnant que le futur grand champion du barreau,
Jacques Vergès, pas encore la trentaine, suivit très attentivement l'affaire de tout près ! le suicide du père de Pauline, blackboulé pour collaboration avec les nazis, et son propre flirt avec un toubib allemand pendant la guerre, était un cadeau béni pour une certaine presse. Effectivement, bon nombre de journalistes retrouvaient l'atmosphère de 1944 et le règlement des comptes avec les 'putains collabos' qui avaient couché avec des boches.
C'est dans ce climat serein, qu'en novembre 1953, ait eu lieu son procès. Un (autre) procès du siècle pour certains plumitifs. C'est grâce à l'unique femme du jury - apparemment un peu plus raisonnable et pondérée que les autres jurés - que Pauline Dubuisson échappa à la guillotine. Elle écope perpète et est finalement libérée après 7 ans de prison. Avec son diplôme de médecine en poche, elle part au Maroc et y tombe amoureuse d'un ingénieur. Elle ne lui avait manifestement pas raconté tout son passé, car lorsqu'il l'apprend par les journaux, il met fin à leur engagement.
Après quoi, Pauline se suicide en septembre 1963.
Henri-Georges Clouzot, qui avait assisté à des séances du Procès-Dubuisson, en a réalisé un film à recettes records, couronné par un Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Pas surprenant quand on peut regrouper sur le plateau des acteurs comme
Brigitte Bardot (Pauline), Samir Frey (Félix), Charles Vanel et
Paul Meurisse (avocats des camps opposés), sans oublier une émouvante Marie-José Nat (soeur de l'accusée). Que 'La Vérité' , sorti en salles l'année de la libération de notre Pauline ce qui l'a obligé à la clandestinité et la fuite, jette une ombre sur ce film que, comme la plupart des spectateurs, j'ai beaucoup aimé.
Bien après sa mort, le sort de Pauline Dubuisson, a fait couler tellement d'encre qu'il y a de quoi rester stupéfait et confondu. le premier à en faire un ouvrage, fut
Michel Vinaver avec "Portrait d'une femme" de 1986, suivi par
Serge Jacquemard avec "
L'affaire Pauline Dubuisson" en 1992. Et, il y a 2 ans, apparaissent la même année 2 ouvrages littéraires : de
Philippe Jaenada "Pauline Debuisson :
La Petite Femelle" et de
Jean-Luc Seigle : "
Je vous écris dans le noir". Sans oublier la BD dans la collection Les Grandes Affaires criminelles et mystérieuses, basé sur un scénario de
Julien Derouet.
L'embarras du choix me fait hésiter à prendre position. Parmi les oeuvres littéraires de 2015, qui visent toutes les deux à remettre la pendule à l'heure en faveur de Pauline, je dirais que l'ouvrage de
Jean-Luc Seigle est le plus réussi du point de vue littéraire (124 critiques sur Babelio), tandis que celui de
Philippe Jaenada est probablement le plus proche de la vraie Pauline, puisqu'il a épluché les archives et les annales du Procès-Dubuisson (78 critiques ). À vous de choisir entre littérature et archives. !
Cerner la personnalité de Pauline Dubuisson me paraît, néanmoins, mission impossible et même le 'roman vrai' de
Jean-Marie Fitère "La Ravageuse" n'y a pas complètement réussi. le chapitre consacré à son amour interdit pendant la guerre ne m'a pas complètement convaincu. Je crois qu'il revient à vous tous, individuellement, d'essayer de vous rapprocher de Pauline et de son Affaire et de faire votre propre jugement. Sans vous laisser influencer pour autant par les paroles sages d'
André Malraux, qui figurent à la page 7 du livre et que je reprends ici en guise de conclusion : " Juger, c'est de toute évidence ne pas comprendre, puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait plus juger."