Qui-vive

Cela fait dix-huit ans qu'Abel n'est pas revenu dans son village. Dix-huit ans qu'il n'a pas vu sa famille. Photographe, il a parcouru le monde et c'est à travers son objectif qu'il observe ceux qu'il a quittés. Il a besoin de temps pour les approcher. La première à qui il rend visite est sa mère. Il sait qu'elle ne dira rien : elle est atteinte d'Alzheimer. Puis, il s'enhardit et se montre à Arnaud, son frère aîné. Il a besoin de temps avant de renouer avec son père. Avec sa belle-soeur et ses neveux, la rencontre se fait naturellement : ils sont heureux de le rencontrer enfin.

Dix-huit ans se sont écoulés, mais chacun a conservé le rôle que le drame lui a attribué. Abel avait douze ans et Arnaud, quatorze ans, quand Agathe, leur petite soeur de six ans, a disparu. C'était un soir de fête foraine. Elle n'a jamais été retrouvée et la famille s'est délitée. Chacun a survécu à la culpabilité et au chagrin à sa manière. Tous ont espéré avoir des réponses. Malgré l'enquête minutieuse et l'intérêt des médias, la vérité n'a jamais émergé.

Le récit, construit d'un bloc, sans chapitres, alterne entre le passé et le présent et navigue entre les différents destins. Je n'ai pas été gênée par l'absence de découpage, seules mes obligations me faisaient arrêter ma lecture. J'ai aimé suivre chaque personnage et découvrir sa responsabilité (réelle ou ressentie comme telle) et sa manière de survivre à la tragédie. Les répercussions sont parfaitement décrites, la douleur est lancinante et a influé sur leur destin, leurs choix et leur personnalité. Les portraits ciselés montrent que leur caractère et leurs agissements, le soir de la disparition d'Agathe, ont déterminé leur futur.

Le retour d'Abel renverse les repères de tous, même les siens. Les silences s'expriment, les non-dits se fissurent, les secrets se dévoilent et les sentiments se révèlent. Ces retrouvailles, tant craintes et attendues à la fois, parviendront-elles à réunir les souffrances et à renouer les liens ?

Je me suis attachée à cette famille, meurtrie par une terrible épreuve. J'ai aimé découvrir l'effet-catalyseur du changement produit par la décision d'Abel de revenir sur les lieux de son enfance. À chaque livre de Chantal Forêt, je suis subjuguée par la finesse des portraits psychologiques des personnages. Ils sont précis, très nuancés, d'une grande justesse et empreints d'émotion.

J'ai adoré ce roman délicat et sensible.

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