L'Histoire (avec un grand H) est toujours quelque chose de fascinant ; parce qu'elle restitue le passé celui de l'humanité, et donc le nôtre, et que cette connaissance du passé devrait, en principe, nous faire réfléchir sur le présent et encore plus sur l'avenir ; elle est fascinante aussi par l'imaginaire qu'elle suscite, par les prolongements, réels ou supposés qu'elle crée dans la tête des utopistes, des rêveurs et des romanciers : à mi-chemin de l'Histoire et de la fiction, les écrivains, les artistes, les cinéastes ont remodelé le monde, lui donnant parfois une autre réalité, aussi plausible que la vraie, tellement même qu'on y croit parfois plus que la vraie, véritable et véridique.
J'en veux pour témoin Odessa. ODESSA (Organisation der ehemaligen SS-Angehörigen, Organisation des anciens membres SS), cet organisme secret destiné à l'exfiltration, puis à la réintégration des anciens nazis, n'existe pas. Elle est toute droite (et même extrême-droite) sortie de l'imagination de
Frederick Forsyth (né en 1938), à qui on doit aussi «
Chacal » (1971), qui racontait la préparation d'un attentat contre le Général de Gaulle, ou encore «
Les Chiens de guerre » qui relatait un coup d'état en Afrique.
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le dossier Odessa » est l'histoire de
Peter Miller, un jeune journaliste allemand que rien de prédisposait à une telle aventure. le jour de l'assassinat de Kennedy (22 novembre 1963, est-il besoin de le rappeler), il s'arrête pour digérer la nouvelle, et tombe par hasard en possession du journal d'un vieux juif, Simon Tauber, survivant du camp de Riga. Peter décide de mener son enquête sur ce camp et en particulier son directeur, Eduard Roschmann, le « Boucher de Riga ». Il ne sait pas dans quoi il met les doigts : cette enquête le mène droit vers ODESSA, une association d'anciens SS, Simon Wiesenthal et la quête des anciens tortionnaires nazis, et il n'est pas au bout de ses surprises.
«
le dossier Odessa » est un modèle de thriller. On y croit de bout en bout. Forsyth mêle si habilement la réalité et la fiction qu'il nous est difficile de faire la part des choses, et on avale tout, avec délectation, et aussi angoisse, pour faire bonne mesure. Car si on part du principe que l'histoire est vraie (et l'auteur ne nous détrompe pas, bien au contraire) ça fait froid dans le dos, la guerre est finie depuis 18 ans (un peu plus aujourd'hui, je sais), mais « les assassins sont parmi nous » (pour reprendre le titre du premier film allemand réalisé après la guerre).
Il y a bien eu des exfiltrations d'anciens nazis. Mais elles n'ont jamais fait l'objet d'une organisation unique, encore moins dans le but d'une re-création du parti nazi hors d'Allemagne. Il y a bien eu des chasseurs de nazis tels Simon Wiesenthal. Et il est avéré que certains nazis notoires comme Mengele ou Bormann ont trouvé refuge ailleurs (probablement en Amérique du Sud). Mais dans le même temps, l'imaginaire collectif s'est emparé de ce sujet : « Marathon man » de
William Golding, (mis en scène par John Schlesinger), «
Ces garçons qui venaient du Brésil » de
Ira Levin (mis en scène par Franklin Shaffner), « Music box » (film de
Costa-Gavras) ou le sulfureux « Portier de nuit » de Liliana Cavani, brodent sur le thème du nazi impuni et retrouvé. Avec toujours cette interrogation : est-ce bien sûr que c'est fini, cette horreur ?
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le dossier Odessa », pour sa part, a fait l'objet d'une excellente adaptation en 1974, réalisée par Ronald Neame et interprétée brillamment par Jon Voight (
Peter Miller) et Maximilian Schell (Eduard Roschmann).