Je n'avais jamais entendu parler de
Jean Forton jusqu'à ce que mon regard se pose sur ce livre, dont la couverture épurée et le titre m'ont attirés.
Tirer son épingle du jeu : voilà ce que l'auteur a voulu démontrer dans ce roman. Ou dénoncer. Car dans cette histoire, qui a véritablement tiré son épingle du jeu ?
Nous sommes en France en 1944 et plus précisément à Saint-Joseph de Tivoli, une école tenue par des pères jésuites et surtout le Préfet des Etudes.
Une école où il ne fait pas bon se démarquer. Aucune entorse au règlement militaire n'est possible, sinon ! danger. Corrections corporelles, humiliations. Ces gamins ne sont tous que des dépravés !
Dans cette France occupée, les privations, la faim et le froid font partie de la vie quotidienne pour ces jeunes de 15 ans. Cela fait si longtemps que cela dure. Les belles années de leur enfance, ils n'en ont que de rares souvenirs. Pas le temps de rêver ! Il faut se débrouiller au jour le jour. Et cette école n'arrange rien. Il n'y a aucune place pour l'apitoiement. Tout le monde est dans le même bateau. Il n'y a plus qu'à supporter tout en essayant de ne pas se laisser broyer le cerveau.
Un petit groupe de 4 gamins va attirer l'attention du Père (le préfet de discipline). Des révoltés, des irrécupérables pour ce système concentrationnaire. ll va les attirer en les emmenant en balade lors des vacances de Pâques. Au retour, les jeunes vont vouloir s'arracher de son emprise. Après tout, que cache-t-il derrière ses soudains bons sentiments ? Après toutes les souffrances qu'ils ont endurées par sa faute, jour après jour.
Mais le Père a plus d'un tour dans son sac et il saura manoeuvrer pour les rallier à sa cause. Mais quelle cause ? Il les enrôlera dans des opérations de style militaire pour poser des bombes sur les rails et empêcher ainsi le ravitaillement des allemands. Et il a plein de projets de cette envergure.
Il jouera sur la corde sensible et leur naïveté. Après la peur, ces adolescents se sentiront renaître. de vrais héros !
Pour tous être finalement abattus froidement, alors que le Père s'enfuira, se cachera jusqu'à la fin de la guerre et récoltera ensuite médaille, laurier et promotion.
Les combattants de la dernière heure...
Et ces gamins qui avaient toute la vie devant eux. Morts. Pour rien. Pour personne. J'ai été écoeurée.
D'autant plus que
Jean Forton se raconte un peu dans ce roman. Il les a vécues ces années à l'école des Jésuites. Il sait de quoi il parle.
En 1960, il a été promu au Goncourt pour ce livre. Mais, dénoncer des agissements perfides et sadiques des jésuites n'a pas plu à tout le monde; il a été évincé... au profit d'un écrivain ancien nazi ! Cela a été divulgué dans la presse après la nomination. Scandale.
Jean Forton, dont la qualité des romans grandissait, s'est retiré doucement. Six ans plus tard, son éditeur de toujours lui a refusé son dernier roman et il n'a plus écrit, que des articles jusqu'à sa mort.
Ce n'est qu'au début des années 2000 qu'une exposition a été organisée sur cet auteur, dans sa ville d'origine, Bordeaux, qu'il n'avait jamais quittée. Depuis, ses livres réapparaissent. Petit à petit.
C'est un livre très fort et pour moi,
Jean Forton est un écrivain qui mérite d'être redécouvert.