Comme Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez, je me moque moi-même de mes enfants. C'est mon privilège de père.
" Ma fille Marie a raconté à ses camarades d'école qu'elle avait deux frères handicapés. Elles n'ont pas voulu la croire. Elles lui ont dit que ce n'était pas vrai, qu'elle se vantait. "
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Mathieu et Thomas ne connaîtront jamais Bach, Schubert, Brahms,Chopin...
Ils ne profiteront jamais des bienfaits de ces musiciens qui, certains matins tristes, quand l'humeur grise et le chauffage en panne, nous aident à vivre. Ils ne connaîtront jamais la chair de poule que donne un adagio de Mozart, l'énergie qu'apportent les rugissements de Beethoven et les ruades de Liszt, Wagner qui vous donne envie de vous lever pour aller envahir la Pologne, les danses fortifiantes de Bach et les larmes tièdes que fait couler le chant dolent de Schubert...
Il ne faut pas croire que la mort d'un enfant handicapé est moins triste. C'est aussi triste que la mort d'un enfant normal.
Elle est terrible la mort de celui qui n'a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.
De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d'un sourire.
Nous pouvons beaucoup apprendre des enfants, par exemple jusqu'où va notre patience.
Beaucoup de parents et d'amis essayaient, souvent maladroitement, de nous rassurer. Chaque fois qu'ils le voyaient, ils se disaient étonnés des progrès qu'il faisait. Je me rappelle un jour leur avoir dit que moi, j'étais étonné des progrès qu'il ne faisait pas.
Quand je pense que je suis l'auteur de ses jours, des jours terribles qu'il a passés sur Terre, que c'est moi qui l'ai fait venir, j'ai envie de lui demander pardon.
Parfois, il me vient dans la tête des idées terribles, j'ai envie de le jeter par la fenêtre, mais nous sommes au rez-de-chaussée, ça ne servirait à rien, on continuerait à l'entendre.
Il paraît que les malheurs arrivent à ceux qui ne s'y attendent pas, à ceux qui n'y pensent pas. Alors, pour que ça n'arrive pas, on y a pensé...
Un bébé n'a pas le droit d'être laid, en tout cas, on n'a pas le droit de le dire.
Notre chance s'est appelée Marie, elle était normale et très jolie. C'était normal, on avait fait deux brouillons avant. Les médecins, au courant des antécédents, étaient rassurés.
L'air dégagé et souriant, je m'offre le luxe de dire :"Les enfants handicapés, j'ai déjà donné."
Ils contestent toujours avec force le diagnostic du médecin. Leur fils n'est pas mongolien, il est cambodgien.
;"Quand on n'a pas eu de chance, il faut prendre l'air malheureux, c'est une question de savoir-vivre. J'ai souvent manque de savoir vivre"...
Si les enfants ont besoin d'être fiers de leur père, peut-être que les pères, pour se rassurer, ont besoin de l'admiration de leurs enfants.
J'espère quand même que, mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d'un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites... auront rendu le séjour supportable.
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Chaque seconde sur Terre, une femme met un enfant au monde... Il faut absolument la retrouver et lui dire qu'elle arrête, a ajouté l'humoriste.