Je n'aime pas... le mot "anormal"... Je préfére l'expression "pas comme les autres". Parce que je n'aime pas toujours les autres.
Ne pas être comme les autres, ça ne veut pas dire forçément être moins bien que les autres, ça veut dire être différent des autres.
Quand je parle de mes enfants, je dis qu'ils ne sont "pas comme les autres". ça laisse planer un doute.
Einstein, Mozart, Michel-Ange n'étaient pas comme les autres.
Quand on a des enfants handicapés, il faut supporter, en plus, d'entendre dire pas mal de bêtises.
Il y a ceux qui pensent qu'on ne l'a pas volé. Quelqu'un qui me voulait du bien m'a raconté l'histoire du jeune séminariste. Il allait être ordonné prêtre, quand il a rencontré une fille dont il est tombé éperdument amoureux. Il a quitté le séminaire et s'est marié. Ils ont eu un enfant, il était handicapé. Bien fait pour eux.
Il y a ceux qui disent que si on a des enfants handicapés, ce n'est pas par hasard. "C'est à cause de ton père..."
Cette nuit, au cours d'un rêve, j'ai rencontré mon père dans un bistrot. Je lui ai présenté mes enfants, il ne les a jamais connus, il est mort avant leur naissance.
"Eh, papa, regarde.
- Qui c'est ?
- Ce sont tes petits-enfants, comment tu les trouves?
- Pas terribles.
- C'est à cause de toi.
- Qu'est-ce que tu racontes?
- A cause du Byrrh. Tu sais bien, quand les parents boivent."
Il m'a tourné le dos et il a commandé un autre Byrrh.
Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique, j’ai perdu.
Mathieu et Thomas n'auront jamais de Carte bleue ni de carte de parking dans leur portefeuille. Ils n'auront jamais de portefeuille, leur seule carte, ce sera une carte d'invalidité.
Josée est toute remuée, elle doit se dire : « Pas étonnant que monsieur ait des enfants un peu fous. »
Que ceux qui n'ont jamais eu peur d'avoir un enfant anormal lèvent la main.
Personne n'a levé la main.
Tout le monde y pense,comme on pense à un tremblement de terre, comme on pense à la fin du monde,quelque chose qui n'arrive qu'une fois.
J'ai eu deux fins du monde.
Il ne faut pas croire que la mort d'un enfant handicapé est moins triste.C'est aussi triste que la mort d'un enfant normal.
Elle est terrible la mort de celui qui n'a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.
De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d'un sourire.
Que tous ceux qui n'ont jamais eu peur d'avoir un enfant anormal lèvent la main.
Personne n'a levé la main.
Tout le monde y pense, comme on pense à un tremblement de terre, comme on pense à la fin du monde, quelque chose qui n'arrive qu'une fois.
J'ai eu deux fins du monde.
"Comme Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez, je me moque moi-même de mes enfants. C'est mon privilège de père."
"Récemment, j'ai eu une grande émotion. Mathieu était plongé dans la lecture d'un livre. Je me suis approché, tout ému.
Il tenait le livre à l'envers."
(p. 86)
Sa scoliose a augmenté, elle va bientôt provoquer des ennuis respiratoires. Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée.
Elle est tentée, il est totalement redressé.
Trois jours plus tard, il meurt droit.