Citations sur Où on va, papa ? (269)
l n’y a rien de plus difficile que de faire quelque chose qui ne ressemble à rien
Pour attendrir les passants, les mendiants exhibent leur misère, leur pied bot, leurs moignons, leur vieux chien, leur chat mité, leurs enfants.
Il paraît que les malheurs arrivent à ceux qui ne s’y attendent pas, à ceux qui n’y pensent pas. Alors, pour que ça n’arrive pas, on y a pensé…
On va aux champignons. On va cueillir des amanites phalloïdes et on fera une bonne omelette. On va à la piscine, on va plonger depuis le grand plongeoir, dans le bassin où il n'y a pas d'eau. on va à la mer. On va au Mont-Saint-Michel. On ira se promener dans les sables mouvants. On va s'enliser. On ira en enfer. Imperturbable, Thomas continue: "Où on va, papa ?" Peut-être qu'il va améliorer son record. Au bout de la centième fois, ça devient vraiment irrésistible. Avec lui, on ne s'ennuie pas, Thomas est le roi du running gag.
Thomas et Mathieu grandissent, ils ont onze et treize ans. J’ai pensé qu’un jour, ils allaient avoir de la barbe, on allait devoir les raser. Je les ai imaginés un moment avec des barbes. J’ai pensé que, quand ils seraient grands, j’allais leur offrir à chacun un grand rasoir coupe-chou. On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on n’entendrait plus rien, on irait avec une serpillière nettoyer la salle de bains. J’ai raconté ça à ma femme pour la faire rire.
Aujourd’hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis de plus en plus biodégradable, j'ai décidé de leur écrire un livre.
Pour qu'on ne les oublie pas, qu'il ne reste pas d'eux seulement une photo sur une carte d'invalidité. Peut-être pour dire mes remords. Je n'ai pas été un très bon père. Souvent, je ne les supportais pas. Avec eux, il fallait une patience d'ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme quand on parle d'une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de parler d'eux avec le sourire. Ils m'ont fait rire avec leurs bêtises, et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j'ai eu des avantages sur les parents d'enfants normaux. Je n'ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle. Nous n'avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous inquiéter de savoir ce qu'ils feraient plus tard, on a su rapidement ce que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j'ai bénéficié d'une vignette automobile gratuite. Grâce à eux, j'ai pu rouler dans des grosses voitures américaines.
« Cher Mathieu, cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j'ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l'ai jamais fait. Ce n'était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire. Jusqu'à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures... "
Jusqu'à ce jour, je n'ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J'avais honte ? Peur qu'on me plaigne ?
Tout cela un peu mélangé. Je crois, surtout, que c'était pour échapper à la question terrible : « Qu'est-ce qu'ils font ? »
Je suis fier de ma voiture, tout le monde la regarde avec respect, essayant de distinguer, à l'arrière, un passager célèbre. S'ils voyaient ce qu'il y a derrière, ils seraient déçus. A la place de la reine d'Angleterre, il y a deux petits mioches cabossés qui bavent, dont l'un, le surdoué, répète : "Où on va , papa ? Où on va, papa ? ..."
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Thomas parle à sa main, il l’appelle Martine. Il a avec Martine de longues conversations, elle doit lui répondre, mais il est le seul à l’entendre.
Ils ne connaîtront jamais Watteau, ils n’iront jamais au musée. De ces grandes joies-là qui aident l’humanité à vivre, ils vont être privés aussi.
Il leur reste les frites. Ils adorent les frites, surtout Thomas, il dit «les fites».