"Un chat n'a pas de nom, répondit-il
- Ah bon ?
- Non. C'est bon pour vous autres, les noms. Parce que vous ne savez pas qui vous êtes. Mais nous, nous le savons alors nous n'en avons pas besoin."
Coraline ouvrit sa main et observa le caillou percé en espérant y découvrir un indice, mais en vain. La plupart des jouets tombés du coffre avaient filé se cacher sous le lit ; les rares qui restaient (un petit soldat en plastique vert, la bille en verre, un yo-yo rose vif et ainsi de suite) étaient bien le genre de jouets qu'on trouvait au fond des coffres dans le monde réel : des objets oubliés, abandonnés, mal aimés.
Elle entra dans la chambre. Les jouets s'animèrent, comme s'ils étaient contents de la voir, et un petit char d'assaut sortit même du coffre pour venir la saluer, écrasant sous ses chenilles plusieurs autres jouets. Il tomba par terre, versa sur le côté et resta là comme un scarabée sur le dos, à actionner ses chenilles en émettant un grondement sourd, jusqu'à ce que Coraline le remette dans le bon sens. Le tank s'enfuit sous le lit tant il avait honte.
- Un chat, ça n'a pas de nom, répondit-il enfin.
- Ah bon?
- Non. C'est bon pour vous autres, les noms. Parce que vous ne savez pas qui vous êtes. Mais nous, nous le savons ; alors nous n'en n'avons pas besoin.
Elle a besoin de quelqu’un à aimer, je crois. Quelqu’un d’autre qu’elle-même. Ou alors, elle a besoin de se nourrir. Difficile à dire, avec ce genre de créature.
Il est étonnant de constater à quel point notre personnalité dépend du lit dans lequel nous nous réveillons le matin. Étonnant aussi, comme cette personnalité peut être fragile.
Parfois Coraline oubliait qui elle était quand elle rêvait qu'elle explorait l'Arctique, la forêt amazonienne ou le coeur de l'Afrique ; alors il fallait lui taper sur l'épaule en l'appelant par son nom pour qu'elle franchisse d'un bon, un million de kilomètres et revienne en sursaut dans la réalité.
Plus aiguë que la dent d'un serpent est l'ingratitude d'un enfant. Mais le caractère le plus orgueilleux peut être brisé, avec amour.
Il est étonnant de constater à quel point notre personnalité dépend du lit dans lequel nous nous réveillons le matin.
— Qui êtes-vous ? demanda Coraline à voix basse.
— Les noms, les noms, toujours les noms... intervint une autre voix, lointaine et désolée. C'est la première chose qui s'en va, une fois que le souffle s'est éteint, et avec lui le battement du cœur. Les souvenirs nous restent bien plus longtemps que les noms. Je revois ma gouvernante tenant à la main mon cerceau et ma baguette, un matin de mai, avec le soleil qui brillait dans son dos et tout autour d'elle les tulipes qui dansaient sous la brise. Mais j'ai complètement oublié son nom, et celui des tulipes...
— Je ne crois pas que les tulipes aient de nom, plaça Coraline. Ce sont juste des tulipes..
— Possible, répondit la voix avec tristesse. Mais moi, je me suis toujours dit que celles-là devaient en porter un.
Sa mère fit la sourde oreille. Elle parlait avec la vendeuse. Il était question de savoir quel genre de pull conviendrait le mieux à Coraline, et toutes deux étaient d'accord : la meilleure solution consistait à en acheter un ridiculement grand et qui pendouillait de partout, dans l'espoir qu'elle grandirait suffisamment pour qu'un jour, il soit à sa taille.