Plusieurs mois que ce roman dormait sur une étagère de ma bibliothèque et que je repoussais sa lecture, un peu effrayée par le nombre de pages (1287…). Et puis, je me suis lancée et c'est une lecture coup de coeur !
Quelques mois avant le déclenchement de la 1ère guerre mondiale, Gabrielle Demachy espère toujours le retour de son cousin Endre, qu'elle aime passionnément. Mais lorsque sa tante Agota est convoquée au Ministère des armées, c'est pour apprendre son décès en Birmanie, contrée lointaine où il était parti exercer son métier d'ingénieur. Comme seul souvenir, elles héritent d'une vieille malle, remplie de frusques usées qui ne répond en rien aux questions qu'elles se posent.
La jeune Gabrielle va alors mener l'enquête pour obtenir des réponses : comment et pourquoi Endre est-il mort ? Soutenue par un membre du Ministère, le trouble
Michel Terrier, dont on ne comprend pas bien ni le rôle, ni les motivations, Gabrielle va se rapprocher de la famille Bertin-Galay dont l'un des fils, Pierre, semble avoir côtoyé son cousin, là-bas en Birmanie. C'est le début d'une aventure haletante, pleine de dangers, qui va confronter Gabrielle à des choix complexes, l'obligeant à arbitrer en permanence ses loyautés.
C'est comme institutrice que Gabrielle va être recrutée pour s'occuper de la petite Millie, 4 ans, orpheline de mère, fillette négligée, carencée dont la présence encombre toute la famille. Reçue et embauchée par Mathilde Bertin-Galay, la reine mère, chef d'entreprise autoritaire qui mène la famille à la baguette, elle part au Mesnil, à la campagne afin de s'occuper de Millie, la fille de Pierre.
C'est une nouvelle vie pour Gabrielle qui va rapidement s'acclimater à son environnement, découvrant toute une domesticité laborieuse, accueillante, affectueuse et un endroit propice pour que Millie, enfin, s'épanouisse. Car Gabrielle, malgré sa quête d'indices et son souhait de découvrir la vérité sur la mort de son amoureux, est touchée par la situation de la fillette, trimballée les 4 premières années de sa vie entre des nourrices plus ou moins amènes. Petit oiseau tombé du nid, celle-ci n'ose s'attacher à Gabrielle, de peur de vivre à nouveau le rejet. La jeune femme, avec patience et pédagogie, l'ouvre peu à peu à la vie et aux apprentissages.
Sans être vraiment une fresque historique, l'auteur ancre son roman dans une époque, évoquant les progrès (le téléphone, le chauffage central) mais aussi le développement du cinématographe, l'industrialisation et la tentation du taylorisme, la montée du syndicalisme et les grèves ouvrières, Pasteur et la découverte du vaccin, la colonisation de l'Asie, le climat anxiogène qui précède la début de la guerre… le style est dense, très descriptif mais jamais ennuyeux, souvent poétique et son clacissisme sied bien aux aventures de Gabrielle et aux temps évoqués.
Anne-Marie-Garat campe des personnages féminins aux caractères bien trempés. Gabrielle d'abord, héroïne moderne, qui n'a pas froid aux yeux, finalement peu marquée par ses origines bourgeoises, qui revendique sa liberté de mouvement et de décision. Elle regarde la société de ses semblables avec acuité - le Capital de Marx est dans sa bibliothèque - révulsée du sort infligé aux plus pauvres, aux travailleurs laborieux, à la soumission des corps imposée par les puissants. Elle trouve auprès du personnel
Du Mesnil - Mme Victor, Pauline sa petite-fille, Sassette et sa mère, Meyer, … - une famille qu'elle investit et soutient.
Dora ensuite, l'amie pianiste, artiste qui évolue dans des milieux où les moeurs sont un peu moins contraintes, qui lui fait vivre quelques émois, entre tendresse et sensualité. Puis Sophie, la soeur de Pierre, mal mariée, mère plusieurs fois contre son gré, qui entretient avec le curé de la paroisse une relation qui n'a rien de catholique et qui fera des choix très courageux pour l'époque. Que dire de Mathilde, sans coeur, ni épouse, ni mère qui ne jouit que du développement de sa biscuiterie – toujours déçue du fait qu'aucun de ses enfants n'ait son envergure dans les affaires…
Je me suis régalée, embarquée par des personnages attachants, des péripéties inattendues, des odeurs de campagne, de pluie, de confiture, de l'émotion, des dialogues rares mais très maitrisés. Merci à Margaux, libraire Kube, pour cette jolie proposition de lecture !