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sur 1518 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Au milieu du XXe siècle, à quelques années de l'indépendance africaine, un homme se lance dans un projet fou : sauver les derniers éléphants du massacre perpétré par les chasseurs venus du monde entier pour la gloire, l'ivoire, et le goût du sang. Ainsi que par les peuples africains, simplement à la recherche de viande pour survivre. Armé d'une pétition, aidé de trois paumés incroyables et doté d'une volonté de fer, il parcourt l'Afrique centrale, échappant aux militaires, à la police, à tout le monde … Premier roman écologiste, bien avant l'heure et bien malgré l'auteur lui-même, Les Racines du ciel est une dénonciation de l'avidité et de la cruauté humaine, vis-à-vis des animaux (car si l'on ne peut pas reprocher aux tribus africaines de chasser pour la viande, il en est bien autrement en ce qui concerne les chasseurs européens pour qui c'est un simple sport). Et l'on ne peut qu'être que de l'avis de Morel lorsqu'il nous parle du nombre d'éléphants qui dégringolent, de grandes chasses, de la vanité et de l'égoïsme des hommes qui ne s'en préoccupent pas. L'humaniste va donc tout faire pour parvenir à un moratoire international sur les éléphants, avant qu'il ne soit trop tard.

Mais la lutte pour sauver les éléphants n'est pas qu'une cause écologiste : paradoxalement, Morel a toujours été suspecté d'être en réalité un espion soviétique, qui soulèverait les populations vers l'indépendance. Ce qu'il n'est pas … cependant le roman n'est pas exempt de tout caractère politique. Nous sommes alors à la sortie de la Seconde guerre mondiale, et Morel a longtemps été enfermé dans un camp de travail. En défendant les éléphants, il se fait défenseur de la liberté humaine.

« Il (…) me demanda sarcastiquement si je savais que les éléphants étaient en réalité les derniers individus – oui, monsieur – et qu'ils représentaient, paraît-il, les derniers droits essentiels de la personne humaine, maladroits, encombrants, anachroniques, menacés de toutes parts, et pourtant indispensables à la beauté de la vie. »

C'est par cette citation que l'on prend conscience que ce roman n'est pas aussi ancré dans son époque qu'on peut le penser : il traite en réalité d'une questions plus vaste, plus complexe, que pose Morel durant toute son aventure … Que chaque humain a un rôle à jouer dans la lutte pour la liberté. La liberté de vivre, de se battre, de défendre des causes impossibles, pour le seul plaisir de la beauté.

« Nos artistes, nos architectes, nos savants, nos penseurs suent sang et eau pour rendre la vie plus belle, et en même temps nous nous enfonçons dans nos dernières forêts, la main sur la détente d'une arme automatique.[...] Est-ce que nous ne sommes vraiment plus capables de respecter la nature, la liberté vivante, sans aucun rendement, sans utilité, sans autre objet que de se laisser entrevoir de temps en temps ? »

Avec sa plume toujours aussi magnifique, aussi humaine, aussi drôle, Romain Gary nous transporte donc au coeur de la savane pour nous faire comprendre des concepts simples et universels … Un roman incontournable, à lire et à relire.

« Quand vous n'en pouvez plus, faites comme moi: pensez à des troupeaux d'éléphants en liberté en train de courir vers l'Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien ne résiste, pas même un mur,pas même un barbelé, qui foncent à travers les espaces ouverts et qui cassent tout sur leur passage, qui renversent tout et tant qu'ils sont vivants, rien ne peut les arrêter- la liberté quoi! »



A NOTER :

A la suite de ce livre, les éléphants restent une source d'inspiration pour Romain Gary. Il publie un texte intitulé Lettre à un éléphant.

Extrait: « Monsieur et cher éléphant,…Depuis fort longtemps déjà, j'ai le sentiment que nos destins sont liés (…). A mes yeux,…, vous représentez à la perfection tout ce qui est aujourd'hui menacé d'extinction au nom du progrès, de l'efficacité, du matérialisme intégral (…). Il semble évident…que nous nous sommes comportés tout simplement envers d'autres espèces, et la vôtre en particulier, comme nous sommes sur le point de le faire envers nous-mêmes (…). Dans un monde entièrement fait pour l'homme, il se pourrait bien qu'il n'y eût pas non plus de place pour l'homme. »

Lien : http://missbouquinaix.com/20..
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Les racines du ciel/Romain Gary/ Prix Goncourt 1956
Lorsque j'ai décidé de relire ce roman pour la troisième fois en 50 ans, je ne m'attendais pas à y trouver autant de résonnances très actuelles.
En fait j'avais connu cette belle histoire en premier lieu par le cinéma en 1958 en allant voir le film de John Huston avec Trevor Howard dans le rôle de Morel. Mon amour de l'Afrique a sans doute commencé ce jour là.
Prix Goncourt 1956, ce fabuleux et riche roman est sans doute le premier roman de type écologique. Écologique seulement : non ! Ce serait un raccourci réducteur. Brièvement, l'histoire est celle d'un homme, Morel, qui veut faire cesser en Afrique l'extermination des éléphants, l'image même de la liberté.
Citation : « "Quand vous n'en pouvez plus, faites comme moi : pensez à des troupeaux d'éléphants en liberté en train de courir à travers l'Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien en résiste, pas un mur, pas un barbelé, qui foncent à travers les grands espaces ouverts et qui cassent tout sur leur passage, qui renversent tout, tant qu'ils sont vivants, rien ne peut les arrêter - la liberté, quoi! Et même quand ils ne sont plus vivants, peut-être qu'ils continuent à courir ailleurs, qui sait, tout aussi librement. Donc, quand vous commencez à souffrir de claustrophobie. des barbelés, du béton armé, du matérialisme intégral, imaginez ça, des troupeaux d'éléphants, en pleine liberté, suivez-les du regard, accrochez-vous à eux, dans leur course, vous verrez, ça ira tout de suite mieux..."
Par ailleurs sont mis en évidence en filigrane les premiers frémissements de l'idée d'indépendance parmi les populations locales. le personnage de Waïtiri, comme le dit très bien un lecteur préfigure bien les chefs d'état africains à venir. Morel, un personnage noble, hors du commun, haut en couleur, est parfaitement campé par Romain Gary pour en faire un homme sympathique et intéressant. Morel, l'indomptable, prêt à tout en distribuant initialement des pétitions puis se livrant à des actions plus musclées et parfois comiques contre les chasseurs. Misanthrope apparemment, il se bat pour la liberté et pour l'honneur de l'humanité. Par sa force d'âme et son caractère entier, il force le respect. Soutenu par Minna, orpheline allemande, ancienne prostituée, il va sillonner les savanes avec passion et détermination. Exalté, solitaire, obstiné, idéaliste et ayant une foi inextinguible en sa démarche, Morel s'interroge sur l'impact des humains sur la planète.
Citation : «Tout n'est pas encore salopé, exterminé, gâché… il existe encore quelque chose de beau, de libre sur cette terre de merdeux. Les éléphants n'y sont pour rien, pas coupables » de ce que deviennent les hommes et la terre qu'ils habitent, envahissent, détériorent au nom du progrès. Mais finalement, « nous sommes tous des êtres humains, tous d'une même grande et belle famille zoologique. »
Gary, à travers Morel s'exprime clairement : « L'Afrique perdra lorsqu'elle perdra les éléphants. Comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les plus nobles manifestations de la vie ? »
Au delà du thème de la protection de la nature, Gary décrit tout un contexte politico-historique riche en malversations et compromis douteux. La décolonisation est en route.
L'ambiance de l'époque est bien traduite par des descriptions précises et dans un style parfait, le beau style de Romain Gary. Une kyrielle de personnages hauts en couleur accompagne de-ci de-là Morel dans sa folle équipée.
Un roman à lire et relire assurément, enrichissant et incitant à la réflexion.
Quelques dernières citations de phrases que j'ai retenues :
« Il m'a souvent paru qu'à partir d'un certain degré de sérieux, de gravité, un homme, dans la vie, est un infirme, on a toujours envie de l'aider à traverser la rue. »
« Quel est celui d'entre nous qui n'a jamais été saisi d'une haine aussi soudaine que passagère pour notre espèce ? »
« Il y avait là, comme dans tout paysage africain, une place immense à prendre, une place illimitée, et comme mystérieusement désertée par quelque présence formidable… »
500 pages de bonheur ! Magnifique !
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Les racines du ciel sont les aspirations à la justice, à la liberté et à l'amour que l'homme porte en soi. Qualifié par certains de “premier roman écologique”, ce récit a pour cadre l'Afrique-Equatoriale française, c'est à dire le Tchad à l'époque coloniale, quand sa capitale, Ndjamena, s'appelait encore Fort-Lamy, alors que la Guerre Froide et son péril nucléaire, telle une épée de Damoclès, menace l'avenir de la planète dans son ensemble. On y découvre une Afrique oscillant entre plusieurs pôles géopolitiques : la tentation du communisme, le nationalisme africain à la Nasser et l'islamisme des frères musulmans.

Le récit s'ouvre sur la rencontre entre Saint-Denis, dernier gardien des éléphants, fonctionnaire rétrogradé et le Jésuiste Père Tassin, paléontologue. Leur discussion a pour sujet le dénommé Morel, que les indigènes surnomment Ubaba Giva, c'est à dire “l'ancêtre des éléphants”. C'est la figure centrale du récit, autour duquel gravite toute une galerie de personnages. Bienfaiteur désintéressé pour certains, dont l'idéalisme pur dans sa naïveté confine à la bêtise pour les observateurs plus cyniques, misanthrope et anarchiste pour les autres, ce rescapé des camps de concentration à repris le maquis pour la cause des grand pachydermes, les éléphants. Autour de lui viens se greffer un grand nombre de figures dont les destinées antérieures révélées et les témoignages apportés au cours de l'instruction et du procès ayant trait “aux événements” donnent tout le relief à cette histoire. Analespse, récits dans le récit, la grande variété des moyens narratifs qu'emploient Romain Gary étoffent grandement la profondeur psychologique du roman. Ainsi on y trouve : le commandant Schölscher, qui mène l'enquête et fut à la tête d'une compagnie de méhariste; Haas dont la profession consiste à capturer des éléphants pour les zoos; les contrebandiers d'armes Habib et De Vries, symbolisant les bandits de toutes sortes, mercenaires, contrebandiers, qui pullulent à l'ombre des grandes causes humanitaires, sorte de gage de réussite terrestre des révolutions de par le monde; Forsythe, l'ancien soldat américain, renégat durant la Guerre de Corée, cynique et alcoolique; Peer Qvist, le naturaliste chenu, toujours prêt à prendre feu pour la sauvegarde des animaux; le père Fargues, blasphémateur et ours mal léché, dévoué à la cause des lépreux et des victimes de la mouche tsé-tsé; Abe Fields, le reporter-photographe américain, dont la seule vocation est de prendre la bonne photo au bon moment; Waïtari,ancien député des Ourès, archétype de ses dirigeants africains passés par nos écoles et universités, farcis d'idéologies, qui voulurent tourner le dos à leurs antiques traditions et coutumes, pour occidentaliser leur pays et finir ainsi, malgré qu'ils en aient, le travail des colonisateurs; et last but not least, Minna la blonde allemande, victime, en son temps de l'entrée des russes à Berlin, tombée amoureuse d'un officier russe, fusillé pour désertion; femme d'un courage et d'une abnégation surhumains, la seule, peut-être qui comprit les motifs et la portée du combat de Morel. Apparaissent aussi, vers la fin du volume, en un recul intéressant, des quidams dans divers pays d'Europe, qui suivent par presse interposée, le combat de Morel, illustrant une certaine solidarité existentielle, une communauté des hommes.
Cette oeuvre dépasse la dimension purement “écologique”, elle propose une réflexion sur la construction d'une légende et son instrumentalisation éhontée, elle montre le double visage de l'idéalisme : utopie désintéressée, réponse poétique à la laideur du monde; ou - à son extrême-, idéologie déshumanisée, pouvant conduire au sacrifice de millions d'êtres humains pour un futur hypothétique.

Hymne à la liberté, à la beauté de la nature, à sa grandiose inutilité face à tous les positivismes et utilitarismes humains, ce roman foisonnant, très actuel, aux multiples imbrications, avec sa galerie de personnages hauts en couleurs et sa construction complexe et achevée, sait tenir en haleine tout au long de ses 500 pages. C'est l'oeuvre d'un écrivain qui maîtrise son art et sait se renouveler à chaque fois.
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Que de modernité et de prescience dans ce roman écologique avant l'heure édité en 1956 et auréolé du prix Goncourt !
Nous sommes au Tchad, alors dans le giron de l'Afrique-Équatoriale française, dans les années 1950, quelques années avant l'indépendance du pays.
Un certain Morel fait partie de toutes les conversations.
Ce Français se bat aux sens propre et figuré pour la protection des éléphants convoités par les Blancs pour leurs défenses et par les Noirs pour leur chair. le plus grand mammifère terrestre est aussi la victime du déboisement, conséquence de l'extension des terres cultivées. « Le progrès, quoi ! » résume Morel.
Trois camps s'affrontent autour de cet homme qu'on pourrait qualifier aujourd'hui d'écoterroriste : ceux qui le soutiennent inconditionnellement fascinés par son obsession pour la préservation de la nature ; ceux qui veulent le neutraliser ; ceux qui veulent l'utiliser pour servir leur cause.
Parmi le premier, on trouve Minna (c'est le même prénom, avec un « n » en plus, que celui de la mère de Romain Gary), l'un des personnages les plus attachants des « Racines du ciel ». Cette Berlinoise orpheline à seize ans est hébergée par un oncle qui abuse d'elle. Lorsque la capitale du Troisième Reich fut prise par les Russes, elle subit aussi les assauts de ces derniers. Arrivée en Afrique par hasard, elle se transforme en hôtesse dans un bouge tenu par des individus louches avant de rejoindre Morel. Celle « sur laquelle les hommes s'étaient jetés sans même desserrer leurs ceinturons » est peut-être la seule à le comprendre. Il y a aussi un Américain considéré comme un traître par son pays et un naturaliste danois.
Et il y a enfin l'opinion publique occidentale, informée de l'activisme de Morel, qui le soutient dans son combat.
Le deuxième rassemble les représentants de la France censés faire régner l'ordre dans une contrée de plus en plus agitée, les chasseurs qui tuent pour le plaisir, ceux qui font commerce d'ivoire et ceux qui approvisionnent les zoos.
Quant aux populations locales, surtout les plus âgées, elles constatent : « vos éléphants, c'est encore une idée d'Européen repu. C'est une idée de bourgeois rassasié ».
Le troisième est incarné par Waïtari. Ce nationaliste formé à Paris entend libérer son pays du joug colonial et des traditions qui le paralysent pour le faire entrer dans la modernité. Il pense manipuler Morel en faisant du massacre des éléphants le symbole de l'exploitation de l'Afrique par les Blancs.
Tous ces protagonistes ont donc leur avis sur Morel : un « farfelu », un « illuminé », un « naïf », un « bandit d'honneur », un « misanthrope », un « agent du Kominform » alors que les hommes sont les jouets de la guerre froide et d'une colonisation de plus en plus contestée.
Morel est en fait le produit de sa captivité en Allemagne lorsqu'un camarade lui suggéra, pour oublier sa claustration, de penser « aux troupeaux d'éléphants en liberté ». Il y a aussi l'histoire des hannetons sur le dos que lui et ses compagnons de détention remirent d'aplomb pour les sauver d'une mort certaine. Un garde s'ingénia à écraser les insectes pour effacer le geste digne des prisonniers...
Sorti de l'épreuve du camp de concentration, il s'emploie à défendre une marge d'humanité au-delà du « rendement utilitaire » et de « l'efficacité tangible ». Animaux, hommes, le combat est le même.
Avec ce portrait poignant d'un homme pur sur fond de bouleversements géopolitiques, « Les Racines du ciel » fait partie de ces romans touchés par la grâce.

EXTRAITS
Il y a là une dimension de vie à sauver.
La colonisation s'est faite en partie sur les cadavres des éléphants.
Les enchères sont ouvertes pour se disputer l'âme africaine.
Ces géants malhabiles pour lesquels il ne semblait plus y avoir de place dans le monde qui s'annonçait.
Un homme qui croyait à quelque chose de propre.
L'homme lui-même allait finir par devenir un luxe inutile.
Là où il y a les éléphants, il y a la liberté...
Lien : https://papivore.net/littera..
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Une oeuvre polyphonique qui porte en elle la concaténation d'idéologies fortes et qui ne peuvent se rassembler que sous la bannière des éléphants.
Les Racines du ciel est de ces romans primés au Goncourt qui vous changent à jamais. C'est dense, complexe, brouillon ont pu dire certains critiques à l'époque, mais surtout impossible à résumer.

J'ai eu beaucoup de mal à suivre les idées et le fil de la narration au début, mais on se rend compte très vite que ce jeu, qui peut paraître brouillon, est la grande force de ce roman. Nous sommes en pleine Afrique coloniale. Les Blancs de là-bas ne veulent pas que l'Afrique change ; chacun a ses raisons. Morel est stigmatisé par les Blancs, il terrorise les Noirs, il est utilisé par le parti émergent de Waïtari. D'autres personnages satellites s'accrochent à lui et ce n'est qu'un simple roman sur le colonialisme, c'est un état des lieux sur ce qu'est devenue l'humanité après la Deuxième Guerre Mondiale.

[...]

Excepté quelques personnages comme Minna, le père Peer Quist ou le photographe Fields, personne ne comprendra jusqu'où s'élève la pensée de Morel. Il va bien au-delà de tout ça, car plus qu'une idéologie il vise une philosophie de vie.
Lien : http://biblio.anassete.org/?..
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Au milieu des années 50, en Afrique Equatoriale Française, quand Fort Lamy ne s'appelait pas encore N'Djamena, ni Fort Archambault Sarh, Morel, un ancien résistant et prisonnier des camps de travaux forcés nazis durant la seconde guerre mondiale débarque au Tchad avec dans sa serviette en cuir une pétition pour sauver les éléphants qui sont massacrés par dizaines de milliers sur le continent africain.
Ce combat écologique d'avant-garde, chargé d'une profonde symbolique humaniste, va rencontrer un immense écho auprès des opinions publiques occidentales, surtout quand Morel aura pris le maquis et lancé des raids de représailles contre les chasseurs blancs et les planteurs.
Aidé et soutenu par quelques compagnons d'aventure, Peer Qvist, un naturaliste danois de renommée mondiale, Minna, une entraineuse allemande du Tchadien, un hôtel dancing de Fort Lamy, le major Forsythe, un américain ayant combattu en Corée ; guidé à travers les forêts, la savane et le désert par Idriss, le meilleur pisteur de l'A.E.F., Morel doit cependant lutter contre tous ceux que son combat dérange. En premier lieu, le gouverneur et le gouvernement français qui, soucieux de préserver leur pouvoir colonial, craignent que son combat en faveur des éléphants ne cache une lutte politique dans le contexte de décolonisation ambiant. Waïtari ensuite, ex-député Oulé qui se sert de ce contexte pour offrir à Morel une alliance de façade pour mener un combat révolutionnaire et assouvir une ambition personnelle. Orsini, enfin, un chasseur, symbole de tous ceux qui refusent de voir en l'humain un être de première grandeur, habité d'un idéal car eux-mêmes ne se sentent pas à la hauteur de relever ce défi.

Le prix Goncourt 1956 couronne un roman d'un auteur éclectique, au foisonnement littéraire indéniable et aux préoccupations politiques et sociales prémonitoires.
Dès le milieu du XXème siècle, il y a plus de 65 ans, à une époque où le mot même d'écologie était inconnu, Romain Gary dénonce avec virulence l'atteinte à la dignité humaine au nom du profit et le danger que nous encourrons en maltraitant la Nature. Malheureusement, le message humaniste du héros des "Racines du Ciel" n'a pas vraiment été entendu. Incompris pour différentes raisons par la plupart des personnages du roman, Morel n'a pas, comme il le souhaitait, réussi à changer les comportements des hommes pour redonner à l'espèce humaine ses lettres de noblesse. Si l'on s'en tient uniquement aux éléphants, au centre du roman pour symboliser la lutte contre tous les totalitarismes qui menacent la planète, savez vous que dans les années 70, la population de ces pachydermes s'élevait à plusieurs millions d'individus. A l'aube des années 2000, les troupeaux ne comptent plus que quelques centaines de milliers de bêtes et le braconnage intensif qui se poursuit laisse à penser aux ONG en charge de la protection du plus gros animal terrestre que la communauté internationale a échoué dans cette action et qu'une espèce comme l'éléphant des forêts pourrait bien disparaitre dans les toutes prochaines années. Les safaris photo préconisés dans le roman pour satisfaire le bourgeois en quête de sensations fortes, troquant le fusil pour la caméra, tout comme l'importance donnée aujourd'hui à l'écologie à travers les différentes conférences menées par les Nations Unies pour lutter contre le réchauffement climatiques et les atteintes à la nature n'ont pas suffit à empêcher l'avènement de nombreuses prémonitions présentes dans le roman. Se sont avérés, malheureusement, au fil des années, la montée des dictatures dans certains pays africains délivrés du colonialisme et celle de l'islamisme, le problème des déchets nucléaires et le trou dans la couche d'ozone dû en grande partie au progrès industriel. Romain Gary ne s'est pas trompé non plus quand, pour étayer son propos humaniste il envisage l'Afrique comme étant le berceau de l'humanité puisque les paléontologues Yves Coppens et Michel Brunet lui ont donné raison grâce à leurs découvertes de Lucy en Ethiopie en 1974 et de Toumaï au Tchad en 2001.
Ces préoccupations politiques et sociales sont servies par un foisonnement littéraire qui fait des "Racines du Ciel" un roman d'une grande qualité mais à la construction narrative surprenante et par conséquent parfois déconcertante. Si cette particularité baroque donne à l'oeuvre un aspect vivant et rythmé, elle peut aussi rendre quelque peu difficile son appropriation par le lecteur. Ainsi le découpage en chapitres ne correspond pas forcément, comme on en a davantage l'habitude, à des ruptures narratives et au début du roman, l'histoire emprunte des chemins tortueux à travers le récit rétroactif de l'Administrateur territorial Saint Denis au père jésuite Tassin et les narrations directes des regards portés par les différents personnages sur une affaire qui reste assez mystérieuse. Les autres parties du roman sont encore plus équivoques puisqu'il n'est pas fait mention explicite que le lecteur est en train de suivre le récit de Saint Denis qui a, de plus, souvent obtenu des informations de seconde main et que plusieurs conversations entre Minna et différents personnages viennent s'y mêler. A cette complexité de narration s'ajoutent des temps relatifs à cette dernière. Si la chronologie globale est à peu près respectée, il existe cependant des anticipations et des mises en abyme de la part des différents protagonistes qui voient le monde et jugent Morel et son combat à l'aune de leur propre fonction, de leur histoire et de leur culture. Heureusement, Gary se glisse avec une grande facilité dans la peau des multiples personnages qui gravitent autour de Morel ce qui permet au lecteur d'être continuellement tenu en haleine. L'auteur utilise pour cela des techniques cinématographiques comme le flash back qui est évidemment au centre du roman mais encore, le procédé inverse qui permet les fameuses anticipations déjà évoquées des scènes à venir ou de la fin de l'histoire. Il livre ainsi au lecteur une connaissance de la psychologie des protagonistes avant qu'ils ne rentrent en action. Et ces protagonistes sont nombreux à nous dévoiler tour à tour leur propre vision de l'histoire. Parmi eux quelques uns me semblent importants comme Minna qui a du mal à exister en dehors de l'image que les hommes se font d'elle mais qui trouve dans le combat de Morel le goût de ses vraies valeurs humaines. Il y a aussi Waïtari qui ne veut plus que l'Afrique soit le jardin zoologique du monde et qui compte s'appuyer sur les opinions occidentales plutôt que sur ses compatriotes pour arriver à ses fins. Intelligent et manipulateur, il fera certainement un parfait dictateur. Habib, quant à lui, est un cynique pragmatique sans idéal et profitant de la vie sans se poser aucune question. Dubitatif et ironique tant vis à vis de Waïtari que de Morel, il est conforté dans sa conception de la nature humaine, par la trahison de Duparc, devenu chasseur d'éléphants après avoir été, au camp de travail nazi, à l'initiative de l'évasion par l'imagination en pensant à la liberté des troupeaux dans la savane, renversant tout sur leur passage. Il y a aussi Fargue, le franciscain et Tassin le jésuite, les deux ecclésiastiques qui s'opposent dans leur conception du monde et enfin il y a Morel. Morel qui est un idéaliste avec des convictions fortes et simples, une foi profonde et entière dans ses principes assortie d'une vocation de prêcheur (d'ailleurs ses compagnons ne sont-ils pas comme les apôtres, Waïtari en Judas et Minna en Marie Madeleine ?). Il est davantage défini par les réactions qu'il suscite chez les autres personnages que par la description de son propre parcours.

Alors oui, c'est vrai, "Les Racines du Ciel" se méritent. Roman à personnages multiples, narration complexe, il faut faire un effort pour se plonger dans cette oeuvre magistrale mais le message est fort et le style flamboyant. Et puis les éléphants en valent bien la peine non ?
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C'est l'histoire de Morel l'ancêtre des éléphants d'Afrique
Morel veut les sauver.
D'autres veulent donc les tuer
Certains pensent que Morel cache une misanthropie derrière cet amour pour les pachydermes.
Les américains sont persuadés que Morel est un membre du deuxième bureau quI a donc des objectifs politiques.
Mais un journaliste américain â large audience pense que non
D'ailleurs un fournisseur de zoos allemand qui a du plomb dans la fesse est d'accord.
Certains veulent faire passer Morel pour ce que d'autres ci dessus cautionnent depuis le début alors qu'ils ne le connaissent pas eux.
En plus une femme suit Morel parce qu'il faut bien quelqu'un de Berlin auprès de lui.
Sur le tard un photographe américain juif qui ne supporte pas les français et habite Porte Dauphine prend des photos.
Je crains de dévoiler le fin mot de l'histoire en disant que cela aurait commencé avec un hanneton et un poisson qui serait sorti de l'eau sans poumon - çà c'est vraiment le vrai commencement-
J'en ai probablement trop dit mais il y a encore deux trois petites choses à découvrir dans ce livre qui va rejoindre ma liste des livres pour une île déserte.
Parce que contrairement à ce que vous pourriez penser j'ai encore des choses à clarifier... Comme par exemple l'endroit où je pourrais trouver la sixième étoile.


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La marge humaine.
Voilà ce que j'ai toujours recherché à travers la littérature. Ce cri du coeur qui vous prie d'aimer encore un peu l'humanité, de croire en elle et lui laisser une chance de plus. Les Racines du Ciel est ce combat que beaucoup ont prédit comme inutile et impossible à gagner. Pourtant, Monsieur Gary a su poser sur papier cet espoir fou, à travers d'imposants animaux, que l'Homme n'est pas encore tout à fait perdu.
Dressant à la fois un portrait négatif et positif de l'être humain, ce roman dépeint le combat insensé d'un homme qui défend les éléphants, symbole de la liberté, et paradoxalement, de la marge humaine. Cette part importante de l'humanité que l'on doit de manière primordiale protégée. Car cette marge ne se présente pas que sous une seule forme. Les Racines du Ciel sont innombrables et peuvent se rencontrer à travers une prostituée, un chasseur, un loup solitaire, un idéaliste, un ancien militaire... Il suffit d'y croire. Et se battre pour cette marge, car malheureusement, elle disparaît de plus en plus, et elle n'est pas assez forte pour se défendre toute seule.
Les Racines du ciel laisse tout simplement transparaître le sublime qu'on a tous en nous à travers un récit polyphonique, témoin de la légende d'un homme, qui tout comme Romain Gary, n'a pas su baisser les bras.
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On croit souvent à tort que la protection de l'environnement est l'affaire de notre siècle. Pourtant, nombreux sont ceux à avoir tiré la sonnette d'alarme bien avant l'heure : parmi eux, Romain Gary, particulièrement en avance sur son temps, s'intéresse au sort des éléphants d'Afrique, tués pour leur viande, leur peau et leur ivoire. Dans Les Racines du ciel, paru en 1956, l'écrivain français expose l'affrontement captivant d'une humanité en désaccord : d'un côté, les férus de chasse occidentaux, assoiffés par le sang et l'argent ; de l'autre, des indigènes en quête d'un peu de protéines à ajouter à leur régime alimentaire ; au centre, un petit groupe d'activistes humanistes prêt à prendre les armes pour défendre ses convictions. Dans ce roman à plusieurs voix, Romain Gary suit plus particulièrement le parcours de Morel – idéaliste illuminé pour certains, sauveur de l'humanité pour d'autres -, qui considère que la défense des animaux est bien plus une question d'éthique, de conscience et de dignité qu'un problème à mettre entre les mains des politiciens. D'un style à la fois élégant et percutant, d'une rare densité car brassant également des thèmes d'Histoire, de géopolitique et de religion, analysant les profondeurs de l'âme et de la solitude humaines, Les Racines du ciel est un ouvrage universel, brûlant d'actualité, qui a de quoi inspirer tous les grands écologistes convaincus de notre temps.
Lien : https://airsatz.wordpress.co..
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C'est du lourd et du précieux, un concentré d'humanité, un livre fou qui porte l'espoir et la confiance en l'homme malgré toute sa veulerie et sa dégueulasserie. Croire, et croire encore en l'homme seul, à la puissance de l'esprit, à la résistance du corps. C'est un roman halluciné, une déclaration d'amour à l'humanité. Des sentiments qui fusent dans tous les sens, des personnages aux nuances infinies, des paysages peints avec tendresse, et des éléphants, des éléphants partout ! C'est dur, c'est fort, c'est beau, c'est triste, c'est rageant, c'est drôle ; il fallait oser, Romain Gary l'a fait !
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