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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La promesse de l'aube, La vie devant soi, Les racines du ciel, Gros Câlin, La nuit sera calme, pour ne citer que les plus célèbres romans de Romain Gary, et puis l'ultime et symbolique roman : Les Cerfs-volants, publié début 1980 avant son suicide le 2 décembre de cette même année - testament littéraire en quelque sorte où j'ai retrouvé avec plaisir tous les thèmes chers à l'écrivain : l'amour bien sûr - toujours - la fraternité, la liberté de penser et d'agir, le pouvoir de l'imagination et l'espoir en l'avenir, malgré tout.

Une magnifique histoire d'amour donc, pendant une époque difficile, de 1930 à 1945, des personnages attachants, hauts en couleurs, du suspense et bien sûr le ton Gary, subtil liant, alliance d'humour et de sérieux, combiné à sa flamboyante imagination.
Le tout permet à l'auteur, pilote de formation, compagnon de la Libération, de parler une dernière fois de la guerre, d'un ton qui sonne juste et vrai, ce qu'il a d'ailleurs fait dans plusieurs ouvrages durant toute sa vie, pour dénoncer inlassablement la connerie humaine et l'absurdité de la guerre, tout en affichant une confiance en la vie et en l'amour, la grande quête de sa propre vie.

Tout commence en 1930, par une rencontre en Normandie entre un jeune normand Ludo, le narrateur âgé de 10 ans, et une toute jeune, belle et fantasque aristocrate polonaise, Lila en vacances dans la région. Leur amour prend de l'ampleur, se déploie entre France et Pologne, avec naturellement des hauts et des bas, à l'image des trajectoires mouvementées et majestueuses des célèbres et originaux cerfs-volants d'Ambroise Fleury, l'oncle et tuteur de Ludo, beaux symboles de résistance et de liberté dans le ciel obscurci de la seconde guerre mondiale.

Puis...puis, je vous encourage à attraper une ficelle d'un des cerfs-volants d'Ambroise, le résistant revenu d'Auschwitz, si par chance l'une d'elle passe à proximité de vous, levez les yeux vers le ciel, prenez de la hauteur, et laissez-vous entraîner par cette histoire qui trouvera, j'en suis convaincue, de multiples résonances en vous, tant Gary parle à l'âme et à l'imagination de son lecteur.

" Et alors, on fait de sa vie, de ses idées et de ses rêves ... des cerfs-volants. "
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L'ultime roman de Romain Gary, l'ultime merveille d'un écrivain passionné dont la lecture est un saisissement à chaque ligne, dont l'écriture pénètre au coeur de l'âme du lecteur pour y laisser un trace indélébile, celle des livres inoubliables pour la vie.

Dans ce texte passionnel, l'auteur explore une dernière fois les tréfonds de l'humain dans un sujet difficile qu'il maîtrise parfaitement, où se mêlent l'amour, la guerre, l'humain et l'inhumain, l'honneur et la honte, les traits d'humour toujours bien ajustés.

L'histoire qui unit et sépare Ludo et Lila débute en Normandie aux début des années 30 alors que les prémisses du tumulte de la guerre se font déjà ressentir. D'un amour d'adolescents, qui reste le fil conducteur de ce roman d'amour et d'espérances, d'un imaginaire foisonnant, Romain Gary déroule une trame gigantesque où le meilleur va côtoyer le pire, où la résistance aux nazis tient une grande place, avec même une relative indulgence pour ceux de la dernière heure qui n'ont pas été portés par le même vent que celui qui hisse les cerfs-volants au plus haut des cieux.

Ces cerfs-volants, historiques, humoristiques dont le concepteur, Ambroise, oncle de Ludo le résistant, affiche un optimisme permanent et un défi à l'occupant puisqu'il en hissera quelques-uns portant des étoiles jaunes, sont à la fois le titre magnifique du livre par leur évocation de liberté et les héros au bout des ficelles tenues par petits et grands.

Ambroise est le parallèle d'un autre personnage, Marcellin, chef trois fois étoilé, qui veut porter et maintenir la grande cuisine française là où elle doit selon lui tenir son rang, quitte à donner l'impression de vouloir plaire à l'ennemi. Mais, pour Marcellin, chacun est un homme ou une femme et l'épisode d'anthologie de l'aboutissement de sa relation avec un général allemand est un très grand moment du roman.

Et puis, ce livre évoque la Pologne, l'aristocratie et le peuple, les comtesses et les prostituées, la vie et la mort, deux derniers thèmes chers à l'auteur qui choisira de quitter la première peu de semaines après la publication de ce beau roman.

Lire les cerfs-volants, c'est s'imprégner de tous les mystères de l'humain, de la sagesse et de la folie, de l'espoir et du renoncement, le tout servi par une écriture exceptionnelle qu'il faut absolument parcourir et, fatalement, aimer.

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Romain Gary est un styliste de la prose qui fait des étincelles.

Il parle avec grâce de l'attente, des doutes, de désespoir et d'espoir.
Il construit une aventure humaine avec des personnages forts à travers lesquels il peut exploiter des thèmes qui lui sont chers tels la prise de conscience sociale, l'appel à l'imagination et l'appel à la résistance.

Dans une langue sans aspérités ni effets de style, l'auteur nous offre une dernière oeuvre qui interroge sur la place que nous accordons à l'amour dans nos vies, de la passion amoureuse qui remplace la raison, ainsi que de l'apprentissage de la liberté.
La guerre y occupe également une place fondamentale, les souffrances et privations d'un peuple envahi permettent de révéler ce qu'il y a de meilleur en chacun et de découvrir le vrai sens de la fraternité.

On n'en parle pas de malheur avec de grandes phrases. Romain Gary en écrit des courtes mais déchirantes. Lorsque le destin abat ses mauvaises cartes c'est tout un monde qui en tremble. Son histoire est saupoudrée d'ironie avec une écriture poétique et profonde. Les cerfs-volants sont une allégorie de rêves de l'invisible et d'espoir.

Emouvant, possédé et lumineux !


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Je rêvais depuis longtemps de revenir dans l'univers de Romain Gary. L'occasion vient de m'en être donnée grâce à une lecture commune. Ce fut donc Les cerfs-volants, son dernier livre paru l'année où il décida de quitter cette vie, acte ultime de liberté nous disent certains philosophes, et quelle étonnante facétie de le faire quelques temps après avoir évoqué cet objet enchanteur, vaisseau léger qui s'enivre d'azur et de vent comme si le reste ne devait plus exister... !
Les cerfs-volants, c'est tout d'abord la rencontre éperdue avec un poète du quotidien, Ambroise Fleury, dit le facteur « timbré ». Quand il ne distribue pas le courrier, il fabrique dans son antre secrète des cerfs-volants de toutes formes, dotés de multiples images, qu'il fait déployer plus tard dans le ciel de Normandie. Il est même devenu célèbre dans le monde entier.
J'ai adoré ce personnage original, a priori fantaisiste. C'est bien connu, certains facteurs ont beaucoup de fantaisie pour notre plus grand bonheur. Pensez au facteur Cheval, par exemple... Bref ! Ambroise Fleury est un poète comme je les aime, mais parce qu'il est aussi un rebelle, un rêveur illuminé, un objecteur de conscience, un pacifiste convaincu. Ah ! À propos de pacifisme, j'oubliais de vous dire, le roman débute en 1930...
Et puis, Ambroise Fleury a recueilli depuis longtemps sous son aile protectrice son neveu orphelin, Ludo, qu'il éduque comme il peut en lui transmettant ses idées et ses rêves. Bientôt on découvre que Ludo est doté d'une mémoire prodigieuse, c'est parfois bien utile, mais d'autres fois cela n'a pas que du bon... de cette mémoire qui ne lâche jamais prise, Ludo saura en faire un puits d'imagination...
Et puis un jour, à l'âge de dix ans, Ludo rencontre la petite Lila Bronicka, d'une famille d'aristocrates polonais perdus dans leur univers décadent et théâtral. Il en tombe éperdument amoureux... Ah, comme elle m'a agacé cette Lila... ! Mais je pense que j'aurais fait comme lui...
J'ai aimé ce roman, sa poésie, sa fraternité, son ironie mordante qui fait mouche...
Romain Gary, c'est le panache d'un autre temps, un panache peut-être un peu désuet, mais qui pose des mots avec tant d'élégance. Romain Gary, c'est un style...
J'ai aimé les cerfs-volants qui nous disent de monter haut et loin, vivre notre vie sans retenue. Je me suis enivré de la grâce et du mouvement qu'ils offrent, comme les pages de ce livre.
Plus tard, Lila et Ludo grandiront dans le fracas de la guerre... Pas forcément ensemble... La mémoire de Ludo et son imagination, convoquant Lila dans la pensée, seront ses premiers actes de résistance...
J'ai aimé voir certains personnages de ce roman se transformer peu à peu sous l'écriture de Romain Gary, chacun dans cette guerre effroyable fera son choix, ballotté comme il peut... Les aspérités de certains deviennent moins rugueuses et le côté lisse d'autres laisse brusquement entrevoir des interstices par où s'échappe une lumière faite de rêves et de désillusions.
Les années trente se déplient avec des bruits d'armées et de bottes noires au loin, un horrible moustachu qui vocifère là-bas, qu'on a eu tort de prendre au début pour un piètre caporal... L'Europe bascule peu à peu dans cette tragédie terrible. Heureusement, la Normandie semble si calme, si loin, havre de paix encore protégée de tout... Comment imaginer qu'un jour ces paysages se transformeront en boue sous un déluge de bombes...
Et puis il y a les cerfs-volants... Parfois ils prennent la physionomie De Voltaire, Rousseau, de Montaigne... C'est un acte de liberté et d'insoumission posé dans le ciel... Mais que peut faire une armée fragile de cerfs-volants aux allures humanistes face au désordre du monde et à la barbarie qui monte ?
Les cerfs-volants nous rappellent cruellement que la barbarie ne fut pas toujours du côté de l'occupant, surtout en fin de guerre lorsque l'épuration révélera les comportements choquants des résistants de la dernière heure.
La lecture de ce roman m'a rappelé un pan de mon histoire familiale, ma mère encore adolescente, dix-sept ans, éprise d'un jeune résistant dont elle tomba enceinte et qui fut fusillé par la Gestapo trois jours avant la naissance de soeur ainée...
Lisant les pages de ce roman, découvrant l'histoire de Ludo et Lila, j'ai pensé alors à eux deux, à cette histoire à la fois intime et universelle... Ils avaient sans doute à quelque chose près le même âge. Ah ! Comme j'aurais aimé que Roman Gary écrive leur histoire...
Comme celle de Ludo, je voudrais que ma mémoire demeure infaillible lorsque je pense à eux.
Le ciel est tellement immense, aussi immense que les seules pages d'un livre. Les cerfs-volants est un roman d'amour qui traverse cet azur et laisse derrière lui une magnifique lumière par-delà les guerres, les grillages et les barbaries...
Ce dernier livre de Romain Gary, c'est un peu comme le fil tendu d'un cerf-volant qui brusquement va se rompre un certain deux décembre 1980, l'âme d'un écrivain tirant sa révérence vers le ciel éthéré, toujours si haut toujours plus loin...
Merci à vous deux, Caroline (Caro29) et Sandrine (HundredDreams), cette lecture commune fut une joie dans l'échange très riche, elle est en harmonie avec l'esprit de fraternité qui habite ce roman.
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Il n'est jamais trop tard pour lire et découvrir une telle oeuvre. Un coup de coeur absolu. Je n'en reviens pas de la beauté de ce texte ! Pourquoi avoir tant attendu pour le découvrir ?
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Cette année l'item mystère du challenge multidéfis m'envoie découvrir un auteur publié dans les éditions la Pléiade. Je cherche, hésite entre Gary (ce livre que j'ai) et Jack London (Martin Eden que j'ai aussi). J'hésite et puis mon mari a l'argument massue : il a adoré ces "Cerfs-Volants". Ma foi Martin Eden ce sera pour plus tard.
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Je me lance dans les "Cerfs-Volants". Au début j'ai du mal à accrocher à l'histoire mais pour une raison totalement incongrue : le style est tellement somptueux que je m'arrête presque à chaque phrase, pour savourer la beauté de la forme, oubliant le fond (au fait il parlait de quoi déjà ?). Bref une lecture assez longue mais essentiellement pour profiter de ce français exceptionnel, si beau, si savoureux, parfois pétillant, souriant, parfois plus rude. (NB : ce n'est pas juste d'être capable de parler ainsi une langue qui n'était même pas sa langue maternelle, là j'ai presque honte de ma critique si fade....)
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L'histoire aussi est très belle. Ludo, un jeune Normand, Lila, une jolie aristocrate polonaise. L'histoire commence avant la seconde Guerre Mondiale. Un livre d'amour, d'espoir. Mais aussi très noir dans certaines phrases (ce livre est le dernier de Gary, écrit avant son suicide).
Un livre touchant que j'ai déjà conseillé à mes filles. Une très jolie histoire. Un style magnifique. Des "cerfs-volants" symbole de l'espoir. Mais aussi des remarques qui auraient pu être cyniques, qui s'avèrent tristement réalistes telles : "Il y a longtemps que toute trace de haine pour les Allemands m'a quitté. Et si le nazisme n'était pas une monstruosité inhumaine ? S'il était humain ? S'il était un aveu, une vérité cachée, refoulée, camouflée, niée, tapie au fond de nous-mêmes, mais qui finit toujours par resurgir ? Les Allemands, bien sûr, oui, les Allemands... C'est leur tour, dans l'histoire, et voilà tout. On verra bien, après le guerre, une fois l'Allemagne vaincue et le nazisme enfui et enfoui, si d'autres peuples, en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, ne viendront pas prendre la relève".
OK c'est un peu rude le matin. Mais croyez-moi si vous n'avez pas lu l'histoire de Ludo et Lila, allez-y n'hésitez pas, faites le voyage ! Car si certaines phrases sont empreintes de tristesse sur la nature humaine, l'espoir domine, illumine ce roman.
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Je ne regarderai plus jamais volés les cerfs-volants dans le ciel de Cabourg comme auparavant!
Ce roman est sublime, tellement beau que j'ai peur de l'abimer en émettant une critique dont les mots ne peuvent retranscrire l'intense émotion que j'ai ressentie à certains passages de ma lecture. J'y ai retrouvé l'écriture délicate, teintée d'humour mais aussi de beaucoup de tendresse, de gentillesse de Romain Gary.
Les cerfs-volants nous accompagnent tout au long de ce récit, ils deviennent l'expression du dialogue intérieur du facteur, Ambroise Fleury, voire le reflet des états d'âmes d'une certaine France (je pense au cerf-volant à l'effigie de Pétain retenu par un allemand, à l'interdiction de faire voler les cerfs-volants qui ne peuvent plus toucher le bleu du ciel mais restent figés au sol : une manière d'interdire toute élévation de l'esprit). Ambroise Fleury, oncle et tuteur du narrateur, passe aux yeux de tout le monde pour un gentil illuminé avec ses cerfs-volants à l'image de Rousseau, Montaigne, Jaurès, Hugo. Son neveu, Ludovic dit "Ludo", dix ans, rencontre son premier amour et unique amour, Lila, jeune aristocrate polonaise qui passe ses vacances avec ses parents dans leur manoir. Nous sommes au début des années trente mais la tragédie de la guerre s'approche. Ludo et Lila vont se trouver séparer par les évènements. La mémoire impressionnante de Ludo sera comme le fil qui retient le cerf-volant, un lien unique qui les reliera malgré le temps et les épreuves - rien ne leur sera épargné - il y aura des lâcher-prises et des retours mais jamais de rupture : la noblesse de leur coeur vaincra. Dans ce roman, il y a toute une palette de personnages truculents et des scènes cocasses mais c'est toujours raconté avec beaucoup de bienveillance.
Le livre ouvre sur "A la mémoire" : Ce cher Ambroise rejoindra le pasteur André Trocmé à Chambon-sur-Lignon pour aider les protestants des Cévennes, et bien sur, ce fou de Ludo participera activement à un réseau de résistance.
Le livre parut à la veille du 40ème anniversaire du 18 juin et le mardi 2 décembre 1980, Gary se suicidait. J'ai essayé d'entrevoir une justification à son acte : je n'ai rien relevé si ce n'est, comme dans ses autres romans, cette douleur qui transparait dans ses écrits devant la monstruosité de la guerre, l'impossible rêve de fraternité, l'absence du "Namasté" du yogi qui se situe au niveau du coeur.
J'ai retrouvé dans le livre de Myriam Anissimov "Romain Gary, le caméléon" page 626 :
"Gary expliqua le 15 juin à Pierre Macaigne qui lui demandait si les cerfs-volants du facteur Fleury étaient de simples allégories : "C'est le sort des belles idées qui se cassent la gueule dès qu'elles touchent terre"
Plus bas, il a ajouté cette phrase qui m'a interpelée "Les cerfs-volants était né dans le même climat qu'Education européenne. Tous deux étaient des livres de combat".
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Je referme cet ouvrage de Romain Gary : Les Cerfs-volants.

Mémoire. Amour. Espoir. Quelle apothéose !

Depuis que j'ai découvert cet auteur, chacun de ses ouvrages est pour moi une étreinte. Je me sens en harmonie avec sa pensée, sa philosophie sans dieu, sa distance avec le bien et le mal, ce ressenti intime qu'il sait insinuer en moi au travers de ses mots et trouver mon adhésion.

Ce roman est certes une histoire d'amour. C'est surtout une preuve d'amour qu'il adresse à qui voudra la cueillir. Ultime offrande. De la part de celui qui sait mais ne juge pas. Romain Gary connaît la part inhumaine qui habite l'humain. La vie est à ses yeux une souffrance qui prend figure humaine. "Son visage me parut familier et je crus d'abord que je le connaissais, mais je compris aussitôt que ce qui m'était familier, c'était l'expression de la souffrance".

Il aime, mais a des scrupules à être aimé quand un autre nourrit la même aspiration et s'en trouve délaissé. L'univers féminin est son refuge. Les femmes, à commencer par sa mère, ont toujours été sujet d'admiration pour lui : "Notre père qui êtes au ciel, mettez le monde au féminin !"

Ami qui trahit, ennemi qui épargne, rien n'est définitivement bon ou mauvais. Il conserve le fol espoir de voir l'homme changer. Il le sait esclave de ses instincts. Il voudrait le voir se satisfaire d'un cerf-volant qui "le tirerait vers le bleu". Une structure fragile qu'un souffle de vent arrache à la terre, comme un cri silencieux lancé au ciel pour dire aux hommes que l'essentiel est ailleurs.

Un livre de Romain Gary, c'est comme une respiration dans une atmosphère de convoitise et de préjugés. Mais quoi qu'il arrive il n'en veut pas aux hommes. Ils ne sont pas responsables. C'est comme ça. C'est le système, dans lequel il implique le grand ordonnateur des choses de ce monde, sans chercher à disserter sur sa nature.

On le savait libre et distant, presque froid, dans les cerfs-volants, le voilà épris et romantique : "Je passai mes dernières heures avec Lila. le bonheur avait une présence presqu'audible, comme si l'ouïe, rompant avec les superficies sonores, pénétrait enfin les profondeurs du silence, cachées jusque-là par la solitude."

La guerre offre un contexte favorable au dévoilement des personnalités. On détecte alors entre tous ces personnages une connivence pour délivrer un ultime message. Ambroise qui se détourne du monde en regardant ses cerfs-volants, Julie Espinoza, le général von Tiele, Hans, Bruno, Marcelin Duprat, Lila bien sûr : ne vous dressez pas les uns contre les autres, la vie donne suffisamment d'occasion de souffrir.

Mais ce point final. Quand on pense que c'est le dernier. Peut-être prémédité ? Posé là derrière un mot, alors qu'il y en aurait eu tant d'autres à crier à la face du monde avant de rejoindre les cerfs-volants dans le ciel.


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En cette période estivale, il en est certains qui partent vers la mer, d'autres vers la montagne. Peut-être quelques-uns se décident-ils pour un endroit exposé au vent, pour y étrenner un cerf-volant et retrouver au bout de sa ficelle une part d'enfance, de candeur et de poésie. Aussi joli et sophistiqué serait-il, cet objet volant ne pourra cependant jamais rivaliser avec la fantaisie et la symbolique de ceux construits en 1930 par Ambroise Fleury, le « facteur timbré » de Cléry, Normandie.
Chez les Fleury, on a la mémoire absolue, un grain de folie et une infinie capacité de résistance à l'adversité. La ration de survie indispensable alors que s'annonce la deuxième guerre mondiale.
Ludo, le narrateur, est le neveu et le pupille d'Ambroise depuis la mort de ses parents. En 1930, il n'a que dix ans, mais cela ne l'empêche pas de tomber amoureux à vie de Lila, toute jeune aristocrate polonaise en vacances dans la région. Folie, disais-je... Ce jour-là, ils ne se parlent que quelques minutes, mais Ludo reviendra, tous les jours à la même heure, sur le lieu de cette première rencontre, dans l'espoir de revoir Lila. Il ne la reverra que quatre ans plus tard. Puis s'en vient la guerre, ses déplacements forcés, ses longues séparations, ses retrouvailles. L'image de Lila ne quitte jamais Ludo, et même si cela le rend un peu fou aux yeux des autres, elle lui permet de surmonter les épreuves. Cette mémoire...
Grain de folie et résistance, caractéristiques de quelques personnages inoubliables de ce roman. Pas seulement Ambroise, qui continue à fabriquer ses cerfs-volants symboles de liberté, d'espoir, de résistance quand il les peint à l'effigie de De Gaulle au nez et à la barbe de l'Occupant...
Que dire de Duprat, le chef du Clos Joli, restaurant étoilé, qui, au risque de passer pour un collabo, n'hésite pas à régaler la fine fleur de la Gestapo à sa table, brandissant la haute cuisine française comme un étendard de résistance ultime. Que dire encore de Julie, la mère maquerelle juive, et de la comtesse Esterhazy, qui ont oublié d'avoir froid aux yeux, en mettant plein la vue aux Allemands pour mieux les mystifier...
Que dire qui n'ait déjà été dit sur ce roman sublime...

Je n'ai jamais lu un roman dans lequel tout sonne aussi juste, les mots, les phrases, les sentiments. Cette scène extraordinaire chez le coiffeur...
Il n'y a pas les Gentils Français d'un côté et les Méchants nazis de l'autre, il y a des faux frères qu'on enverrait bien se faire pendre, et des meilleurs ennemis avec qui on trinquerait dans la cave du Clos Joli. Il y a de la fraternité à vous réconcilier avec le genre humain, de l'amour à vous faire chanter à tue-tête, de l'humour à vous fendre le coeur, des émotions à vous mettre les larmes au bord des yeux. de l'espoir, infiniment, même s'il n'y a que l'humain pour être inhumain et même si Gary, optimiste désespéré, s'est suicidé quelques mois après la parution de ce dernier chef-d'oeuvre.
Et puis il y a la mémoire : ne jamais oublier de ne pas lâcher la ficelle de la liberté et du rêve, de peur qu'ils se perdent seuls dans la poursuite du bleu... Et puis surtout se souvenir du Chambon-sur-Lignon.

A la rentrée des classes en septembre, il faudrait proposer, dans l'enseignement public obligatoire si cher à l'auteur, des ateliers de fabrication de cerfs-volants...
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Les cerfs-volants de Romain Gary sont sa dernière bouteille à la mer. Avant de mettre fin à ses jours, avant de tirer sa révérence, avant de ranger définitivement sa plume magique..

Cela seul mériterait qu'on s'attarde à partir" à la poursuite du bleu", derrière ces cerfs-volants-là , fermement tenus par leurs ficelles au milieu des tempêtes de l'Histoire et des sautes de vent facétieuses - rafales d'émotion ou bourrasques d'humour...

La plume de Gary est brillante, son ironie vigoureuse, mais la tendresse et l'empathie sont absolues, pour les grands héros comme pour les petits minables, sans distinction.

Gary, avant de quitter ce monde, lâche ses cerfs-volants de fantaisie et de fraternité comme un cadeau ultime, amical et optimiste, un dernier éclat de son talent, solaire et généreux , un beau geste de courage et un dernier hommage à l'humanité...

Qu'il s'agisse d'Ambroise Cléry, le fabricant de cerfs-volants, de Duprat, le patron du trois étoiles du Clos Joli, de Ludo, le héros, incollable calculateur et amoureux fou, fidèle et lumineux, de Lila, aristocrate polonaise en quête d'elle-même, de Julie, fausse Gräffin et vraie pute, tous les personnages ont un grain..Tous ont une vraie grandeur aussi, taillée par leur folie-même.

La folie est ce qui, pour Gary, sauve l'humanité de la pesanteur d'être au monde..

Le panache, cher à Cyrano, est la chose du monde la mieux partagée dans l'univers de Gary : on le trouve aussi bien dans l'obstination d'un restaurateur à composer une panade aux trois viandes sous les bombes du débarquement que dans l'abnégation d'un pianiste virtuose qui, ayant perdu sa main au combat, met sa dextérité et sa prothèse au service de la résistance londonienne.

Panache aussi dans la bravade insolente de cette jeune tondue de la libération, qui revient chez son "coiffeur" se faire raser une nouvelle fois le crâne, le jour de ses noces.

J'ai retrouvé avec délices le verbe étincelant de l'auteur de la Promesse de l'Aube, sa tendresse et son humour.

Et, avec quelle émotion, sa toute dernière phrase, en hommage aux héros cévenols du Chambon-sur-Lignon. Merci à Levant de m'avoir conseillé cette belle lecture qui donne envie d'aimer les hommes.
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J'ai la gorge bloquée. Comment Romain Gary a-t-il pu nous livrer une dernière oeuvre aussi optimiste, avec des personnages aussi courageux, traversant toutes les épreuves, toutes les séparations, toutes les peurs, nous donnant les clés pour vivre heureux, avec une fin qui donne le goût de croire en l'homme, de croire en l'amour rédempteur, de croire que les guerres auront une fin, .... et s'enlever la vie quelques mois plus tard.... Comme s'il avait essayé de se convaincre lui-même et hélas, échoué... Lisez les cerfs-volants, ils vous feront du bien, c'est une histoire magnifique, le point d'orgue exceptionnel d'une oeuvre riche et foisonnante.
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