Ce roman de
Laurent Gaudé est petit par le nombre de pages (182) mais mémorable. Une succession de courts paragraphes qui donnent en cinq chapitres la parole à des personnages différents, des soldats de la première guerre mondiale, pour nous donner à entendre, près d'un siècle plus tard, l'horreur de la guerre des tranchées.
Il est intitulé "
Cris" car l'ouïe est le sens le plus sollicité: le bruit des obus, le crépitement des fusils, les hurlements des hommes qui souffrent et qui meurent, les ordres criés par les officiers, bref le cri de la guerre, et , paradoxalement, les hommes assourdis par tout ce vacarme. de la même façon qu'ils ne voient rien ni personne lorsqu'ils chargent, ils n'entendent plus rien, ils avancent.
Ce qui compte dans les tranchées et sur le champ de bataille, ce sont les camarades: on prend soin les uns des autres, on veille sur chacun, on s'épaule, on ne se quitte pas.
Ce ne sont que des phrases courtes, des indépendantes, ce qui évoque pour moi le rythme des coups de fusils comme un staccato qui percute, comme le "bruit crépitant de la mitraille" (p.152).
Laurent Gaudé n'aime pas écrire sur la vie banale, il aime le tragique, notamment l'immigration, et il sait bien décrire la peur, une peur si intense que les hommes aimeraient devenir fous, comme Barboni, pour ne plus avoir peur. Si les obus qui tombent dans les tranchées terrorisent les poilus, le pire est à venir lorsque ceux-ci s'arrêtent: le corps à corps commence alors, baïonnette au fusil. Seuls les
cris peuvent leur donner la force de continuer à avancer, voire de marcher vers la mort pour grand nombre d'entre eux.
Ainsi donc le lecteur va entendre toutes sortes de
cris en lisant ce livre:
cris d'effroi, de peur,
cris pour s'encourager,
cris de folie,
cris de souffrance. Comme des animaux, il n'ont plus de langage articulé: ou bien ils hurlent ou bien ils se cloîtrent dans le mutisme absolu. Il n'y a donc pas de dialogues dans ce roman, juste une succession de monologues, car chacun est seul face à la mort tandis que le lecteur est face à l'horreur.
Mais ces
cris sont signe de vie: tant que les soldats crient, c'est qu'ils ont encore un élan vital et qu'ils ne sont pas encore morts.
Même la Terre souffre: elle est mutilée et gardera longtemps les traces de l'horreur, de la mort. Même elle semble crier.
Pour laisser le lecteur reprendre son souffle, l'auteur a laissé le soldat Jules partir à Paris en permission quelques jours. Ces moments-là montrent à la fois la vie et l'oubli. Ceux qui sont loin du front n'imaginent même pas le carnage; Jules est alors choqué par ce qui semble être de l'indifférence. Pire encore, il se fait lapider car les civils le prennent pour un déserteur qui estiment que sa place est au front!
Je ne peux que vous recommander cette lecture puissante, ce plaidoyer contre la guerre: comment peut-on laisser faire une telle horreur?