Je vous ai parlé récemment du court essai, ou pamphlet, de
Régis Debray : L'Europe fantôme paru dans la nouvelle collection Tracts chez Gallimard. le philosophe y présentait brillament une vision sombre de l'Europe, sans identité, sans culture commune, et fruit d'un projet libéral d'influence atlantiste, pour ne pas dire américaine.
J'avais découvert ce texte de
Régis Debray dans l'émission Livres & Vous sur Public Sénat, dans laquelle sa vision était confrontée, avec intelligence et sans polémique stérile, avec celle que
Laurent Gaudé dévoile dans son dernier ouvrage :
Nous l'Europe, banquet des peuples.
Je connaissais
Laurent Gaudé comme romancier, plutôt très talentueux d'ailleurs. J'avais notamment beaucoup aimé ses romans
Pour seul cortège,
La porte des enfers ou le soleil de Scorta, chaque fois dans des univers différents où il parvenait pourtant à nous faire entrer avec un style plaisant et porteur.
Cette fois,
Laurent Gaudé nous propose un texte atypique, un long poème dédié à l'Europe, à son Histoire, à son actualité et à l'avenir qu'il appelle de ses voeux.
" L'Europe, l'ancienne, celle d'un Vieux Monde bouleversé par la révolution industrielle, et l'Union européenne, belle utopie née sur les cendres de deux grandes guerres, sont l'alpha et l'oméga de cette épopée sociopolitique et humaniste en vers libres relatant un siècle et demi de constructions, d'affrontements, d'espoirs, de défaites et d'enthousiasmes. Un long poème en forme d'appel à la réalisation d'une Europe des différences, de la solidarité et de la liberté. "
J'aime l'idée d'avoir découvert en même temps les deux livres de
Régis Debray et de
Laurent Gaudé. le débat d'idées entre les deux auteurs auquel j'ai assisté devant mon écran de télévision se prolonge parfaitement dans leurs ouvrages respectifs. Je pourrais même dire que l'un répond à l'autre, où en tout cas qu'à deux ils forment les deux faces d'une même médaille.
Là où
Régis Debray développait une vision pessimiste de la construction européenne, de son évolution et de son avenir,
Laurent Gaudé prend le parti d'assumer son idéal européen, sans nier les échecs de l'Union Européenne telle qu'elle existe aujourd'hui.
Pour cela, il revient d'abord dans plusieurs chapitres sur l'Histoire du continent européen et en particulier de la conscience d'une Europe en tant que continent. Il place le point de départ en 1848, lors du Printemps des révolutions où les peuples européens sont sortis dans les rues, presque unis ou en tout cas inspirés les uns par les autres, pour mettre à terre les monarchies qui les gouvernaient.
Laurent Gaudé déroule ensuite le récit des événements et des troubles qui ont secoué le continent : la révolution industrielle, présentée comme la mère de bien des maux de notre société contemporaine, les deux grands guerres mondiales nées en Europe, la construction européenne sur un socle économique masqué derrière un projet de paix, l'élargissement suite à la chute de l'Union Soviétique, et les guerres de Yougoslavie qui ont enflammé les Balkans, contredisant l'idée que la construction européenne garantissait la paix sur le continent.
Enfin, l'auteur dresse un bilan plus que contrasté de l'Union Européenne, qui aurait oublié à la fois les peuples qui la constituent et ses valeurs humanistes. Il lance un vibrant appel à l'éveil des peuples, qui devraient selon lui se ressaisir de la question européenne, de son projet et de son idéal, pour ne pas laisser leur destin commun être confisqué, que soit par des technocrates ou par des nationalistes.
Je ne sais pas si je suis totalement d'accord avec tout le propos de
Laurent Gaudé dans ce livre, mais je l'ai en tout cas trouvé passionnant. le style, entre poème et essai, est agréable. Sans angélisme,
Laurent Gaudé propose sa vision d'une Europe en échec mais qui peut retrouver son aura en se réconciliant avec ses valeurs fondamentales : l'humanisme.