Alexandre fut Grand en repoussant les frontières de son Empire là où aucun homme ne s'était aventuré jusqu'à présent, aujourd'hui il s'écroule en plein banquet à Babylone et est mourant.
Avec lui, c'est l'Empire qui agonise, avant les inévitables déchirements entre ses amis d'hier qui deviendront les ennemis de demain et se battront tels des charognes pour cet Empire si durement acquis.
Au milieu de cette fratrie masculine et guerrière, il y a Dryptéis, vivant désormais recluse du monde, que l'on vient pourtant chercher pour qu'elle amène avec elle sa grand-mère, seule personne capable de prédire la vie ou la mort à Alexandre : "C'est l'Empire. Il ne me laissera jamais en paix. Il fait mine de m'oublier, puis me reprend, joue avec moi sans cesse, où que je me cache, du bout de la patte, avec la cruauté d'un chat. Je ne m'appartiens pas.".
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Pour seul cortège" est un livre choral mêlant plusieurs voix : celle d'Alexandre qui même mort continuera à parler à ses proches, de Dryptéis en tant que figure féminine du récit, d'Ericléops en fidèle compagnon d'Alexandre prêt à l'ultime sacrifice pour servir ce dernier.
Alternant les points de vue et de narration, ce récit se lit d'une seule traite tant il est animé par un souffle qui pousse le lecteur à avancer, tel le cortège funéraire de pleureuses d'Alexandre.
Son avancée est lente et pourtant il y a beaucoup de rythme dans ce récit, particulièrement à travers le regard du personnage de Dryptéis présent du début à la fin, femme prise entre deux feux et partagée entre son devoir de mère et celui pour l'Empire : "Le convoi progresse avec une lenteur d'insecte. Les femmes pleurent toute la journée, le regard dans le vide, comme en transe. Dryptéis se laisse bercer par leurs voix. Elle essaie de se concentrer sur l'idée qu'elle est là pour disparaître. Elle se fond dans la foule et elle sait que c'est le meilleur endroit pour se dissimuler aux yeux du monde. Elle n'est plus rien. Elle accepte d'être une pleureuse pour mieux semer l'Empire.".
Alexandre lui aussi est tiraillé par sa conscience guerrière et son corps qui le lâche, il lutte et résiste à la mort, il ne sait pas mourir, il ne veut rien lâcher tel le guerrier et le conquérant qu'il est, mais la mort finira par être plus forte que lui : "Alexandre et la mort vont rester face à face pour se jauger. Tout le monde quitte la salle, tête basse, sidéré de voir qu'un homme peut conserver, à l'instant de mourir, avec une telle force, le plein éclat du vivant.".
Alexandre a du panache et c'est ainsi que l'auteur le présente au lecteur, même mort il se drape encore de dignité et en impose par sa prestance.
Quelle est la part de vérité et celle d'imaginaire dans tout cela ?
Difficile à dire, certainement un subtil mélange des deux dont seul
Laurent Gaudé a la recette exacte.
La vérité, c'est qu'il a réussi à redonner vie à Alexandre le Grand ainsi qu'à tous ces compagnons d'une manière très vivante et que son récit avance au rythme du cortège funéraire, tout comme il a su recréer la Perse, l'Egypte, l'Inde, d'une façon si réaliste qu'il transporte littéralement le lecteur dans ces pays antiques.
Laurent Gaudé a du style et une très belle plume, il a su insuffler à la fois la vie et la mort dans ce récit s'étirant comme un long chant funéraire, ultime éloge à Alexandre avant la chute et le démantèlement de son Empire.
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Pour seul cortège" de
Laurent Gaudé est une mise en scène savamment orchestrée de la mort d'Alexandre et de la chute inéluctable de son Empire, un roman au souffle épique digne d'intérêt et servi par une plume de toute beauté.
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