Je vais dire autre chose que ce que j'entends sur Gauguin et qui me gonfle passablement, à part sa cote sur le marché de l'Art qui poursuit une ascension vertigineuse et qui ne vient pas démentir ce que je pense. J'ai juste un souhait eu égard à ma dernière remarque: que les heureux acquéreurs richissimes ne les gardent pas jalousement privant ainsi le public de les voir pendant X années. Dans un press-book, ça jette toujours d'avoir le franc assentiment d'un des plus grands peintres au monde qui exerce un oeil de lynx sur la profession.. dont la plume fait également mouche !..
Février 1895,
Armand Seguin,, tout jeune homme, émule de Gauguin expose ses oeuvres chez La Barc de Boutteville, 47, rue le Peletier. Gauguin va lui donner un bon coup de pouce qui vaut un brevet pour peintre de talent, en publiant la préface du catalogue d'expo.
Il a ces mots gentils et sincères pour son jeune protégé : "il sait lire dans le Livre mystérieux, et il sait parler le langage
Du Livre. Il a une conception personnelle de la beauté, le besoin de s'efforcer vers elle par des chemins à lui..
Peindre ce qu'on aime est un acte sincère..
Rien chez lui, de l'école, point d'admirations conventionnelles traduites par d'infécondes imitations..
Tempérament sincère, robuste et sain.
Seguin a librement étudié la nature. c'est en Bretagne cette année que je l'ai connu..
Cette belle Bretagne, je l'ai peinte autrefois. J'en ai scruté les horizons, cherchant l'accord de la vie humaine avec la vie animale et végétale dans des compositions où je laissais une importante part à la grande voix de la terre. Seguin au contraire se contente pour ses figures d'un entourage restreint. de cette méthode, il tire de très heureux effets.
Voyez dans cette grande toile sans horizon cette paysanne bretonne, couchée, sans coquetterie, sans rêve, dans ces courbes parallèles, quelques-unes, au cadre et qui s'entrecroisent. Et que d'adresse dans les tons graves du bonnet, qui résument un blanc..
C'est je l'affirme de la très belle couleur noire.
(..) L'esprit souffle où il veut, le talent se manifeste où il peut. M'est avis qu'il se suffit à lui-même comme décor, et qu'il pourrait se passer de recommandations..."
A cette date, Seguin est orphelin, depuis quelques bonnes années déjà. On a le sentiment qu'il va faire le deuil de cette situation malheureuse et se tourner résolument vers les aubaines qui se présentent à lui. A Paris, franchement il rencontre, côtoie les plus grands de la peinture, on sait que Paris est alors le phare de la peinture mondiale, l'endroit où tout grand peintre se doit d'y séjourner en immersion, d'y prendre quelques influences dont aucun peintre n'en tire ombrage, mais au contraire sédimente son parcours. Seguin éprouve de l' aisance à réaliser des eaux-fortes qui le distinguent déjà du lot. Il a été initié en cela, deux ans plus tôt par O'Conor lors d'un séjour d'été au Pouldu. Ce qui fera dire à Gauguin, toujours dans sa préface : " le métier est trop sensible dans les eaux-fortes ; j'y voudrais plus d'ingénuité. Là encore, pourtant, Seguin reste rare par sa façon personnelle d'entendre le dessin". La fuite de Paris perce évidemment dans le coeur de Gauguin à cause de choses trop galvaudées, de ce Paris trop parisien, et dans le même temps Seguin ronge son frein en pensant à la peinture vers laquelle il sent sa voie clairement ..
Gauguin a été généreux comme ça pour Seguin, avec une volonté presque patriarcale, filiale, et aussi pour d'autres peintres de talent comme Bernard, Maufra, Jourdan, Sérusier.. Bien sûr il invita encore
Armand Seguin dans sa préface à plus d'exigence .., mais il n'était pas vis-à-vis de ceux-là dont il appréciait le travail et la recherche avare de compliments et de conseils. Il y avait vraiment de la sincérité dans ses gestes d'amitié. Qu'avait-il à attendre en retour ? de voir sans doute le grand art s'exprimer, en devenir, en toute liberté. Il était même flatté d'un tel entourage d'exceptionnelle qualité. Il drainait de par son auréole insigne les meilleurs du moment, que voulez-vous ?