Au cours de ces conversations étalées sur une dizaine d'années avec
Martin Gayford,
David Hockney nous invite à une formidable leçon d'observation.
Pourquoi l'invention de la ligne de fuite dans la perspective occidentale est selon lui une erreur : elle fige le spectateur à partir d'un unique point de vue, le rejetant ainsi en dehors de l'oeuvre.
Pourquoi les orientaux l'ont délaissée en gardant sur un même plan le lointain et le rapproché : pour inciter notre oeil à plus de mobilité, à saisir plus de détails, à nous inclure dans la peinture.
C'est à partir de la compréhension des oeuvres des artistes qui l'ont précédé - qu'il a très attentivement observées - qu'il place neuf caméras sur une voiture pour multiplier les angles de vues d'un même paysage. Plans qu'il va recomposer à la manière des rouleaux de la peinture orientale que l'on déplie au fur et à mesure pour faire pénétrer le spectateur dans l'oeuvre et le mettre en mouvement.
Avec ce nouvel outil qu'est la vidéo, Hockney s'inscrit dans l'histoire de l'art en poursuivant par exemple la recherche de Picasso qui peignait un portrait sous plusieurs angles. Ou du Caravage qui procédait à des «collages» des différentes vues qu'il prélevait à l'aide d'une caméra obscura. Vermeer l'utilisait aussi.
Hockney nous montre ainsi que l'art est lié aux avancées technologiques de chaque époque, et que chaque découverte s'ajoute aux autres.
La peinture impressionniste n'existerait pas si l'on n'avait pas trouvé le procédé de mettre la peinture en tube, ce qui a permit aux artistes de sortir de l'atelier. de là, à peindre sur un Ipad, Hockney franchit le pas.
Dans sa dernière exposition, il met en parallèle ses peintures réalisées en extérieur, en atelier et ses peintures réalisées à partir d'un Ipad... et c'est extraordinaire.
D'immenses formats de paysages de son Yorshire natal à différentes saisons. Une explosion de couleurs improbables et pourtant «ça marche». Nous sommes dans cette campagne et nous sentons le déroulement du temps.
Je suis ressortie de cette exposition avec un sentiment de bien-être, l'oeil plus aiguisé sur ce qui m'entourait. J'ose même le mot de bonheur.
Le grand critique d'art américain Clément Greenberg a dit «qu'il était désormais devenu impossible de représenter un paysage» ... Hé bien,
David Hockney démontre superbement le contraire.
Si cette exposition, présentée à Londres puis à Bilbao, passe par la France. Surtout ne la ratez pas ! Ce serait vous priver d'un remède contre le blues ambiant.
En attendant, je vous recommande ce livre passionnant sur les réflexions, les observations et la démarche de ce grand artiste, qui me fait dire : Non Monsieur Greenberg ! la peinture de paysages n'est pas morte !