Cette histoire commence par une catastrophe. Une catastrophe équivalente au choc d’une comète percutant la surface de la Terre, sauf que c’est moi qui ai été percutée. Trois semaines avant le dégel, maman s’est affaissée sur le carrelage de la bibliothèque municipale. Elle s’est éteinte là, très vite et sans souffrance, au milieu de ses chers livres, comme une bougie sur laquelle on aurait soufflé. On est venu me chercher à l’école, j’ai couru vers elle, jambes tremblantes, balbutiant : « Non, maman, je t’en prie, je vais rester avec toi pour toujours, je te le promets. »
Quand je suis arrivée sur place, elle n’était plus vivante. Une rupture d’anévrisme, ils ont dit. En l’espace de quelques secondes, je me suis retrouvée aussi seule au monde qu’une héroïne de Charles Dickens ou des sœurs Brontë. Maman n’avait aucune famille.
Je ne me rappelle à peu près rien des jours qui ont suivi. Au début, les voisins et les enseignants venaient me porter de la nourriture chaude et s’inquiétaient de moi. Ils voulaient que j’aille habiter chez l’un ou chez l’autre, mais je refusais. Je ne voulais pas non plus retourner à l’école. « Avril est en état de choc, murmurait-on autour de moi. Il faut la laisser tranquille. La surveiller discrètement.