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EAN : 9782070404063
115 pages
Gallimard (24/02/1998)
3.93/5   41 notes
Résumé :
« Ce pays-là va tout en vagues, puis se creuse en un beau val. Un ruisseau est au fond, sous les saules. C'est le Largue. Un Largue large de trois pas. Il ne va pas comme tous les ruisseaux, d'un flot égal, mais il dort dans des trous profonds, puis l'eau glisse d'un trou à l'autre, en emportant des poissons, puis tout s'arrête et l'on attend une pluie là-bas sur les plateaux. Quand on se penche sur ces trous d'eau, on voit d'abord le monde renversé des arbres et du... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Lire du Giono et surtout l'apprécier n'est pas chose facile. Il faut aimer la terre, le vent, les arbres, l'odeur des foins, des marais, des bêtes. Il faut aimer les sentiers perdus, la solitude des grands plateaux, l'infernal silence du coeur des hommes. Il faut reconnaitre la voix du mistral, ses murmures ses cachoteries. Il faut savoir entendre avec son âme.
Ici, c'est toute l'humanité qui hurle sa joie de vivre dans la rudesse de la vie. Pas de tablettes, pas de parfums factices ni de modernité écrasante. Ici, l'homme reprend sa place, celle de l'animal respectueux de ce qui l'entoure, de l'humain, de la peine et de la simplicité. Giono, c'est la terre qui parle, c'est un chant de vérités oubliées...Le bon sens et la raison, tout ce qui n'existe plus...Un grand moment de plaisir pour moi...
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J'adore le Giono du Hussard sur le toit, celui des récits de la Demi-Brigade, celui qui raconte des histoires à personnages et à chevaux ; mais, j'aime encore plus le Giono de Manosque des Plateaux et du poème de l'olive.
Il n'y raconte pas des histoires, mais une histoire ; celle des humains sur la terre. Celle de la terre des humains.
C'est la langue de Giono, celle qui ne se lit pas simplement, mais celle qui s'entend, qui s'écoute, qui se voit, qui se regarde, qui se sent, qui se flaire, qui se mange.
Le Giono du chant du monde. Celui du silence assourdissant des vallées, des montagnes, des fleuves, des arbres et des animaux.
Le Giono qui abuse des adjectifs démonstratifs et les transforme en adjectifs possessifs. Il dit :
«Ce sel, ce pain, cette huile. Jamais assez de ce sel. Jamais assez de cette huile. Ma mère.»
Dans ce monde, on entend «le sourd travail de dessous terre, et le geste qui gratte, et la poitrine qui s'emplit d'odeur de terre, et le mufle qui fouille dans la boue des profondeurs.»
«Il a mâché des quignons de sa terre.»
Dans sa terre, «Un aigle roux descend des Alpes, mais l'air des plaines proches ne le porte plus ; il nage à grands coups d'aile et il crie comme un oiseau naufragé.» ; dans sa terre, «l'herbe sue» ; dans sa terre, « l'odeur du thym fume jusqu'à la lune ».
La plaine «descend rapiécée de labours entre les luzernières (...) les fermes sont éparpillées sur les roches et sur les limons»
Dans la plaine, «la Durance est comme une branche de figuier. (...) elle a cette odeur du figuier, l'odeur de lait amer et de verdure. (...) elle est devenu arbre elle-même.»
«Le plateau de Valensol ferme la plaine comme une barre de vieux bronze.»
Dans sa terre, «les arbres, les bêtes, les rochers, les herbes et les hommes sont pétris comme une pâte de pain.»

Là, vivent des hommes :

«Mais le soir... on se réunit sous le grand murier de la place.» «Parfois le conteur ne conte pas mais lit un livre. J'entends sa vois. j'entends son silence (...) et le silence de ceux-là en rond, là, et qui écoutent.»

«Le paysan des collines est un homme qui enjambe les insectes (...) il sait vingt langues (...) il a eu à parler à un merle (...) Il a salué des bouviers (...) il a expliqué toute une longue route à un essaim perdu (...) il s'est mis à rire et il m'a dit :
ça vient du coeur.»

Giono écrit ces lignes en 1930. Il partage sa vision d'un monde réel qui est en train de disparaitre. Qui a disparu aujourd'hui. Que sont devenus «les lézards épais comme le bras (...) les sauterelles aux ailes rouges (...) la caravane de fourmis (...) les serpents immobiles (...) les rossignols (qui) se répondaient (...) mélangés aux rainettes à ne plus savoir qui était l'un ou l'autre (....) où est passé Manosque «depuis qu'on a coupé les arbres ; la Poste, trois cafés, une usine. Il n'y a rien d'autre à apprendre aux enfants que les marques d'automobile.» ?
Les rues présentent un «visage fardé à l'usage des villes avec des cafés à grande glace, des restaurants, des bars (...) il y avait là, (...) une belle porte moyen âge.» Il y a maintenant «quelque chose qui y ressemble, mais ce n'est plus elle (...) La mienne avait comme coiffure une génoise de tuiles grises bien tirée sur les yeux des mâchicoulis ; celle-là arbore des créneaux de pierre neuves, insolites, insolents et faux.»
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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« Comme les hommes les paysages ont une noblesse que l'on ne peut connaître que par l'approche et la fréquentation amicale. Et il n'y a pas de plus puissant outil d'approche et de fréquentation que la marche à pied » nous dit Jean Giono.
La bordure méridionale des grandes Alpes avec ses plateaux calcaires entaillés par d'indociles rivières et au sortir des gorges gigantesques du Verdon, les plateaux chers à Giono ; toute cette géographie de barres, de cols de vallons, de sommets, combes, ravineaux, crêtes … voilà en effet matière à vagabondage ! Deux cents bons kilomètres de sentiers caillouteux, de rudes ascensions et de raides descentes, huit jours de solitude, de marche à pied et de bivouacs ! C'est sans conteste une belle approche du monde méditerranéen si justement décrit par Braudel. « L'air sec et brûlant du Sahara enveloppe l'étendue entière de la mer, en débordant largement les limites vers le Nord. Il crée au dessus de la Méditerranée ces « ciels de gloire », si clairs, ces sphères de lumière et ces nuits de constellation que l'on ne retrouve nulle part ailleurs (…) Mais alors les animaux et les plantes, la terre desséchée, vivent dans l'attente de la pluie. de l'eau si rare alors richesse entre toutes les richesses (…) Aussi bien, n'est-ce pas pour nous seuls que les plantes de la Méditerranée sont odoriférantes, que leurs feuilles sont couvertes de duvet ou de cire, leurs tiges d'épines : ce sont autant de défenses contre la sécheresse des jours trop chauds, où seules les cigales sont vivantes (…) le plaisir des yeux, la beauté des choses dissimulent la trahison de la géologie et du climat méditerranéens. Ils font trop facilement oublier que la Méditerranée n'a pas été un paradis gratuitement offert à la délectation des hommes. Il a fallu tout y construire souvent avec plus de peine qu'ailleurs ». Tout est dit : beauté des paysages, enchantement des bruits, enivrement des odeurs mais aussi âpreté du monde naturel dont l'homme fait partie. Une bergerie, une chapelle, un village abandonné et un cerisier qui nous attend, un champ de lavandin ou d'oliviers, un oratoire, un mas isolé, c'est un monde « habité » que l'on parcourt. C'est parce que cette nature est belle, parce qu'elle est difficile que sa confrontation avec l'homme est exemplaire. L'homme en reçoit les sensations, il s'interroge sur sa situation en son sein. Cette présence au monde est, me semble-t-il, au centre de l'oeuvre de Giono.
Une des vertus de la littérature est sans aucun doute de transcender nos expériences. Alors, après cette grande randonnée, arrivé à Manosque, la lecture de Giono s'impose. Prés de Notre Dame de Romanier – souvenez-vous « le Hussard sur le Toit » – à la vitrine du libraire : « Manosque-des-plateaux »… Dans ces deux courts récits l'auteur naturellement nous parle de ses terres, de sa ville aimée et honnie. Manosque c'est la Porte de la Saunerie, le quartier d'Aubette, le Largue. C'est l'histoire du petit café « La citerne »… Giono se fait le défenseur du mode de vie des hommes des collines. le style, comme toujours est magnifique, plein de poésie, d'images fortes, d'odeurs et de couleurs. Mais Giono n'est surtout pas un écrivain régionaliste. Son oeuvre empreinte d'un grand lyrisme traite toujours la confrontation de l'homme et du monde naturel. Il nous décrit une nature presque humaine, pleine de mystère. Allant dans ces nouvelles au-delà des faits, il nous fait découvrir un monde à la limite de la magie, un monde vrai, fort. Il force le trait et notre environnement reprend toute sa place. Pour Giono, si l'homme devient sensible au « Chant du monde », il peut espérer les plus grandes joies ou tout le moins la guérison de ses peines.
Si vous alliez regarder le ciel de Provence, vous baigner dans un torrent de montagne, écouter les cigales, boire à la source d'un village abandonné, respirer l'odeur du thym et des lavandettes, manger un quignon de pain et quelques olives ? Bonne lecture…
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Jean Giono est un magnifique conteur. On l'associe trop volontiers à sa Provence natale, à quelques romans agrestes se déroulant dans "ses" montagnes.
Mais il est bien plus que cela, ce n'est pas un petit écrivain des champs, c'est un grand auteur à la portée universelle. Si son oeuvre est indéniablement tournée vers la nature et le monde rural, c'est parce qu'il a semblé toute sa vie à Giono que c'était face à elle que l'Homme pouvait s'accomplir, éprouver le plus de joie vraie et de plaisir, s'affirmer vraiment et être bon.
C'est encore le cas ici même si le titre du livre est bien celui de la ville natale de l'auteur. Passé quelques déclarations d'amour aux ruelles et aux habitant du "vrai" Manosque, la digression amène finalement le lecteur assez loin de la Haute-Provence, s'il veut bien le voir.
L'universel est là, à la fenêtre des anecdotes que narre Jean, dans tous ces gestes quotidiens des artisans, commerçants, marchands qui vivent et font vivre leur territoire.
Giono est historien, géographe, ethnologue, économiste et sociologue, tout cela maquillé dans une narration fluide, des images fortes et poétiques, un langage accessible, une vision, une vision des hommes, une volonté fortement ancré dans son monde.
Car Jean Giono ne vit pas en ermite dans ses collines, au contraire, il a les deux pieds bien plantés dans son monde qu'il analyse très finement et dont il anticipe les travers. On le voit magnifiquement (terriblement !) aujourd'hui, donnant encore à sa parole plus de force et de poids.
Ce qu'il faut retenir avant tout dans ce Manosque et les Poème de l'Olive, c'est le plaisir de la lecture, le plaisir pur des mots et la joie de voir une pensée se déployer, virevolter dans le ciel bleu de la Provence et nous toucher au coeur.
C'est à cet organe que l'auteur adresse ses mots, c'est par lui qu'il veut atteindre la raison des hommes et les inciter à revenir vers le vrai sans sombrer dans la facilité.
Un récit à relire aujourd'hui, plus que jamais nécessaire.
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Ah, quel conteur ce Giono...Il n'a pas son pareil pour faire chanter sa terre, nous faire humer les parfums des collines, ou frissonner sous le vent froid et coupant des nuits d'hiver. Des récits emplis de nostalgie, poignants ou légers, témoignages de ces moeurs rudes de l'arrière-pays provençal.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Manosque des plateaux

Ce beau sein rond est une colline; sa vieille terre ne porte que des vergers sombres. Au printemps, un amandier solitaire s'éclaire soudain d'un feu blanc, puis s'éteint. Du haut du ciel, le vent plonge; la flèche de ses mains jointes fend les nuages. D'un coup de talon, il écrase les arbres et il remonte. Parfois, un aigle roux descend des Alpes, mais l'air des plaines proches ne le porte plus; il nage à grands coups d'aile et il crie comme un oiseau naufragé.
Si on quitte le chemin, il y a des olivaies envahies par les roses. C'est comme une peau de bélier qu'on a jetée sur les arbres. C'est épais et ça saigne. On a chaud là-dessous d'une lourde chaleur de laine; l'herbe sue. Pour sortir de cette ombre, il faut s'écorcher les mains. Un mois après, on trouve une rose séchée dans sa poche.
De grands talus se chauffent au midi, fleuris de serpents immobiles. Les lézards sont épais comme le bras. Ils dorment au soleil puis sautent, happent, et mâchent longuement des abeilles à goût de miel. Ils en pleurent des larmes d'or qui grésillent sur la pierre brûlante. La lagremuse est toute grise, avec des pattes comme un fil, une queue qui semble une ombre; mais elle a un coeur énorme, un coeur déchaîné dans elle comme un orage et elle en est là, palpitante. Un mariage de gros frelons assomme les scabieuses de son vol aveugle. Les sauterelles se déclenchent et passent tout éperdues dans un saut puis elles ouvrent leurs ailes rouges. Une caravane de fourmis, large comme une route d'homme, coule sous les feuilles. Une procession de chenilles adore lentement un pin dans ses spirales. Une maison aux murs en coque de noix, bombés et ocre, craque doucement, écrasée sous sa charge de tuiles, de poutres et de soleil. L'ombre transparente des oliviers tient dans sa toile d'araignée la sieste d'une toute petite fille. Elle dort dans l'herbe chaude. Elle a remonté toutes ses robettes et, sans ouvrir les yeux, elle gratte à pleine griffe son ventre sucé par les mouches. Un chevreau lutte avec une guêpe. L'odeur du thym fume jusqu'à la lune. Un beau nuage s'est envasé dans un bras mort du vent; il ne peut plus arracher sa proue de l'azur immobile et, à bout de forces, il ondule lentement de la poupe.
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Il y avait une allée d'ormes. Ils étaient là depuis qui sait combien ? Des troncs humains avec des cals et des blessures, une chevelure de mousse au fond de l'eau, des mouvements de haute mer. La vague de feuilles commençait là-haut vers le Soubeyran, elle coulait d'arbre en arbre en soulevant une écume d'oiseaux. Par là-dessous cet antre frais, le promeneur rompait son pas ; Il poussait devant lui un poids toujours plus lourd de douceurs et de chants, puis il devenait lui-même immobile ; il écoutait, il s'imbibait de haute vie et de santé verte...

   On a coupé l'allée d'ormeaux au ras du sol. Chaque fois qu'un grand tronc tombait, tout le dessous de la ville gémissait et frissonnait...

   C’est ce soir là que je rentrais des collines sans savoir. Je rencontre Pétrus Amintié. Il me bouge à peine un bonjour, il me dit à voix basse :

   - Je suis dégoûté de la vie.

   Je réfléchissais, je pensais : " Comment, dégoûté ? " Pétrus ? Pas possible ! Et cette grande provision de rêve ? Où est-elle passée ? Il en était un grenier plein.

   Et puis, au détour de la rue, j'ai vu tous mes arbres par terre.

   Ah ! voilà une chose qui vous vide. C'est encore plus cruel que le ver pour l'amande. Le ver, au moins, y met du temps à ronger ; elle a le temps de s'habituer. Mais, là, tout d'un coup, se sentir debout sur la terre avec seulement de la viande et des os ! N'avoir plus qu'un cœur de viande, vous pesez bien tout le cruel de ça pour ceux qui sont seuls avec les grandes choses de la terre. Ah, mes pauvres amis, Pétrus et vous, tous ceux qui êtes d'Aubette - entendons-nous, même si vous habitez par là-bas loin - la voilà tarie d'un seul coup la source de vos rêves ; je sais que nous en ferons d'autres ; je sais  qu'au fond de nous, nous sommes toujours ombragés par cette belle allée d'ormeaux. Mais, ce jour-là, d'un seul coup, on a mangé l'amande et il faudra encore beaucoup de sang et beaucoup de souffrances pour en cailler une nouvelle...

   Coupez les ormes, faites des douanes pour fouiller les charrettes de foin, timbrez d'un timbre sec toutes les feuilles esclaves de vos légumes de marchés, allumez dans les abattoirs des brasiers de sang, vous êtes trop petits. Voyez, peints en bleus sur le pourtour de l'horizon, ces troupeaux immenses de collines...

   En vérité, en vérité...

   Vous êtes fait de meurtre quotidien, vous êtes comme des roches aux angles en épines ; vous avez déchiré la peau des bêtes, abattu des arbres, écrasé les herbes, mais tout ça est dans vous et vous ne pourrez plus vous reposer de votre inquiétude parce que vous n'avez jamais donné d'amour. Respirez-le votre or ; a-t-il le parfum du thym matinal ? Entassez-le votre or ; vous êtes comme des enfants qui comptent les rondelles de soleil dans l'ombre des platanes et puis, un coup de vent efface leur richesse ; entassez-le et, soudain, vous laisserez tomber vos bras fatigués et vous rêverez à ces grands plateaux couleur de violettes ou l'autre Manosque est bâti et où vous n'irez jamais...
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A propos de l'olive...

On a des moulins à l'électricité. ce qui me fait plaisir c'est qu'une fois ça marche, l'autre fois ça ne marche pas; l'huile a le goût du pétrole, sans compter que toutes ces inventions, ça finit par jeter le sort sur les meilleures choses.
Avant, du temps des beaux moulins, du temps de la cueillette, c'état de l'huile, croyez moi.
Et, mars venu, avec sa pluie folle et ses vents fous qui vous retroussent et vous gèlent le dessous des robes, quand la ménagère se sentait une bonne envie de colline et qu'elle ne pouvait pas sortir, elle allait au placard, elle trempait son petit doigt dans la burette, elle se mettait, comme ça, une goutte d'huile sur la langue, et voilà qu'elle était tout soudain si lourde d'arbres, de genévriers et d'odeur de terre que ça l'obligeait à s'asseoir.
"ah, soupirait-elle, pour que ça réjouisse tant le cœur il a bien fallu que ce soit fait avec le cœur."
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CE BEAU SEIN ROND
EST UNE COLLINE

Je ne pourrai jamais retrouver le vrai visage de ma terre : cet oeil pur des enfants, je ne l'ai plus.
Quand j'étais petit, je jouais, puis j'avais faim. Ma mère taillait alors une plate tartine de pain, elle la saupoudrait de sel, elle l'arrosait d'huile par un large 8 de la burette penchée ; elle me disait : "mange." Ce sel, il me suffisait de humer le vent odysséen ; il était là avec l'odeur de la mer ; ce pain, cette huile, les voilà tout autour dans ces champs de blé vert dessous les oliviers. Ainsi, s'est aiguisée de longue habitude l'ardente faim de mon coeur.
Jamais assez de ce pain...
Jamais assez de ce sel, de cette huile, ma mère.
Avec mes joies, avec mes peines, j'ai mâché des quignons de ma terre ; et maintenant, la ligne où se fait le juste départ, la ligne au-delà de laquelle je cesse d'être moi pour devenir houle ondulée des collines, la ligne est cachée sous les frondaisons de mes veines et de mes artères, dans les branchages de mes muscles, dans l'herbe de mon sang, dans ce grand sang vert qui bout sous la toison des olivaies et sous le poil de ma poitrine.
Ce beau sein rond est une colline ; sa vieille terre ne porte que des vergers sombres.
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Vous êtes fait de meurtre quotidien, vous êtes comme des roches aux angles en épines ; vous avez déchiré la peau des bêtes, abattu les arbres, écrasé les herbes, mais tout ça est dans vous et vous ne pourrez plus vous reposer de votre inquiétude parce que vous n’avez jamais donné d’amour. Respirez-le votre or ; a-t-il le parfum du thym matinal ? Entassez-le votre or, vous êtes comme des enfants qui comptent des rondelles de soleil dans l’ombre des platanes et puis, un coup de vent efface leur richesse ; entassez-le et, soudain, vous laisserez tomber vos bras fatigués et vous rêverez à ces grands plateaux couleur de violettes où l’autre Manosque est bâti et où vous n’irez jamais.
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Vidéo de Jean Giono
Denis Infante a publié son premier roman Rousse publié aux éditions Tristram le 4 janvier 2024. Il raconte l'épopée d'une renarde qui souhaite découvrir le monde. Un ouvrage déroutant par sa singularité. Son histoire possède la clarté d'une fable et la puissance d'une odyssée et qui ne laissera personne indifférent. L'exergue, emprunté à Jean Giono, dit tout de l'ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide : "Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l'on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l'univers."
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