– T’as pris un peu de bide, constata Poldi en m’ouvrant la porte.
– Absolument pas ! Merci pour le compliment. Je suis quand même ravi de me retrouver ici.
Elle me fit entrer puis m’emboîta le pas.
– J’dis ça comme ça. Un petit ventre rond, c’est plutôt seyant pour un homme. Encore faut-il qu’il soit « compact » ! Dans le domaine de l’art et l’érotisme, tout est question
d’harmonie, note-le pour ton roman !
J’ignorai la remarque, jetai un coup d’œil autour de moi
et je fus rassuré. Le projet de suicide par coma éthylique
avec vue sur mer restait pour l’instant on the rocks. Je ne
découvris nulle part de paniers remplis de cadavres de bouteilles. La maison était propre, rangée, les plantes dans les bacs sur la terrasse ne manquaient pas d’eau, le frigo rempli de légumes frais. Aucun signe de laisser-aller. Mais cela dit, l’équilibre était précaire, la somnambule dansait sur la corde raide au-dessus d’un volcan. Mes tantes elles-mêmes ne croyaient pas sérieusement que Poldi cesserait de boire du jour au lendemain. Mais elle avait effectivement réduit sa consommation quotidienne d’alcool à une bouteille de prosecco, abstraction faite de la chopine de bière pour le pranzo et d’un petit coretto dans l’après-midi. Elle paraissait fraîche comme une rose qui vient d’éclore. Sur son trente et un, parfumée, dans une ample tunique en soie au décolleté plongeant, la perruque soigneusement ondulée, elle partait tous les jours flâner sur le passeggiata den lungomare. Le lundi, elle allait à la plage ; le mardi, elle accompagnait l’oncle Martino au marché aux poissons de Catane et le mercredi tante Luisa au Lido Galatea. Le jeudi, elle prenait le thé avec Valérie ; le vendredi, Poldi sautait le commissario Montana, puis le samedi elle jouait au rami avec signora Cocuzza et le padre Paolo et, le dimanche, elle allait parfois aux champignons avec Teresa et Martino,
savourant en outre sa célébrité locale toute fraîche depuis qu’elle avait élucidé avec un brio remarquable l’affaire Candella. Une célébrité locale ! Locale, non ! Le terme est trop restrictif. Puisque l’Ausburger Heimatkurier l’avait interviewée à ce sujet.
Pour faire court : tante Poldi avait le flow. Elle était la
star de Torre Archirafi.