C'est une chronique en forme de recette pour passer de formidables moments de lecture.
Se munir du merveilleux roman de
Patrick Grainville : "
Falaise des fous " - Ouvrir également un livre sur les impressionnistes contenant si possible un maximum de reproductions de tableaux – Ajouter un livre sur Gustave Courbet, avoir sous la main quelques textes de
Flaubert, Hugo,
Maupassant,
Zola. Lorsque ces ingrédients sont réunis se lancer à corps perdu dans les souvenirs de Charles le narrateur de la
Falaise des fous. C'est un jeune normand qui, en 1868 vit à Etretat, il est orphelin, il a été blessé en Kabylie lors de la colonisation de l'Algérie, c'est son oncle qui subvient à ses besoins. Au pied des célèbres falaises, il voit un homme qui peint. Cet homme qui peint du lever du soleil à la tombée de la nuit: c'est Claude Monet. A la suite de cette rencontre, Charles se passionne pour la peinture, d'autant que de grands peintres du 19 ème siècle passent par Etretat pour se confronter à cette côte de hautes falaises, d'arches, d'aiguilles de roches, baignées par une mer et des ciels changeants. Son intérêt pour la peinture nous fait pénétrer merveilleusement dans les tableaux de ces maîtres, qu'il nous montre au travail, dans la nature, dans leurs ateliers, avec leurs modèles. En premier, il est fasciné par Courbet, par le peintre qui excelle dans le rendu de la chair, par l'homme engagé, par ses toiles de paysages, mais surtout ses peintures de l'être humain. Depuis la guerre de 1870, jusqu'à la traversée de l'Atlantique de Lindbergh en 1927, c'est toute sa vie qui défile dans ces 600 pages merveilleuses, avec ses amours, Mathilde sa voisine, la bourgeoise, Anna, beaucoup plus jeune que lui, et belle-fille de Mathilde, qui peint et lui fait courir les expositions, visiter les marchands de tableaux, puis Aline qu'il rencontra lorsqu'elle posait nue et dont il aura deux enfants. Mais c'est également toute une époque qu'il nous raconte. L'affaire Dreyfus, pour laquelle il rapporte la parole des accusateurs, des défenseurs, les
Zola, Clémenceau, il commente le déchaînement des passions, la presse, les propos antisémites, les procès. Il nous fait partager l'engouement populaire pour
Victor Hugo qui trouvera son apogée le jour des ses obsèques. Avec lui, on découvre New-York au 19 ème siècle, plus tard, on vit le naufrage du Titanic, la traversée de la manche par Blériot, les horreurs de la guerre 14-18. Dans ses souvenirs, il fait la part belle à l'explosion culturelle, picturale et littéraire de son temps. Monet bien-sûr du début à la fin, mais également Degas, Boudin, Pissaro, Bazile, Manet, Renoir, un peu
Van Gogh et Cézanne et Picasso qui émerge avec le 20 ème siècle. Les écrivains,
Flaubert,
Maupassant, Hugo,
Proust, ainsi que des moins célèbres sont présents au détour des pages, leurs engagements, leurs déboires, leurs succès.
La reconstitution historique est magnifique,
Patrick Grainville a réussi à donner à son écriture un rythme qui s'apparente à la peinture de Monet faite d'une multitude de touches et de couleurs. Plus qu'une époque, c'est le ressenti des contemporains de cette époque qu'il réussit à nous faire partager. A chaque description de tableaux, je me plongeais dans les reproductions que j'avais sous la main et cela a décuplé mon plaisir. Cette lecture m' a permis un merveilleux voyage dans le temps.