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sur 54 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ça foisonne, ça pullule, ça déborde… Patrick Grainville que je lis pour la première fois, s'est déchaîné, réalisant une peu ordinaire avalanche littéraire avec Les yeux de Milos.
En fait, si Milos s'exprime beaucoup en étant le porte-parole de l'auteur, c'est la peinture la vedette du roman et avant tout, Pablo Picasso.
Les yeux de Milos sont d'un bleu si profond, si unique que le pauvre garçon est obligé de les cacher derrière des lunettes noires car, en plus, le soleil le fait beaucoup souffrir. Zoé, sa toute première amoureuse, n'a pas eu d'autre idée que de lui jeter une poignée de sable au visage, déclenchant d'atroces douleurs. Suite à cette agression, le garçon doit changer d'école, à Antibes où il habite, et c'est Marine, sa nouvelle petite amoureuse qui entre dans sa vie.
À ce moment précis du récit, je crois être lancé dans une histoire familiale. Mais c'est alors que la peinture et les peintres entrent en scène. L'auteur commence à parler du musée Picasso d'Antibes puis de Nicolas de Staël qui s'est suicidé, dans cette même ville, en se jetant du haut d'une terrasse surplombant la mer, le 16 mars 1955. Il avait 41 ans.
Ces deux grands artistes sont alors les deux stars du roman avec, quand même, un net avantage à celui qui a vu le jour à Málaga, en 1881. Bien sûr, il y a l'abbé Breuil en « vedette anglaise », ce passionné de préhistoire qui inspire beaucoup Milos travaillant au Musée de l'Homme à Paris puis effectuant des recherches ou visitant des lieux préhistoriques mythiques un peu partout dans le monde.
Enfin, l'amour et le sexe sont omniprésents avec des scènes souvent torrides, Patrick Grainville démontrant un talent certain pour exciter son lecteur. Hélas, avec les femmes de la vie de Milos, le drame est toujours imminent après des mois de fol amour.
Imbriquez tout cela avec les femmes de Picasso que je renonce à citer et vous obtenez un récit souvent lassant fait de beaucoup de répétitions, de redites. L'histoire de Milos devient vite accessoire même si l'auteur sait la relancer habilement de temps à autre.
Le tableau de la jaquette – portrait de Marie-Thérèse Walter, 1937, Musée Picasso à Paris – mis à part, j'ai été souvent frustré de ne pas avoir à portée de main le catalogue des oeuvres évoquées, parfois disséquées. Qu'elles soient de Pablo Picasso, de Nicolas de Staël ou d'un autre – beaucoup d'artistes sont cités - les oeuvres d'art déferlent et donnent envie de les voir ou de les revoir.
Au style soyeux, précieux parfois, des première pages, a succédé une écriture percutante, très crue, nommant les organes sexuels par leur nom – vulve arrive largement en tête devant couilles et trou du cul… -, suivant l'oeuvre de celui qui s'éteignit à Mougins en 1973, à 91 ans. de plus, les mises au point politiques ou sociétales de l'auteur sont toujours bien senties.
Si Les yeux de Milos n'est pas une biographie de Picasso, le roman s'en rapproche beaucoup. L'auteur termine d'ailleurs par un rêve extraordinaire conté par Milos. Il retrace un enterrement fantastique du plus grand artiste du XXe siècle, une fresque formidable, pleine de surprises et de scènes surréalistes vraiment réussies.
Avec Les yeux de Milos, Patrick Grainville a réussi un grand roman mais, à mon avis, il a voulu plaquer trop de choses, mettre en scène beaucoup trop de personnages et de lieux divers. C'est à la fois la richesse et le trop-plein du roman. Si, tout ce qu'il apporte dans son récit vise un même but, cela a embrouillé ma lecture, la rendant parfois pénible, ce que je regrette, tant le talent d'écriture de l'auteur est certain. En tout cas, je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour cette belle découverte.

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C'est un portrait de Marie-Thérèse Walter peinte en 1937 par Picasso qui orne la première de couverture de ce dernier roman de Patrick Grainville.
Les yeux de Milos est ma première incursion dans l'univers de cet écrivain.
Aux premières pages inondées du soleil de la Méditerranée, j'ai découvert ce personnage de Milos qui grandit dans une sorte d'enfance baignée dans l'art.
Nous sommes à Antibes. Milos grandit, devient un jeune homme, étudie la paléontologie. Milos a cette particularité de posséder un regard envoûtant, d'un bleu mystérieux, quasi surnaturel, qu'il cache derrière des lunettes épaisses.
Bleu lumineux, bleu excessif, bleu perdu qui résonne avec le bleu de la mer, le bleu du ciel au-dessus de la Méditerranée.
Découvrant les gestes d'amour, et les sentiments peut-être, tour à tour par son amie Marine et son amante Samantha, Milos entrevoit à travers l'érotisme que suscitent ces deux rencontres, un chemin d'apprentissage non seulement pour mieux comprendre l'art, mais creusant un peu plus loin vers l'origine de l'Homme, puisque tel est le sujet qu'étudie Milos, et peut-être plus largement en quête du mystère de l'être.
C'est Samantha qui va l'initier à la découverte de Picasso, elle écrit un essai sur l'artiste. Derrière le génie du grand artiste, elle soulève devant les yeux bleus de Milos le rideau scintillant et montre un spectacle bien moins reluisant : un "nabot grotesque", un sorcier, un ogre, un chaman, un Minotaure, un tueur en série...
Le lieu, Antibes, mais aussi la rencontre avec Samantha, femme expérimentée en amour, érudite en art, sont l'occasion pour Milos de rendre visite aux deux peintres fantômes que sont Pablo Picasso et Nicolas de Staël, visiter aussi d'autres territoires plus intimes... Deux peintres, deux artistes antithétiques, qui n'ont rien en commun sauf ce lieu géographique qui les unit un moment donné et désormais un autre lieu, un musée,- tiens donc dénommé Musée Picasso, dans le château érigé face à la Méditerranée, qui expose notamment le Concert, dernière oeuvre inachevée de Nicolas de Staël et La Joie de vivre de Picasso.
Ce roman initiatique réhabilite la mémoire de Nicolas de Staël ; Milos et son amie Marine vont sur ses traces, cherchent à entendre les démons intérieurs qui l'ont dévoré, rencontrent celui qui l'a vu peut-être pour la dernière fois...
L'écriture de Patrick Grainville est flamboyante, elle est solaire, charnelle, exigeante aussi ; elle affolera sans doute les âmes les plus chastes, mais éveillera la curiosité et le désir d'autres lecteurs, le désir d'en savoir plus...
Cela dit, le sexe écrit de cette manière si échevelée, si follement incandescente, rend toutes images vaines...
Les pages promènent l'idée de l'amour et de la mort tout au long du récit dans une quête, à force de chercher, qui s'avère ressembler à la recherche du sens même de la vie...
À ce moment-là, Picasso vivait à Antibes des moments paradisiaques avec la jeune Françoise Gilot, alors que Nicolas de Staël, esseulé, ne parvenait pas à achever son ultime oeuvre, le Concert , en proie au doute, enjambant son corps par-dessus le vide depuis la terrasse de son atelier. Ces deux destins opposés – la tragédie précoce d'un côté, la longévité triomphante de l'autre – obsèdent Milos. Il veut comprendre. Il met brusquement sa vie et,- notamment sa vie amoureuse, sous l'emprise de ces deux artistes mythiques. Tout le récit, tissé de chassés-croisés, se tient à cette recherche, comme une quête parfois douloureuse, dont certains n'en reviendront pas indemnes...
Au premier abord, on pourrait croire que les personnages principaux s'appellent Milos, Myriam, Loïc, Zoé, Marine, Samantha, Jeanne ou Vivie... Et puis brusquement, d'autres personnages surgissent comme des fantômes, faisant revenir l'été 1937 à la Garoupe, tout près de là, tout près de sa maison de Mougins. Alors d'autres noms viennent : Dora Maar, Nusch la femme de Paul Éluard, Ady Finelin, Man Ray qui les photographie dans des poses lascives et libertines, les saisissant dans cet amour libre...
D'autres femmes peuplent ce livre : Marie-Thérèse Walter, Françoise Gilot, Geneviève Laporte, Jacqueline Roque, icônes brûlées au soleil du dieu artiste et vampire... J'en oublie forcément.
C'est un livre envahi de fantômes. Des fantômes féminins au destin tragique pour certaines... Pas une ne semble en avoir réchappé, même celles encore vivantes... Il semble qu'elles aient fait comme Nicolas de Staël, enjamber un parapet pour se perdre dans le vide, tandis qu'un "nabot grotesque", adorateur de soleil, de sexe et de corridas, qui leur avait fait croire au rêve et à la gloire, et peut-être même à l'amour tant qu'à faire, "mufle à faire peur", continuait de barbouiller dans son antre de manière frénétique.
Même Samantha se laisse doucement prendre dans la nasse du génie cannibale... "Je suis le Minotaure d'un été de bonheur, l'été de Guernica".
Été 1937 à la Garoupe, ce fut l'été qui suivit Guernica. On assimile à tort la dimension sacrée de ce tableau au personnage de Pablo Picasso. Oui c'est bien Picasso qui a peint ce tableau entré dans la postérité. Mais Picasso était loin d'être un humanitaire, il n'avait rien d'un militant, ni d'un partisan. Encore moins d'un rebelle. Il ne pensait pas. Il peignait de manière convulsive. Il baisait. Il vivait dans la joie. Il prenait le soleil. Il ne pensait qu'à lui. Malgré ses accointances avec le régime nazi, tandis que ses proches le priaient d'intervenir, il ne fit rien pour sauver son ami le poète quimpérois Max Jacob qui mourut à Drancy dans d'horribles souffrances, se contentant d'ironiser, en lançant cette blague que "Max était un malin, qu'il filerait à travers les barreaux"...
Le texte de Patrick Grainville est érudit. Il est nourri de sources historiques très riches et d'anecdotes foisonnantes. Il remet en abyme au travers des yeux de Milos les deux fantômes d'un lieu, aux destins contraires.
C'est le regard de Milos qui se voile et se dévoile à travers ses yeux particuliers, de manière hallucinante. S'aveugle aussi à la lumière du désir, posant ses yeux sur la courbe des femmes qu'il étreint, sur des Vénus impudiques et rieuses, sur le ciel de Méditerranée ou de Deauville dont la lumière est aussi éblouissante, mais d'un éclat différent...
Le regard de Milos, c'est un regard hors du commun, qui suscite tour à tour amours et inimitiés. Dans cette quête effrénée, Milos a l'impression de perdre ses amours, les unes après les autres...
J'ai aimé les pérégrinations de Milos et de Marine pour suivre et découvrir en Namibie les traces de l'abbé Breuil, surnommé le « pape de la Préhistoire ». Ce fut pour moi ici une magnifique découverte.
Ce roman est l'aventure d'un regard...
Au bord de la nuit, ce texte m'a bousculé dans ses folles et riches digressions, tandis que certains personnages sombrent dans l'obscurité.
Au printemps 1955, à Antibes, Nicolas de Staël s'est suicidé, précisément un seize mars, tandis qu'à quelques lieux de là, Pablo Picasso peignait sans doute ce jour-là dans une joie totalement débridée, insouciante, avachi dans son art et sa personne.
Au final, je me suis attaché aux personnages qui émergent du second plan, fantômes d'un passé encore récent : Dora Maar, Marie-Thérèse Walter, Françoise Gilot, Jacqueline Roque...
Les yeux de Milos m'ont fait entrevoir l'insondable de l'art, Éros et Thanatos, tenter de comprendre ce qui ne peut être compris, le mystère du génie, "l'injustice fabuleuse"...
Je remercie Babelio à l'occasion de son opération Masse Critique ainsi que les éditions du Seuil, pour m'avoir permis ces rencontres multiples.
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«L' Oeil, c'est l'imagination»

Avec la même écriture sensuelle que dans Falaise des fous, Patrick Grainville a suivi la trace de Picasso et Nicolas de Staël. Deux peintres qui vont bouleverser le jeune Milos du côté d'Antibes.

Il n'y a pas à chercher très loin pour trouver la genèse de ce roman flamboyant. À l'été 2016, Patrick Grainville publie une nouvelle dans le magazine 1 d'Éric Fottorino intitulée «Balcon du bleu absolu», elle met en scène Picasso et Nicolas de Staël à travers deux de leurs oeuvres exposées au Musée d'Antibes: La joie de vivre et le Concert. Un lieu et des oeuvres que nous allons retrouver dans Les yeux de Milos, ce roman qui fait suite à Falaise des fous qui nous faisait découvrir Monet, Courbet, Boudin du côté d'Étretat.
Cette fois, c'est le soleil du sud et la Méditerranée qui servent de décor à un roman toujours aussi riche de beauté, de sensualité, de passion. Et qui dit passion, dit souvent tragédie.
Quand Milos naît, son entourage découvre avec fascination son regard étonnant, ses yeux d'un bleu à nul autre pareil. Des yeux qui vont envoûter la petite Zoé, première amoureuse du garçon, lui aussi prêt à partager avec elle ses premiers émois. Mais un jour se produit l'impensable. Zoé jette du sable sur les yeux de Milos, un geste fou qui mettra fin à leur relation. Ce n'est que bien plus tard qu'il en comprendra la signification: «Le bleu lumineux, le bleu perdu, le bleu qu'elle avait attaqué, parce qu'il était d'une excessive, insupportable pureté, qu'elle le désirait et que la seule façon pour elle de s'en saisir, alors, avait été de tenter de le détruire, de le tuer, de l'enfouir sous le sable de la plage. Deux yeux crevés sur lesquels des enfants viendraient dresser un château de sable que le bleu de la mer emporterait, ravissant dans son reflux les yeux éteints.» Frustré, Milos doit cacher son regard derrière des lunettes des soleil, change d'école et part avec ses parents à la découverte d'Antibes, le château-musée Picasso sur la corniche et à côté le dernier atelier de Nicolas de Staël d'où il s'était jeté pour se suicider. «Alors Picasso et De Staël établirent dans son imaginaire une figure double, antagoniste et presque sacrée, inhérente à Antibes où il était né, au génie de la cité dont il ne savait s'il était bienfaisant ou secrètement maléfique. C'était une sorte d'envoûtement des possibles.»
Avec Marine, sa nouvelle conquête, il va tenter d'en tenter d'en savoir davantage sur les deux peintres. Mais c'est Samantha, l'amie de sa mère, qui va lui permettre de mieux connaître Picasso, sa «grande affaire». Pour les besoins d'un livre, elle rassemble en effet anecdotes et documentation, fascinée par l'artiste autant que par l'homme et ses multiples conquêtes. Une fascination qui va rapprocher Milos et Samantha au point de coucher ensemble, même si pour Milos il ne saurait être question d'infidélité, mais plutôt d'un marché passé avec son amante, le plaisir contre son savoir.
Visitant des grottes avec Marine, il va trouver sa vocation et son futur métier: la paléontologie. Pour de ses études, il va suivre les pas de l'Abbé Breuil, le «pape de la préhistoire», et partir pour Paris où il ne va pas tarder à trouver un nouvel amour avec Vivie. Même s'il ne peut oublier Marine à Antibes. «La belle Vivie l'a arraché à sa solitude, au sentiment de l'exil. C'était une surprise du désir. Mais Vivie n'est plus la même. Ce qui l'a séduit, en elle, est son autonomie, son chic, son toupet devant la vie. Sa manière de mener son affaire avec agilité, de compartimenter deux amours, de masquer son délit de volupté. Milos l'a d'abord admirée. Puis la loi du plaisir s'est imposée. Mais voilà qu'il se sent indisponible pour une autre dimension. Ses yeux l'ont piégé une fois de plus.» Dès lors, le parallèle entre sa vie amoureuse mouvementée et celle de Picasso saute aux yeux, si je puis dire.
Patrick Grainville a fort habilement construit son roman autour des passions. Celles qui font prendre des risques et celles qui donnent des chefs d'oeuvre, celles qui conduisent à un bonheur intense, mais peuvent aussi vous plonger dans un abîme de souffrance. Une mise en perspective qui, mieux qu'une biographie, nous livre les clés permettant de mieux comprendre la vie et l'oeuvre de Picasso et de Nicolas de Staël, parce qu'il est enrichi du regard du romancier qui sait qu'«un récit privé du pouvoir de l'imagination ne peut scruter la profondeur et le diversité du réel. L'oeil, c'est l'imagination.»


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Les yeux de Milos de Patrick Grainville est un roman foisonnant, nourri d'images et de sensations, un roman qui se donne des libertés pour raconter la vie des peintres prodigieux qu'ont été Nicolas de Staël et Pablo Picasso. C'est bien d'un roman qu'il s'agit, et non de biographies, même si le récit est parfaitement documenté, nous donnant à voir l'intimité de ces deux icônes de la peinture.

Le fil narrateur, c'est Milos, ce jeune homme dont les yeux sont du « bleu de la beauté absolue et de la folie » et qui attirent irrémédiablement l'attention et une certaine cruauté.
Tout d'abord attiré par Nicolas de Staël, peintre de génie trop tôt disparu et dont il admire l'oeuvre inachevée le « concert », Milos est vite subjugué par les photos de Picasso « ses yeux ronds, noirs, brillants, écarquillés, injectés d'une énergie frénétique, dionysiaque »
Il est beaucoup question de regards, de mythes anciens et de lieux emblématiques dans ce roman métaphorique où la peinture est très présente. Outre les deux peintres cités, Milos, qui va devenir paléontologue, se passionne pour l'abbé Breuil, découvreur de l'art pariétal. Milos s'éprend de la Vénus de Lespugue « Rien que le nom de Lespugue lui donnait le frisson », car la sensualité de la statuette est intacte. Picasso ne s'y était pas trompé, lui qui en possédait deux répliques parmi tous ses trésors amassés. D'autres « vénus impudiques » vont émouvoir le jeune homme qui les fait découvrir à son amante Marine avec qui il chemine sur les traces de Nicolas de Staël et de Picasso. Outre Marine, il y aura d'autres amantes, toutes entrainées par Milos sur les sentes de la vie amoureuse des deux peintres et la contemplation de leurs oeuvres ; L'abbé Breuil, lui, n'a pas eu de vie amoureuse, l'amour charnel s'entend, mais il aura vécu pour sa passion des peintures rupestres. Sur les traces de Breuil, Milos et son amante Vivie vont communier dans le secret des grottes avec ces représentations fantastiques « le grand tourbillon des bisons. Un tohu-bohu de masses ocrée. Cul par-dessus tête »
S'il est bien question de peinture, celle-ci est aussi la porte d'entrée de l'amour ou plus exactement des amours tant celles-ci prennent leurs aises de page en page. Il y a, bien sûr, les découvertes sexuelles de notre jeune héros, plus ou moins induites par ses passions picturales et paléontologiques, mais aussi les amours débridées, teintées de perversité de Picasso qui aura quatre enfants nés de trois femmes. Il s'en occupera peu, voué tout entier à son art et à ses désirs orgiastiques. le peintre est ce minotaure assoiffé de sexe, il peint ses amantes qui sont ses muses : Olga, Dora, l'athlétique et blonde, Marie-Thérèse, la très jeune Françoise Gilot et d'autres, de passage. Il les peint, les sculpte et les dévore. Et quand il s'agit de décrire les scènes de sexe, Patrick Grainville nous trousse des séquences à la sensualité débridée.
Si la vie de Nicolas de Staël est moins présente car il s'est suicidé à 41 ans, celle de Picasso, qui a vécu jusqu'à 91 ans et qui a laissé une oeuvre considérable, est omniprésente tout du long.

Enfin, il y a ce bleu, qui nous intrigue, celui, incroyable, des yeux de Milos qui nous emmène vers les bleus picturaux, ceux de Nicolas de Staël, mais aussi les cobalts de Turner l'impressionniste, ceux de Renoir, Dufy ou encore Van Gogh. le bleu du regard, c'est aussi l'oeil du peintre mais « l'oeil de la peinture est intérieur »
L'histoire se termine sur une vision surréaliste, le rêve que fait Milos ou se mêlent dans une succession de scènes débridées et baroques où s'entrechoquent les corps des amantes de Picasso, celles de Milos, où on croise peintres, matadors, et même Brigitte Bardot, bousculés par les bisons d'Altamira et c'est comme un feu d'artifice pour clore ce roman de la démesure, coloré, luxuriant où éclatent pulsions de vie et de mort.

L'écriture est puissante, métaphorique et débridée. Elle exige du lecteur beaucoup d'attention, elle se mérite mais quel plaisir au final, même si certains passages trainent en longueur.
Au vu de toutes les oeuvres citées, je conseille vivement d'aller consulter sur la toile pour admirer ces oeuvres et mieux appréhender le texte, le livre se contentant, sur sa couverture minimaliste, d'une reproduction d'un portrait de Marie-Thérèse Walter que Picasso a peint en 1937.
Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour cette découverte.

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Grand amateur d'art, Patrick Grainville se penche avec Les yeux de Milos dans l'univers de Picasso à partir de l'été de 1937, année de Guernica. Parce que le peintre était fasciné par la Vénus de Lespugne, une des plus célèbres représentations féminines du paléolithique, l'auteur crée par ce nouveau roman un pont entre l'Abbé Breuil, célèbre archéologue qui a découvert l'art pariétal, Nicolas de Staël peintre génial mais éphémère et le « Géant gênant » du 20è siècle.
Le procédé littéraire est habile. Un jeune homme Milos dont l'éclat surnaturel de ses pupilles plonge celui qui s'y noie dans une violence destructrice, évolue au coeur de tous ces univers à partir de la ville d'Antibes, où Picasso et sa bande de partouzards ont passé un si bel été et où Nicolas de Staël s'est suicidé après avoir constaté l'indifférence de son nouvel amour. Milos promène son regard de braise pour triturer les histoires et les oeuvres et déconstruire les mythes au fil de ses amours.
La démesure verbale de Patrick Grainville entraîne le lecteur vers un lyrisme enflammé de trouvailles poétiques où les mots s'entrechoquent et les images prennent vie. C'est beau, mais c'est drôle aussi. Ce décalage heureux apporte des respirations bienvenues face à ce texte érudit et dense.
Patrick Grainville trouve avec l'histoire de son ogre, un héros à sa démesure donnant corps à la sexualité de Milos. Sauf que son jeune héros, pas moins ni plus macho que d'autres, trouvent auprès de femmes indépendantes et affirmées le réactif à ses contradictions.
Car pour Picasso, minotaure pictural, ce n'est pas le même constat. Perversité est la conclusion que j'affirme après la découverte de sa vie tel que Patrick Grainville la relie à ses oeuvres ! Car son harem prend des allures de tour de France du compagnonnage du sexe. Picasso apparait en véritable mante religieuse masculine, sauf que lui, il nourrit mal ses petits ! Lui, l'homme qui semblait douter de rien, l'homme sûr de son destin et de sa force créative était quand même un fieffé pervers. Pour cela et tant d'autres points, je recommande cette exaltante lecture !
Pour aller plus loin :
Patrick Grainville présente ainsi les figures artistiques de son roman : Obsédé d'érotisme, de femmes, de sexes, Picasso a vampirisé ses amours pour la grandeur de son art et ceci jusqu'à leurs morts.
Plus nobles sont les failles d'un Nicolas de Staël qui s'abime dans son insatisfaction perpétuelle. Relié à l'amour comme un naufragé à sa bouée, il s'embrase si le feu s'atténue.
Alors que l'Abbé Breuil, lui, semble ravaler sa sexualité dans la découverte de l'être préhistorique !
Le bleu des yeux de Milos rappelle l'importance de cette couleur primaire dans l'art : bleu du lapis-lazuli, bleu des rois de France, bleu spirituel du Cavalier Bleu, mais aussi comme le souligne Patrick Grainville le bleu cobalt de Turner, de Renoir et Van Gogh, le bleu de Dufy et enfin, le bleu de Nicolas de Staël. Et l'explication à la toute fin du roman donne corps à ce bleu du regard si impressionnant !
Le propre du propre de l'homme reste, affirme Patrick Grainville, de rire de sa propre mort. Alors, des premiers galets gravés aux voyages intersidéraux, l'auteur affirme la force de l'amour comme pied de nez aux ténèbres obscures, l'art et la création en assurant un possible sinon indispensable chemin. Magnifique roman où mon immersion dans la documentation fut nécessaire (mais pas du tout indispensable, au contraire) pour mesurer tout le talent de l'auteur.
Remerciements
Merci à @Seuil et @Babelio avec sa Masse critique particulière pour #LesYeuxDeMilos de @patgrainville
https://vagabondageautourdesoi.com/2021/01/02/patrick-grainville-les-yeux-de-milos/
Lien : https://vagabondageautourdes..
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Les yeux de Milos le perturbent tant qu'il ne supporte pas de les dévoiler. Il cache ce bleu troublant derrière ses lunettes, retranché derrière ses verres noirs. Distance. Passivité. Les femmes sont intriguées par lui, attirées, entreprenantes tandis que lui n'affronte pas plus ces relations qu'il n'affronte le monde sans ses lunettes. Lui qui se terre, débusque, gratte et déterre, exhume notre passé, notre Histoire. Il a fait de l'archéologie son métier, des artistes et de leurs oeuvres une passion.
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J'avais découvert Patrick Grainville en des temps anciens (après Tautavel tout de même) avec son roman "L'orgie, la neige". Je le retrouve aujourd'hui avec cette histoire particulière où les personnages principaux ne sont pas l'essentiel de l'histoire. Ils ne servent qu'à nous conduire aux côtés d'artistes avec un catalogage de certaines de leurs oeuvres si bien que j'avais d'avantage l'impression de lire un essai ou un livre sur des artistes qu'un roman. La narration tourne principalement autour de Pablo Picasso, Nicolas de Staël, René Char et quelques autres. Leurs femmes, conquêtes, productions artistiques sont présentées. L'origine de la conception des toiles, sculptures, relations amoureuses est expliquée. Conceptions et réalisations mises à nue. Comme le corps. Patrick Grainville ne parsème pas son roman de descriptions anatomiques intimes. Il les nomme avec précision toujours, de façon différente parfois, récurrentes tout au long des pages. Autant les corps de Milos et ses conquêtes que les productions artistiques sont vues et dites, sans verres fumés, de façon itérative.
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Oui j'ai aimé ce livre. L'écriture est riche, dense, intelligente et intelligible. La prose est dynamique et entraînante. J'ai eu l'impression d'être prise dans un tourbillon artistique, historique. Découvrir la face cachée du travail de certaines productions artistiques m'a également plu. Picasso étant mon peintre préféré, j'étais à moitié conquise avant même de me plonger dans "Les yeux de Milos".
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Les yeux de milos
Falaise des fous de Patrick Grainville était une mise en bouche, les yeux de Milos le plat de résistance.
Le premier évoquait la naissance de l impressionnisme à la croisée des deux siècles passés, le deuxième décortique l'art pictural de Picasso et de Nicolas de Stael au mitan du XXe siècle.
Autant dire tout de suite que ce j'ai éprouvé dans le premier n'a fait que s'amplifier dans le deuxième : foisonnement des sources, déluge de vocabulaire, style haché menu par des phrases de un, deux, voire trois mots essentiels qui percutent, mots-images, mots-idées, allégories, métaphores, digressions et références en tous genres, logorrhée étourdissante. Submersion de mots, style quasi outrancier, sens débridés au propre et au figuré, délires d'écritures, tornade littéraire….
Quelle culture ! Quelle aventure !
On ne sort pas indemne de ce type de roman (mais est-ce bien un roman ?)
Je ne reviendrai pas sur la trame de l' histoire. D'autres amis babéliotes l'ont fait mieux que je ne saurais le faire !
Pour l'essentiel : Les yeux de Milos, dont le bleu fascine et heurte tous ceux (ou plutôt toutes celles) sur lesquels ils se posent au point qu' il choisit de les dissimuler, passe au crible l'oeuvre des deux peintres dont les personnalités sont aux antipodes l'une de l'autre. Picasso le vorace, le sanguin, l'homme à l' état brut(e), Nicolas de Staël, l'écorché vif, le poète des couleurs, le prince exalté, l'amoureux transi...
Mais c'est surtout à travers le prisme de ce regard que Patrick Grainville dissèque avec une précision d'entomologiste leurs toiles maîtresses, occasion d'évoquer L Histoire, les événements, les influences et les amoureuses qui les ont inspirées. Et de façon magistrale !
Si Nicolas de Stael le trop sensible se suicide par désespoir d'amour en se jetant de la terrasse de son atelier à Antibes, Picasso préfére suicider les autres, les Dora Maar, Marie Thérèse, Geneviève, Jacqueline and co, les rendant plus ou moins folles au sens propre du terme.
L'artiste était génial, l'homme détestable. C' est souvent le cas mais on ne peut admirer l'un en excluant L'autre. Seul l'art ressort grandi et enrichi de cette lutte entre l'homme et la bête.
Accumulant les maîtresses qui font la chair de son oeuvre avant que chaque amour n'expire à la vitesse de la lumière , Picasso boulimique apparaît en effet comme un prédateur sexuel, un hidalgo nabot au regard bleu, insatiable, égoïste et totalement dépourvu d'empathie. Une vie aux allures de corrida dont il figure le tout puissant et farouche Minotaure.
Par un jeu de miroirs et d'identification plus ou moins consciente, Milos, jeune paléontologue sensible et indécis, en quête d'affirmation de soi, s'empêtre dans ses relations amoureuses, de Marine à Samantha et de Samantha à Vivie, prétextes à des scènes sexuelles (dont on se serait passer des détails scabreux car bites, vulves, culs, trous et autres couilles à foison n'apportent rien de plus à la ...profondeur du discours littéraire qu'agacement et lassitude)
Fort heureusement les apartés amoureuses, les partages de vues et considérations sur la philosophie de la vie, l'actualité, la nature et la peinture m'ont laissée à la fois pantoise, intriguée , subjuguée et avouons-le souvent émerveillée par le style « flamboyant » de Patrick Grainville même si quelquefois, soyons honnêtes, il en fait un peu trop....
Je n'omettrai pas d'évoquer le fantastique voyage du pays basque espagnol et la grotte d'Altamira à la Provence et au Massif de Sainte Victoire, de Londres et ses musées au temple indonésien de Borobudur, des plages Méditerranéennes et l'arrière pays niçois au Paris des flâneurs,
Le roman s'achève logiquement sur le rêve fellinien de Milos, haut en couleurs et carrément jubilatoire, sorte de baroud d'honneur à tous ceux, acteurs de cette immense fresque pop art, qui symbolisent une époque et un courant artistique inédit.
Avec ce roman, le Cro-Magnon qui sommeille en chacun de nous n'en finit pas de peindre les parois de la connaissance et de combler ses grottes d'ignorance.

Un grand Merci aux éditions du seuil et à Masse critique pour ces belles découvertes.

Un dernier mot aux amis babeliotes passionnés par cette période de notre histoire : l'excellente trilogie de Dan Franck (Bohèmes, Libertad et Minuit) qui se boit comme du petit lait....
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Perplexe, devant la multitude de références artistiques. Bien qu'attaché à ce domaine et ayant quelques connaissances, j'ai du à plusieurs reprises recherché les oeuvres décrites pour comprendre plus en profondeur le texte. Prouesse technique quand à la biographie indirecte de Picasso et De Staël, mise en parallèle tout au long de la quête de Milos. Les faits se déroulant essentiellement sur la côte d'Azur, j'était heureuse de découvrir l'histoire de lieu qui me sont connus et d'approfondir ma connaissance artistique sur de nombreux peintres, sculpteurs, photographes, anthropologues et autres artistes.
Un recueil de références artistiques, à travers les mouvements et les pays. On voyage de la Namibie à l'Inde en passant par Londres, sur les pas des hommes préhistoriques et des différents artistiques que le primitif à inspiré. La femme est décrite comme la putain, la soumise, la maitresse, mais aussi la mère, l'amante. le coït est primitif mais aussi sentimental selon la vision des acteurs. J'ai découvert dans ce roman le côté Barbe bleue et rongeur de Picasso. On y découvre aussi le danger du fanatisme qui peut pousser à la folie. La question du suicide est également décrite.
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