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sur 594 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un tambour férocement felinien qui a la gravité d'une amère et triste introspection à l'échelle d'une nation…mais dont le roulement ne tient pas le rythme et les promesses.

La lecture commune que nous avons faite sur ce livre incroyable de Günter Grass m'a considérablement enrichie et apporté et, en même temps, décortiquant tous ensemble inlassablement, de façon passionnante et minutieuse, cette oeuvre, a relégué mes sensations premières, instinctives, un peu au second plan.
Personnellement, je n'ai pas besoin de tout comprendre d'un livre. J'accepte ses zones d'ombre, et si le livre m'a touchée, interpellée, ces zones floues peuvent même constituer le petit grain de sel, le petit gout de reviens-y, suffisamment excitant, pour être tentée de le relire un jour, le temps permettant d'avoir davantage de recul et de maturité sur l'oeuvre.

Le fait de passer au scalpel ce livre si connu de l'auteur allemand, Prix Nobel de littérature, m'a donné l'impression d'en sortir tous les organes, alors soupesés, passés de mains en mains, coeur, foie, intestins, inspectés telle une mécanique de précision. Je me suis retrouvée avec un ensemble de morceaux triturés, boursouflés, vidés de leur élan vital à force d'être sondés, que je n'ai pas réussi ensuite à remettre correctement en place, ne parvenant plus à les faire contenir dans l'ensemble originel. C'est seulement en laissant décanter que j'ai réussi bon an mal an à recoudre l'oeuvre qui contient à présent une large cicatrice que je caresse de temps à autre pour la lisser. Quelle est la peau première de ce livre pour moi ? L'ai-je aimé ? Pas aimé ? Qu'est-ce que j'en retiens, quelles sont les premières images qui apparaissent lorsque je pense au Tambour ? Les premières sensations ?

Tout d'abord, celle d'une idée de base fabuleuse qui m'avait tant séduite en visionnant l'excellent film, Palme d'or de Cannes en 1979 : un enfant de trois ans, Oscar, décide de s'arrêter de grandir, de stopper sa croissance en maquillant ses intentions en accident le jour même de ses trois ans. Il ne désire alors que taper inlassablement sur son tambour qui devient comme un appendice accroché à lui. Il est par ailleurs doté d'un cri vitricide dès que quelqu'un tente de lui retirer son instrument.
L'interprétation est multiple, riche, mouvante. J'y vois notamment le refus de l'univers des adultes et de leurs bassesses, de leur tromperie dans ce monde où même le noyau familial est une mascarade, où l'école est un moule source officielle de bourrage de crâne, où la population dans sa grande majorité adhère au fascisme ; un attachement viscéral à l'innocence pour cet enfant qui ne sait pas vraiment qui est son père, père putatif et amant de sa mère se côtoyant dans une sorte de ménage à trois. L'instrument est un moyen de communication en lieu et place des mots, si faibles pour décrire la réalité, tambour cependant qui disperse et trouble l'entourage et le cri, animal, sauvage, symbole de détermination et de puissance, de révolte, de colère aussi peut-être tant Günter Grass semble être en colère contre l'époque, contre lui-même. Un cri exutoire qui brise. Qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, par résonance, la Nuit de Cristal, nuit du pogrom anti-juin du 9 novembre 1938 ;
D'enfant, le personnage deviendra un nain, un gnome, doté d'une bosse, montrant l'impossibilité de rester innocent, les facettes sombres de ce personnage, sans doute à l'image de Günter Grass, ressortent comme ils peuvent, déformant le petit être, le transformant en monstre, atteint de plus d'un délire mystique se prenant pour Jésus. Transformations physiques et délires psychiques mettant à nu l'auteur même. Peut-être. J'aime à le penser, je le ressens tout du moins ainsi. Son cri devient peu à peu un rire hargneux, celui d'un gnome lâche, méprisant les hommes, à la personnalité repoussante. Cet aspect de la psychologie du personnage, trouble et confuse, est fascinant si on établit le parallèle entre Oscar et Günter. Oscar est-il une mise à nu de l'auteur ? Dans toute sa volonté, vaine, de rechercher son innocence en cette période de l'histoire et de n'y trouver que la petitesse ? L'ambivalence de Oscar n'est-elle pas le reflet de cette de G.Grass, qui se voudrait innocent et rebelle, qui n'est que lâche et égoïste ?

Si on veut être plus précis et pragmatique concernant l'histoire, le petit Oscar Matzerath est né en 1924, dans une famille d'épiciers en produits exotiques d'un faubourg de Dantzig. Quand il se met à rédiger ses souvenirs, il a trente ans. Depuis 1945, il a légèrement grandi et mesure 1,21 m. Mais, en contrepartie, il se trouve pourvu de cette bosse dans le dos. Après avoir connu le sort des réfugiés de l'Est, il s'est installé à Dusseldorf. Soupçonné d'avoir participé à un assassinat, il a finalement été transféré dans un asile psychiatrique. C'est là, enfermé, qu'il rédige ses mémoires qui racontent, du haut de sa taille d'enfant de trois ans, sa voix de stentor et son tambour, ses aventures, parfois comiques, parfois abjectes, crapuleuses, démoniaques, sensuelles, épiques.

« Ce dont je ne venais pas à bout avec mon tambour, je le tuais par ma voix. »

Une idée de base très originale donc. A la fois allégorique et symbolique. de l'auteur, du peuple allemand tout entier qui fut en grande majorité nazi. Associée, qui plus est, à une puissance évocatrice foudroyante. le livre contient une foultitude de scènes burlesques, d'images proprement inoubliables et fascinantes, très sensorielles pour certaines, écoeurantes pour d'autres. Prenons en trois. Parmi plein d'autres.
Je pense tout d'abord à la mère d'Oscar, Agnès, qui n'a jamais réussi à choisir entre l'amant attentionné et le bourgeois, entre le Polonais bienveillant et l'Allemand nourricier, entre l'idéalisme et le pragmatisme. Ses hésitations vont la mener au suicide par la nourriture, se servant dans l'échoppe familiale en sardine à l'huile qu'elle englouti avec les doigts, en harengs qu'elle mange crus, elle qui déteste le poisson, dégout qui avait été porté à son comble dans la scène proprement dégoutante des anguilles dans la charogne d'une tête de cheval…
Autre scène d'une sensualité troublante, celle de la poudre effervescente que le petit Oscar dépose dans le nombril d'une jeune femme, Maria, lapant ensuite le petit trou, scène troublante d'un érotisme sombre et gênant, où l'on comprend à demi-mot qu'acte charnel il y eu. Ou encore la scène des furoncles pressés sur le crâne d'un fabricant de pierres tombales, autant de cauchemars éveillés qui sont comme des coups de jus fait au lecteur pour le marquer et l'impressionner.

Et puis, ce livre, corné, annoté de toute part, aux multiples passages soulignés, surlignés, oui, il suffise que je l'ouvre au hasard pour tomber par exemple sur cette description, ce genre de description de personnages dont je raffole tant (je l'ai vraiment ouvert au hasard et je vous donne le passage sur lequel je viens de tomber, une description de la fameuse Maria) :
« de même que la tête de Maria, que l'on pouvait prendre dans une seule main, présentait des joues pleines, des pommettes saillantes, des yeux généreusement découpés de chaque côté du nez installé dans son creux, d'une extrême discrétion, son corps de mensurations plus petites que moyennes était pourvu d'épaules un peu trop larges de seins rebondis qui commençaient déjà sous les bras et d'un postérieur opulent correspondant au bassin, lequel, à son tour, était porté par des jambes trop minces, mais robustes qui, au-dessous de la toison pubienne, laissaient passer le regard.
Peut-être Maria avait-elle à cette époque les jambes légèrement cagneuses. Il me semblait aussi que ses mains toujours rougies, en contraste avec sa silhouette aux proportions adultes et définitives, avaient quelque chose d'enfantin avec leurs doigts boudinés. Elle n'a pu jusqu'ici tout à fait renier ces battoirs. Ses pieds, en revanche, qui se fatiguaient à l'époque dans de gros souliers de marche, un peu plus tard dans les petits escarpins de ma pauvre maman, d'une élégance démodée et qui ne lui allaient pas davantage, ont peu à peu perdu malgré les chaussures malsaines de deuxième main leur rougeur et leur bizarrerie enfantines et se sont adaptés à des modèles récents d'origine ouest-allemande ou même italienne ».


Scénario original aux multiples interprétations donc, images saisissantes, descriptions étonnantes, je retiens également bien entendu cette tranche d'histoire que nous offre l'auteur. Par truchement autobiographique, le tambour appréhende, avec le regard, les sensations de l'auteur, donc selon un point de vue éminemment singulier et personnel, unique, un demi-siècle d'histoire allemande, de 1900 à 1950. Singulier dans le sens où il nous montre la montée du fascisme en s'appuyant sur une vision d'enfant, et donc teintée d'absurde et de grotesque, voire d'humour, mais noir, très noir, l'humour. du haut de ses 94 centimètres, il observe, caché sous les tables, les tribunes, il est témoin privilégié du désordre du monde, ce d'autant plus qu'on ne fait pas attention à un enfant si jeune. Notons que l'art du camouflage semble être une caractéristique familiale, l'existence même d'Oscar tient au fait que son grand-père, fuyard, se soit caché un jour sous les multiples jupes de sa grand-mère…Ce mélange de la grande Histoire et des tribulations picaresques de la famille est plaisant et donne du rythme et de la coloration au récit.


La structure du livre m'a grandement interpellée également, même si elle est de facture classique car chronologique, mais pourtant ces trois parties m'ont décontenancée et c'est bien là que le bât blesse. Trois parties, trois intérêts totalement différents me concernant. Un descrendo si regrettable.
La première relate l'enfance d'Oskar et la montée du fascisme dans l'entre-deux Guerres jusqu'au pogrom antisémite de novembre 1938, et c'est la partie qui m'a éblouie. A la fin de la lecture de cette partie, je voyais un chef d'oeuvre entre mes mains, un cinq étoiles, haut la main.
La seconde partie décrit la guerre et se termine avec l'entrée des troupes soviétiques à Dantzig en 1945. Si elle est riche, passionnante, avec certaines scènes incroyables (je pense notamment à celle où l'on voit Oscar et sa famille dans un train de la mort), elle comporte quelques longueurs qui déjà ont quelque peu douché mon enthousiasme ressenti avec tant de force lors de la première partie.
Enfin la troisième partie, portant sur l'Allemagne occidentale d'après-guerre et des tentatives d'intégration sociale d'Oscar, m'a décontenancée, la lecture fut une véritable lutte, je m'endormais littéralement dessus, n'arrivant pas à capter mon attention, les images percutantes des deux premières parties n'étant quasiment plus présentes, je n'avais rien pour me raccrocher. C'est bien cette troisième partie qui abaisse considérablement la note que j'attribue à ce livre par ailleurs incroyable.
Oui, le tambour est un monument et mon ressenti s'est hissé à cette hauteur totalement dans le premier livre, un peu moins dans le second livre et pas du tout dans le troisième à côté de laquelle je suis passée.


Quant à la plume, mis à part les longueurs évoquées, elle est d'une belle complexité, alimentée par une alternance entre le « Je » et le « Il » montrant combien le narrateur n'assume pas tout à fait ce qu'il écrit et mettant en valeur toute la complexité d'Oscar. Günter Grass raconte « d'une manière réaliste des choses fantastiques », au moyen d'une plume inventive, torrentielle, crépitant d'images insolites, libre mais qui s'essouffle, mille fois hélas, au fil du roman.

Livre foisonnant, aux interprétations multiples, doté d'une puissance évocatrice incroyable, j'ai vraiment regretté cette troisième partie qui n'apporte pas grand-chose, selon moi, à l'ensemble et qui est venu ternir considérablement mon plaisir de lecture.
C'est le livre des tiraillements d'un être, d'un vociférateur pessimiste, égoïste, dénoué d'humanité, à l'image sans doute des tiraillements de l'auteur, et au-delà des peuples parfois, comme le peuple allemand lors de la guerre et du massacre juif, voire de l'espèce humaine. Nous pourrions aussi, mais mon retour serait encore plus long qu'il ne l'est déjà, faire le focus sur l'analyse psychanalytique qui transparait dans le livre, ne serait-ce par exemple dans la volonté d'Oscar de tuer le père dans la scène si mémorable de l'attaque de la Poste de Dantzig...Cet aspect est passionnant.
Revenir aux sensations premières à froid me permet d'avoir envie de retourner à cette oeuvre qui m'a tant troublée lors de cette lecture commune. La cicatrice, déjà, s'estompe peu à peu, la décantation laissant place essentiellement à ce que j'ai aimé et qui m'a fait grande impression malgré ma déception croissante.
Oui, me concernant, les sensations doivent primer sur l'analyse lors d'une première lecture…Alors, qui est partant alors pour une seconde lecture dans quelque temps, hein, Sonia, Sandrine, Anna, Marie-Caroline, Anne-Sophie, Bernard, Delphine, Jonathan, Patrick, Isabelle ??

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Il m'aura fallu attendre plusieurs jours pour poser ces quelques mots sur cet immense roman qu'est le tambour.
Avec ce recul, je ne sais toujours pas comment l'appréhender dans son étrange ambivalence.
J'ai eu le sentiment tout au long de ma lecture de tenir dans les mains un monument, mais qu'à regret mon ressenti ne parvenait jamais à se hisser à cette hauteur.
Ce livre m'est tombé des mains non pas tout de suite mais plus tard, presque au-delà du tiers du texte.
Structuré en trois livres, le roman est d'une densité incroyable ; si j'ai été subjugué par la lecture du livre I, les choses ont commencé à se gâter à l'entame du livre II, s'agissant du livre III n'en parlons pas, je n'étais plus dans le récit…
Ce que j'aime découvrir dans un roman, - l'étonnement, le souffle, le rythme, les respirations entre les personnages, la capacité qu'a l'écrivain de créer un pouvoir d'évocation -, me semblaient bien présents dès les premières pages.
Le reste de ma lecture fut pour moi un profond ennui, percevant la puissance narrative du texte mais ne sachant vraiment jamais où Günter Grass voulait m'entraîner.
Tout avait pourtant bien commencé, lorsque la grand-mère du narrateur, jeune paysanne, fait la connaissance de manière insolite avec celui qui deviendra le mari de celle-ci, par conséquent le futur grand-père, celui-ci poursuivi par la maréchaussée trouvant son salut en se réfugiant sous les jupes amples de la jeune femme. Je crois bien que pour ma lecture il m'a manqué un tel salut…
Il me restera pourtant longtemps encore en mémoire des scènes, des images, des odeurs inoubliables…
Je me suis demandé tout au long de ma lecture qui était vraiment Oskar Matzerath, ce petit garçon qui hérite d'un tambour offert par sa mère à l'âge de trois ans et qui le même jour décide de ne plus grandir pour ne pas ressembler aux adultes. Oskar Matzerath devient alors le narrateur d'une histoire autobiographique confuse, témoin lucide et cynique de la folie, figure christique traversant le récit dans les convulsions qui emportent l'humanité.
Ce texte est obscène comme la guerre peut l'être, comme peut l'être le régime qui a engendré la seconde guerre mondiale. Ce roman dit cela, de manière picaresque et truculente, la montée du nazisme, son apogée, sa chute, l'innommable, la barbarie humaine, à partir de scènes de la vie ordinaire d'une ville de Pologne et de ses faubourgs, Danzig…
Je ressors de cette lecture avec bien des interrogations ? Même si je ne cours pas après les récits lisses de certitudes, - j'adore volontiers me perdre sans boussole dans les méandres, les digressions et les malentendus d'un récit -, ici j'aurais tout de même aimé savoir à quel endroit j'étais parvenu.
L'écriture singulière du roman qui est sans nulle doute sa force est-elle issue de la folie ?
Faut-il voir en Oscar Matzerath un personnage aliéné, cela expliquerait l'alternance des pronoms personnels entre le JE et le IL, parfois dans la même phrase ? Cela produit un perpétuel balancement entre le sujet et l'objet du récit, cela crée une double impression entre récit subjectif et objectif. Est-il témoin de l'Histoire, récusant tous les autres témoignages ? Mais le fait qu'Oscar Matzerath se défausse sans cesse du texte qu'il écrit lui-même pourrait expliquer l'aliénation du personnage, rendant impossible la manière de distinguer le vrai du faux.
Oscar Matzerath serait-il par analogie la représentation du peuple allemand se défaussant sur une tentative de lucidité, incapable d'assumer son Histoire, son destin solennel ?
Cette schizophrénie de l'écriture figurerait-elle donc celle d'un peuple allemand à la fois complice du pire totalitarisme qu'est connu le XXème siècle et sidéré de découvrir l'innommable au lendemain de la guerre, incapable de poser des mots, à la manière de ces habitants qui vivaient tranquillement à la périphérie des camps de concentration sans se poser la moindre question ? Il faut alors inventer une écriture à la démesure de cette sidération et ce fut Günter Grass, lui-même déchiré durant toute sa vie par cette ambivalence, qui s'y attela.
Alors Oscar Matzerath se donne la liberté de se mettre en retrait du monde, en décidant de ne plus grandir dès l'âge de trois ans, rythmant au son des roulements de tambour, dans un jeu musical et cynique, la montée du national-socialisme, l'adhésion presque unanime d'un peuple aux valeurs de ce régime, qu'il décrit dans la banalité et la candeur ironique et cruelle qui font le quotidien des peuples qui se mettent docilement à genoux devant leur tyran, révélant des-dessous peu reluisants d'une société qui s'en arrange bien, les ambitions malsaines, le silence, l'allégeance, la complicité, plus tard la culpabilité.
Et si Oscar Matzerath ne nous racontait rien d'autre qu'une scène d'une tragédie shakespearienne ?
« La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »
Dans ce récit qui prend parfois l'allure d'un mythe, j'aurais aimé être renversé dans le vertige de ce désastre, comme je le fus dans Voyage au bout de la nuit.
Il y a en effet dans le parcours initiatique d'Oscar Matzerath, ce personnage qui se confond peu à peu avec son jouet, l'obsession d'un tambourinage qui devient sa bouche, sa parole, ses gestes et rythme son parcours, dépassant le simple récit autobiographique.
Tout ceci aurait pu rendre ma lecture vertigineuse et incandescente… J'ai cherché en vain à revenir dans l'inspiration des jupes de la grand-mère mais le vent les avait déjà emportées dans la folie humaine.

Un grand merci à notre ami Pat (@Patlancien) de nous avoir proposé cette lecture commune qui a suscité bien de riches échanges. Merci aux autres aventuriers de l'équipage : Anna (@AnnaCan), Anne-So (@dannso), Chrystèle (@LaHordeDuContrevent), Delphine (@Mouche307), Isa (@Isacom), Jonathan (@JonathanLecuyer), Marie-Caro (@mcd30), Sandrine (@HundredDreams), Sonia (@indimoon) …
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A la naissance d'Oskar Matzerath en Pologne au début des années 30, ses parents lui firent deux promesses, sa mère celle de lui offrir un tambour le jour de ses trois ans et son père celle de le faire hériter de la boutique familiale dès qu'il aura atteint l'âge adulte. Si la première idée l'enchante, la seconde en revanche lui répugne profondément (comme vous l'avez noté, c'est un nourrisson qui cogite déjà beaucoup, l'Oscar…) L'enfant prend alors une grave décision : le jour où on lui confiera son tambour, il cessera de grandir et conservera à jamais l'âge de ses trois ans, afin d'échapper aux écoeurantes responsabilités des adultes et de se consacrer à la seule véritable occupation digne de lui, à savoir jouer du tambour. Et ainsi fera Oscar. Malgré les bouleversements familiaux, les convulsions qui agiteront la Pologne et l'Allemagne et les hurlements délirants des meutes nazis, il ne vieillira, ni ne grandira plus d'un seul pouce. Mais en apparence seulement, car, sous ses faux airs de gamin attardé, Oscar est un véritable génie manipulateur qui prend un malin plaisir à se moquer du monde des adultes, bien à l'abri derrière ses baguettes de tambour.

Ecoutez, amis lecteurs, écoutez ! Oscar va battre pour vous la marche de l'Histoire et des armées ! Il vous jouera les infidélités de sa mère, la mort de ses deux pères, les jupes de sa grand-mère, ses propres multiples aventures sexuelles, la chute de la Poste Polonaise, les trompettes des jeunesses hitlériennes, l'incendie de la boutique de jouets du vieux Markus, l'invasion de Dantzig par les troupes russes, le débarquement américain en Normandie, les dancings et les asiles de Düsseldorf… Mais, tout en écoutant, méfiez-vous, car Oscar n'est pas seulement un manipulateur, mais aussi un sacré petit bonimenteur tout à fait indigne de confiance. Et, si vous tendez assez l'oreille, vous pourrez entendre, dissimulé sous le roulement de son tambour, le ricanement sinistre de la Sorcière Noire, le monstre qui sommeille dans chaque coeur humain et gronde au sein de chaque foule en furie. « La Sorcière Noire est-elle là ? Ja, ja, ja ! »

Pfiouuu… Eh ben, il n'a pas été une mince affaire à finir, ce bouquin ! Non qu'il n'ait pas amplement mérité sa renommée et sa qualité de classique de la littérature du XXe siècle, mais il peut difficilement être taxé de roman « facile ». le tout demande déjà d'avoir un estomac solidement accroché pour supporter la noirceur constante et le cynisme mordant des grinçantes mémoires d'Oscar. Il a de l'humour pourtant, l'horrible petit bonhomme, mais un humour coupant et féroce qui nous fait plus souvent sourire jaune que rire aux éclats.

Le style n'est pas non plus des plus aisés ; touffu, excentrique, frôlant parfois le surréaliste, il demande un constant effort de concentration au lecteur pour être apprécié à sa juste valeur. Et encore… J'avoue que durant certains passages (assez rares heureusement) où le tambour d'Oscar s'emballait, enchaînant métaphore et pirouettes stylistiques, mon pauvre cerveau de lectrice lambda se laissait déborder et je lâchais sagement prise, me laissant porter par le tempo des mots sans chercher à percer leur sens outre-mesure. Je ne regrette pas pour autant d'avoir tenté l'expérience. Aussi complexe et dense soit-il, « le Tambour » reste un sacré moment de lecture et nombreuses sont les scènes qui m'ont marquée par leur puissance et leur force évocatrice. En conclusion, un roman très satisfaisant, mais que je ne relirai pas de sitôt. Ma petite tête n'y survivrait pas…

(Autre petit inconvénient : la chanson « Petit tambour Pa-ra-pam-pam-pam » qui m'a tournée sous le crâne pendant l'intégralité de ma lecture. Ca n'a l'air de rien comme ça, mais je vous jure, qu'au bout de 600 pages, on finit par avoir les nerfs en compote. Argh, argh, argh, j'aurais jamais dû en parler ! Maintenant, je l'ai de nouveau dans la tête, pauvre de moi…)
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A bien des reprises, et dès le départ de ma lecture, j'ai souffert d'inattention. Mes yeux décryptaient et faisaient défiler mécaniquement des mots, je déchiffrais, tout en pensant à autre chose. Faute d'une langue consistante qui ne parvenait pas à rendre ma lecture confortable et fluide, faute d'un contenu très dense et détaillé qui ne stimulait pas mon intérêt. Je faisais l'effort de relire au départ, d'illustrer les logorrhées de Grass / Amsler et Porcell (auteur et traducteurs) et puis j'ai cessé de me débattre avec mon livre, parce que je lis avant tout par plaisir. Et puis aussi, parce que j'ai réalisé qu'un tri se faisait de lui même entre un flux de mots surabondants à mon goût, et des images fortes et marquantes émergeant de celui-ci. Comme l'huile se sépare physiquement de l'eau et remonte en surface.
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J'étais ainsi telle une conductrice sur une voie rapide, qui avance à vive allure, dans ses pensées et dont tout à coup l'attention se fige car au loin il y a quelque chose sur la route, un plastique? La dépouille d'un animal renversé? Alors je prends conscience du paysage, et aussi de la voiture qui est en train de me doubler, un monospace noir avec trois enfants agités à l'arrière; je prends pleinement conscience que je suis en train de conduire et tous mes sens se figent sur la dépouille (?) de laquelle je m'approche rapidement. Déjà je discerne du rouge, bientôt des viscères, de la peau et des poils mélangés à l'asphalte, j'ai un haut le coeur en croisant ce qui reste du pauvre renard qu'il me semble reconnaître, je suis tout à fait éveillée à ma conduite à présent.
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C'est à ce genre de sensation que je comparerais les images de l'auteur. D'un entrelacs de mots torturés, parfois étranges, comme ces sculptures de ficelles et de plâtre du personnage de l'infirmier Bruno, émerge tout à coup une image si puissamment singulière, obscène, écoeurante, absurde, grotesque ou sensuelle qu'elle captive.
Des images issues des mémoires d'Oscar qu'il rédige depuis l'hôpital où il est enfermé, et étroitement surveillé par Bruno. Des mémoires qu'il convoque en battant un tambour de fer blanc et rouge (il en a le droit quelques heures par jour); énième réplique d'un instrument maintes fois usé, et dont il ne s'est quasiment pas séparé depuis qu'il est enfant. Ce tambour est alors son mode d'expression. Devenu l'auteur de ses mémoires, le tambour lui permet la restitution exacte de ses émotions passées, et de ce qu'il a vécu. Il choisit ainsi de nous en partager certaines, ou au contraire de les annihiler à coups de tambour rageur.
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Comme le dit Volker Schlöndorff, le réalisateur du film « Le tambour », « Oscar (...) possède deux qualités (…): le refus et la protestation. Il se refuse au monde au point de ne même plus grandir. (…). Il proteste si fort que sa voix brise le verre. » . Oscar est en effet un être tout à fait particulier, qui prend la décision le jour de l'anniversaire de ses trois ans, alors que sa mère lui fait le cadeau attendu du tambour promis lorsqu'elle l'a mis au monde, de ne plus jamais grandir, déjà rompu à l'exercice d'une observation dépourvue d'illusions du monde des adultes. D'autre part, bien qu'il choisisse à ce moment-là de ne s'exprimer, et de ne communiquer que dans la limite des capacités d'un enfant de trois ans, il découvre que son cri a la faculté de briser le verre à l'envi. Sachant que cet enfant naît entre les deux guerres, en 1924, à Dantzig qui est un lieu d'implosion de la deuxième guerre mondiale, il aura bien des raisons, en plus de sa nature à protester et à se faire entendre, d'user des tambours, et de faire éclater du verre.
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Cependant, ne prenez pas trop vite Oscar sous votre aile de lecteur empathique, ému par cette métaphore poétique, cette volonté accomplie, qui relève quasiment d'un réalisme magique, de ne jamais grandir, tant le monde des adultes n'a rien d'attirant. En effet, sous cette détermination hors du commun, derrière ces beaux et grands yeux bleus qui semblent à jamais lointains, se niche le cynisme, l'opportunisme, la lâcheté , la raillerie et le calcul d'un enfant qui a la maturité d'un adulte souvent mal-aisant, voire pervers. le petit Oscar, à trois ans, décide ainsi de se jeter dans des escaliers pour simuler une cause médicale à une incapacité de grandir, il se félicite également de faire porter le chapeau à son père putatif, qu'il méprise.
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le même père qui adhère au parti nazi, passe tous ses dimanches à ses rassemblements, et emmène le fiston assister aux premières synagogues brûlées, aux premières boutiques dévastées et taguées « porc juif » lors de l'historique Nuit de Cristal de 1938. Oscar nous raconte ces événements avec la naïveté et le détachement d'un enfant qui n'est qu'un témoin : il a alors 14 ans peut-être en effet ne comprend-on pas tout à cet âge là, de plus quel allemand en comprend réellement la portée, à ce moment là de l'Histoire?. Il n'y décèle pas de cruauté ni d'injustice, n'a pas d'opinion sur ce point-là, bien qu'on lui connaisse de grandes capacités d'analyse par ailleurs. Simplement, il tape de plus belle sur son tambour, parce que le magasin de jouets où on lui fournissait ses instruments a été saccagée, et qu'il a besoin de tambours. Il ne manifeste que peu de peine ou d'intérêt pour le sort de Markus le propriétaire juif du magasin.
le personnage de Grass est en réalité bien difficile à décrire : un adulte dans un corps d'enfant, ayant des particularités cognitives et physiques extraordinaires? Un adulte dans un corps d'enfant qui par un subterfuge relevant d'une sorte de magie noire passe au travers de situations périlleuses? Un enfant dont l'hypersensiblité est si forte qu'elle a crée un blocage de croissance? Un psychopathe qui se sert de son apparence d'enfant pour éprouver sans crainte tout son dégoût et son détachement envers un monde duquel il refuse de faire partie ?
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Je me suis heurtée à cette imprécision par rapport au personnage principal, ce qui en limite l'identification et la crédibilité, d'une part. Part accentuée par l'usage aussi bien du « je » assumé, que du « il » observé, qu'emploie Oscar pour conter son histoire, comme si on avait affaire à un personnage dissocié, y compris dans un même passage: « Je m'endormis sur les capitons de Tuschel et, quand je me réveillais des matelots chantaient toujours ou déjà de nouveau : Pilote monte la garde...Mais Oscar s'endormit derechef, ravi de voir en s'assoupissant que sa maman vibrait tellement au Fantôme, (...) » p97 Editions du Seuil 1961.
Cette difficulté à cerner un personnage insaisissable rend d'autre part le propos de l'auteur difficile à extraire.
Nous nous sommes en effet, en lecture commune de ce livre, constamment demandés, par exemple, si Grass ne parlait qu'au nom d'Oscar, ou parfois en son propre nom, à moins qu'il ne faille en faire une lecture plus vaste au nom de tout le peuple allemand du pendant et de l'après-Shoah.
Si Grass est considéré par certains comme l'un de ceux qui mena le peuple allemand sur le chemin du repentir, ou de l'exploration d'une certaine « incapacité à faire son deuil » de la société allemande de l'après-guerre, notamment au travers de ce roman, j'hésite à suivre cette voie. Il y a notamment dans ce livre un chapitre qui se nomme « la cave aux oignons » et qui a été l'un de mes préférés, un petit bijou de l'absurde. Après guerre, en Allemagne, imaginez un club, où vous payez pour que l'on vous distribue une planche, une couteau et des oignons à hacher menu jusqu'à ce que torrent de larmes s'en suive. Pour éprouver un chagrin collectif, car les larmes irrésistiblement produites par les oignons initient un vrai chagrin qui tend au désespoir ! On pourrait croire à une image fort pertinente, quasi poétique (enfin avec Grass, un semblant de poésie disparaît très vite sous des fluides nauséabonds) d'un peuple qui peine à la prise de conscience d'une horreur collective. Mais avec cet auteur, le chemin vers la réalité d'une nature humaine complexe n'est jamais si évident, et alors qu'il fait étalage de ce qui fait pleurer les clients, jamais ou presque la guerre n'est citée. Ils pleurent plutôt sur des amours incomprises ou inabouties.
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Aucune chance, ou plutôt malchance, que vous trouviez dans ce livre ce à quoi vous vous attendiez. A l'image du petit Oscar que j'imaginais, avec en tête l'affiche du film de Schlöndorff, comme un petit être ballotté, et victime d'une époque, alors que sa détermination rageuse lui permet de traverser une époque trouble à l'abri du vase clôt de sa propre morale, de son propre fonctionnement.
de même, si l'on tient vraiment à extraire un consensus moral à ce roman, bien qu'un repentir, ou une blessure attendus semblent parfois apparaître effectivement en filigrane, il est davantage question je crois de travailler la mémoire d'Oscar en restant le plus sincèrement proche possible de ce qu'elle fut, de 1924 à 1954, sans l'alourdir ou la pervertir avec l'analyse et les pensums construits avec le recul. Un produit brut, avec en supplément bonus toute la singularité du regard d'un être à part, un être à l'imaginaire par moments si puissant qu'il en fera votre réalité le temps d'un livre.

Un grand merci @Patlancien de nous avoir invité à faire cette lecture commune, à débattre, et à tâcher de percer le mystère du tambour.
https://www.babelio.com/groupes/1443/Lecture-Commune-Le-Tambour-de-Gunter-Grass-22-Fe






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Voilà un sacré pavé à digérer. Non pas qu'il soit indigeste. Disons qu'il est long, dense , touffus et qu'il faut être un sportif de la lecture pour arriver au bout de l'ouvrage et l'apprécier dans son intégralité. Donc si le lecteur sportif est en forme, il prendra un plaisir fou.
Ma forme étant fluctuante en ces jours – nous sommes à l'époque déjà inscrite dans L Histoire comme étant « le temps du coronavirus » - j'ai eu des hauts et des bas, mais, étant d'un naturel plutôt optimiste sinon enjoué, je ne me souviendrai que des hauts.
Oscar, le narrateur (mais pas toujours), a cessé de grandir à l'âge de trois ans, et sera le témoin de la vie de la société de Dantzig de 1924 à 1951, l'observant comme les bouffons royaux observaient les cours princières autrefois, usant de son tambour comme ces derniers agitaient leurs grelots. L'histoire mouvementée de cette ville, ville libre, puis allemande et enfin polonaise, est présente, en arrière-fond, à peine ébauchée.
Voilà un long roman (trop long?), picaresque, exubérant, où règne l'absurde, le grotesque et le bancal. A chacun de le lire sous l'angle qui lui sied.
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"Le Tambour" ayant déjà fait l'objet sur Babelio de critiques de qualité qui sacrifient à la règle du résumé de l'oeuvre, nonobstant celui de l'éditeur, je m'en abstiendrai pour exprimer, déjà trop longuement, quelques considérations, personnelles à défaut d'être pertinentes, que m'ont inspirées cet ouvrage.
Devant un tel magma en fusion, l'exercice impose de se limiter, hélas.

"Le Tambour" est considéré par les éditeurs comme un roman parce qu'il faut faire simple et que le lecteur, qui est aussi un client, doit s'y retrouver sans barguigner. Il se trouve qu'ici la simplicité n'est pas de mise et qu'il serait plus juste de qualifier cette oeuvre d'allégorie ou, dans un esprit oecuménique, de roman allégorique; mais pas de fable car, une fable étant un court récit allégorique contenant une moralité, le compte n'y serait ni pour le" court", ni pour "la moralité" car "Le Tambour" est un long roman allégorique amoral. Et puisque j'ai fait un détour phonétique par le conte, je ne retiendrai pas davantage cette appellation, car bien qu'on soit effectivement, comme pour un conte, en présence d'un récit d'aventures (partiellement) imaginaires, d'une part, la taille du "Tambour" est là encore trop imposante; d'autre part, si un conte est, comme on le dit souvent, une histoire à dormir debout, ce "Tambour" se distinguerait plutôt par sa capacité à empêcher de dormir bien qu'allongé.
J'en reste donc, plutôt satisfait, au roman allégorique, en rappelant ce qu'en écrit Larousse: "oeuvre littéraire ou plastique utilisant une forme d'expression d'une idée par une figure dotée d'attributs symboliques (art) ou par une métaphore développée (littérature)", ajoutant, ce que Larousse ne laisse pas supposer, que cette alternative apparemment exclusive entre art et littérature, se fond et se dilue, avec "Le tambour", dans un magma créatif dont l'éruption produit une lave qui est loin d'avoir refroidi quelques cinquante ans plus tard.

J'avancerai tout d'abord la proposition que "Le Tambour" offre trois niveaux de lectures, à la fois intimement imbriqués et suffisamment indépendants pour qu'au cours de la lecture on soit rapidement perdu, se demandant sur lequel de ces niveaux on avait cru bon de se poser pour laisser à la température de ses neurones l'opportunité de se stabiliser et quitter la zone rouge, et espérer ainsi pouvoir terminer la lecture sans risquer d'être illico presto emporté dans un lieu tout blanc par des personnes tout en blanc, je disais donc trois niveaux:
- une saga familiale dans les milieux paysans et petits commerçants de Dantzig sur fond d'événements guerriers et d'incertitudes génétiques, drolatique et outrancière
- une allégorie du psychodrame de populations appartenant au Lebensraum Grossdeutchland, un peu avant, pendant et un peu après le nazisme
- l'exutoire littéraire d'un auteur selon moi assez perturbé au plan psychique, comme tout un chacun certes, mais ayant choisi, lui, de faire métier de l'exprimer.
Günter Grass utilise à ces fins, remarquablement agglomérées de telle sorte que les niveaux ressortent totalement fusionnés, diverses formes de formulation parmi lesquelles le récit romanesque au style direct, alerte et épuré, de brefs moments théâtraux, des ruptures "spatio-temporelles" chères aux romans policiers, des épisodes d'élocution précipitée où s'expriment la confusion ambiante, les répétitions autistiques qui tendent à rassurer dans un environnement instable,… avec, indéfectiblement, ce parti pris d'humour corrosif par le rapprochement des incompatibles, d'ironie, de dérision voire de cynisme qui provoque, presque à chaque page, pourvu qu'on le tolère dans ce contexte historiquement douloureux, le sourire, cependant toujours un peu estomaqué que l'auteur ait osé cela, à cet instant-là.

Qui dit allégorie dit métaphores ou clés . Ne disposant ni du double des clés ni de passe-partout, il ne me reste que le pied de biche pour tenter d'ouvrir ce coffre-là, ce qui est mon privilège de lecteur lambda.

On a donc un enfant qui refuse de grandir c'est-à-dire un nain, à qui pousse une bosse; on a un tambour plutôt bas de gamme mais coloré en rouge et blanc ; on a aussi un cri destructeur de verre (vitricide) mais qui épargne les vitraux des églises catholiques; et puis on a des infirmières aux couleurs du tambour, et puis aussi des odeurs, de toutes sortes mais plutôt d'inspiration alimentaires et pas toujours ragoutantes, et en général associées à elles, le sexe omniprésent jusque sur les plages du débarquement; on a en plus le doute existentiel quant au père et à sa propre identité ... Ajoutons la guerre, qui fournit le décor couleur feldgrau.
J'y vois un peuple-gnome, hésitant entre sa tradition à laquelle il est attaché, mais pas tant que ça finalement, parce qu'elle a de beaux yeux bleus et des idées nouvelles qui n'emballent pas les enfants mais ont leur intérêt dans la mesure où elles assurent le gite et le couvert; ce peuple, qui ne sait plus qui il est, ne grandira plus, mais, alors qu'il pourrait être caisse de résonance de son passé préférera battre le rappel des troupes et amplifier le son des bottes et des discours. Ce même peuple, vitricide lors de la nuit de Cristal au cours de laquelle les synagogues furent incendiées, ainsi appelée parce que les vitres des magasins juifs furent brisées, échoue pourtant à faire exploser les vitraux catholiques dont ses tenants s'accommodent fort bien des nouveaux maîtres. Règlements de comptes en passant avec l'église catholique. Lâche, le gnome-peuple qui, presque par inadvertance, en arrive à tuer et se résout à enterrer ses deux sources nourricières et son tambour avec la dernière, préfère donc se taire désormais jusqu'au moment où il pourra l'ouvrir à nouveau et, à l'occasion, grâce aux oignons, pleurer pour faire bonne mesure sans manquer de prospérer en symbiose avec le jazz Marshall. le blanc et le rouge, si précieux à Oscar, étant ceux du drapeau de la Pologne mais aussi, par une bizarrerie du destin, de celui de l'Autriche (au moins depuis la fin de la guerre), on admet, après mure réflexion, que le fait que le Reich ait copulé avec celle-ci, qui s'y est prêtée si volontiers, et celle-là, qui a résisté comme elle pouvait, puisse avoir un certain rapport avec son fantasme sexuel stimulé par la blouse blanche et la croix rouge des infirmières. Mais j'en viens de plus à considérer qu'il faut décidément que l'auteur y mette du sien. Ne suis pas allé jusqu'à trouver évidente la correspondance entre la bosse d'Oscar et la vision cartographique plane de la RDA posée sur le dos de la naine RFA qui s'était résolue à grandir ….
Au fil des pages, élimination scrupuleuse de toute trace d'émotion d'Oscar, sauf, tout de même, pour sa maman, patrie qu'on emprisonne, "matrie" qui s'empoisonne.

Ayant promis de me limiter, je solde le reste .
"Le Tambour" est une BD olfactive qu'on lit avec les yeux, les oreilles, surtout le nez qu'il faut pourtant se pincer de temps à autre. Il offre des morceaux d'anthologie tels la chute de la poste polonaise, la pêche aux aiguilles ou le petit Jésus au tambour, mais ne laisse pas de susciter un vague malaise, nonobstant l'odeur de beurre légèrement rance de sous la grand-mère, que je tente de m'expliquer par la trop intime et , selon moi, omniprésente influence du psychisme de l'auteur, imprimée sur l'évocation d'événements auxquels, a contrario du ton adopté par Grass, les générations non allemandes d'après-guerre ont toujours voulu accorder un scrupuleux respect mémoriel . La distanciation du lecteur d'avec la forme est ici impérative, sous peine de très grande peine. Günter Grass, talentueux, iconoclaste, l'anti Heinrich Böll, en deçà des métaphores que chacun est in fine libre de décoder comme bon lui semble, dénie au premier degré à ces événements tragiques tout caractère abject et hors norme. A ce niveau, ni bien, ni mal, mais la survie et le quotidien, les patates, le jeu de cartes et le sexe. C'est au degré allégorique que se met en place, sophistiquée, contrariante et ambiguë, ce qui pourrait être une dénonciation mais qui n'est en fait qu'une constatation des réalités d'alors.
Au troisième degré se non-cache l'homme Grass. D'une certaine façon, par ses révélations ultérieures sur sa présence dans la Waffen-SS, il a instillé le doute aboutissant au constat que le caractère narcissique du "Tambour" peut-être primait.
Personne n'est parfait, pourrait dire Oscar.

J'ai aussi peut-être raté une marche….
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Interné en psychiatrie, Oscar décide de raconter et d'écrire son histoire extraordinaire, celle d'un enfant à la "croissance délibérément interrompue à l'âge de trois ans", celle de son tambour "battant neuf et vernis rouge et blanc en dents de scie" offert pour son troisième anniversaire qui a la capacité "d'établir la distance entre les adultes et lui", celle de son "cri vitricide", celle du "gnome" toléré car considéré comme anormal, celle de sa vie.
Trois parties, trois pans de vie sur fond d'histoire dans une famille de boutiquiers allemands, avant guerre et montée du nazisme,deuxième guerre mondiale avec dictature et terreur,et après guerre.
Un roman, le chef-d'oeuvre de Günter Grass(écrivain,essayiste,romancier,poète allemand du XX° siècle qui reçut le prix Nobel de littérature en 1999) qui fit scandale en son temps mais aussi la célébrité mondiale de son auteur.
Pourquoi?
Oscar, bien que petit, est un sacré loustic.
Amateur impénitent des "jupes en cloche" de sa grand-mère Anna Bronski(sous lesquelles jadis fut conçue sa mère par Joseph Koljaiczek, un fugitif incendiaire vite rentré dans les rangs d'un métier plus honnête),voyeur des frasques de sa mère Agnes avec son cousin et amant Jan Bronski ( "son résumé père"), voleur qui pousse au vol, élève du désir exacerbé d'une nourrice surexcitée, d'une future belle-mère sainte nitouche et de moult maîtresses au potentiel hautement érotique,amoral, cet Oscar là ne pouvait que choquer les honnêtes gens.
De plus derrière la tranquille façade bourgeoise familiale se cachent pas mal de vices et le père d'Oscar,Matzerath, qui a installé face au piano le portrait d'Hitler suit la vague, alors que résonnent de partout "Heil Hitler!" et les "fanfares des jeunesses hitlériennes"et s'engage dans les S A. Ce volet là montre une Allemagne qui a cru en un homme fort et s'est trompée de voie.
Eminément fantaisiste et imaginatif, schizophrène entre le monologue d'Oscar au je et la mise à distance d'Oscar lui même, pervers, ce roman aborde les thèmes de l'amour,la mort,la vie,la différence, l'enfance,les rapports humains, l'espoir aussi car Oscar va grandir après l'abandon du tambour et se tourner vers l'art.
Emaillé de divers souvenirs personnels serait-il psychanalytique?
J'avoue, bien qu'enthousiaste au départ, vu l'originalité m'être lassée vers la fin d'un trop plein de tout.
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Dans la catégorie du narrateur peu fiable, laissez moi vous présenter Oscar. Refusant de grandir depuis ses trois ans, ce drôle de lascar traverse les bouleversements de la Seconde Guerre Mondiale, tambourinant sur une série de petits tambours pour enfants dont le premier lui fut offert par sa mère, le jour de ses fameux trois ans où il décida de stopper sa croissance en un complot destiné à faire accuser son père putatif.
Déjà à l'époque un fameux lascar...
Le tambour fait partie de ces livres complètement impossibles à résumer ou faire appréhender de façon correcte tant ils forment une expérience à part. Foisonnant, très riche, doté d'un humour tordu et complètement amoral, à la fois étrangement fantastique et allégorique, on a jamais vu un gamin comme celui-là et c'est heureux, et très réel, parce que Dantzig dans ces années-là, comme une bonne part de l'Europe, était destinée à bien des avanies. Cela vous a un petit côté picaresque qui enchante, mais ne rend pas pour autant la lecture toujours très facile. Il m'a fallu un certain temps pour arriver au bout, et à vrai dire bien cinquante pages pour m'habituer au style et si je suis bien contente de cette lecture, je suis aussi fière d'être arrivée au bout !

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Je me suis attaqué avec modestie à ce monument de la littérature mondiale et je n'ai pas été déçu, des morceaux de bravoure en pagaille (la parade nazie, l'attaque de la poste, l'arrivée de l'armée rouge, et plein d'autres encore), quelques passages néanmoins difficiles à comprendre peut-être dû à ma méconnaissance de la culture et du folklore allemands. L'histoire allemande balayée sur un demi-siècle à travers la vie d'un éternel enfant sous la forme au final d'un conte.
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Un sacré bouquin ! Impressionnant : par sa dimension ( + de 600 pages ! ), par son originalité et ses "morceaux de bravoure ". J'avais été - comme la majorité des gens - impressionné par le film de Schlöndorff ( qui a réussi à mettre en image ce personnage incroyable) vu à sa sortie en 79 - aussi, au début de la lecture je pensais que ce serait un tableau de l'époque (en gros des années 1920 jusqu'au début 50) en un lieu (Dantzig) concentrant les éléments-clefs de l'arrivée au pouvoir des Nazis, leur emprise du territoire (qui n'a cessé de changer de mains au cours de l'Histoire), le tout vu par un "éternel" enfant s'exprimant essentiellement en tapant sur un tambour-jouet "qui dissolvait le Mal en rythme". Et c'est bien cela, certes, mais pas seulement, pas toujours. Je pense que ce livre est l'autobiographie inventée d'un personnage on ne peut plus original (et attachant je trouve, contrairement à certain(e)s critiques ici), mais une autobiographie qui a des liens avec la vie de Günter Grass (le lieu, de nombreux éléments de sa vie et l'époque, presque, puisque Günter Grass était né un peu plus tard que son personnage). Je pense, une fois fini, qu'il faut le lire ainsi : l'autobiographie d'un personnage de fiction, un personnage unique qui ne prétend pas à décrire L Histoire, même métaphoriquement. Si on veut absolument interpréter, je dirais que la piste psychanalytique me semble la meilleure mais l'intention d'inventivité purement littéraire est au moins autant importante. C'est remarquablement écrit (et traduit) et très original, comme peut l'être la perception d'un enfant. Il y a ainsi toutes sortes de surprises et de scènes fortes, pas mal d'humour, d'ironie et d'émotion aussi je trouve. Et je trouve que le récit et le personnage principal sont imprégnés d'une grande mélancolie. La vie de ces personnages est bouleversée par L Histoire. Et si Oscar s'exprime sans cesse par son tambour c'est peut-être qu'il manque de mots pour dire ses émotions face à tout ce qu'il voit.. Difficile (en tous cas pour moi) de comprendre cet Oscar, complexe : fidèle, en amitié et en amour, et fuyant ceux qui transigent. Comme un ange qui comprend les autres mieux qu'ils ne se comprennent eux-mêmes.. J'ai commencé à le lire dans la version "2 tomes" du Livre de Poche puis, ne trouvant pas le tome 2, ai continué avec l'édition de poche du Point. Et je trouve que ce sont les 2 premiers tiers du roman qui sont les plus passionnants (le tome 1 donc) mais il faut le lire jusqu'au bout car on a envie de savoir ce qu'il se passera après, même si il y a moins de scènes fortes et plus d'introspection - le personnage avance en âge - dans le dernier tiers.
Il y aurait de nombreuses métaphores à explorer - notamment en regard de le vie réelle de G.G. - et je pense qu'il y a des études là-dessus, de nombreuses savoureuses citations à extraire. J'aurais beaucoup d'autre choses à en dire mais les longs avis me découragent.. Un livre fort !
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